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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 27 avril 1990, n° 15521-88

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bordeaux Yachting (SA), Audinet (ès qual.)

Défendeur :

Trigano Diffusion (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rouchayrole

Conseillers :

M. Thery, Mme Garnier

Avoués :

SCP Parmentier, Hardouin, SCP Bommart, Forster

Avocats :

Mes Moulin Boudart, Chaumanet.

T. com. Paris, 1re ch., du 27 juin 1988

27 juin 1988

Considérant que maître Audinet, es qualité de commissaire au plan de redressement de la Société anonyme Bordeaux Yachting et celle ci ont par déclaration remise au secrétariat-greffe le 2 août 1988, interjeté appel du jugement en date du 27 juin précédent par lequel le Tribunal de Commerce de Paris a rejeté leurs demandes en résiliation du contrat de franchise conclu entre la société Bordeaux Yachting et la société anonyme Trigano Diffusion aux torts de cette dernière et en sa condamnation à lui payer la somme de 38 334 F au titre de remboursement de la quote-part du droit d'entrée versé, celle de 4175 164 F à titre de dommages-intérêts et celle de 50 000 F au titre de la disposition de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Considérant que ses conclusions tendent au prononcé de la nullité du contrat de franchise des 16 octobre et 15 décembre 1984 pour dol et pour absence de cause et à la condamnation de la société Trigano Diffusion à lui payer les sommes de 4175 164 francs à titre de quote part du droit d'entrée ;

Que subsidiairement, il demande qu'il doit dit que la résiliation de ce contrat survenue le 10 février 1986 est aux torts de la société Trigano Diffusion avec, pour conséquence, sa condamnation aux sommes susindiquées ;

Qu'en toute hypothèse il conclut à la condamnation de ladite société à lui payer la somme de 50.000 F au titre de la disposition de l'article 700 susindiqué ;

Considérant que la société intimée conclut à la confirmation en son entier du jugement entrepris ;

Considérant que la société appelante et la société intimée ont, les 16 octobre au 15 décembre 1984 conclu le contrat de franchise en vertu duquel la première s'engageait à vendre au détail, sous l'enseigne Trigano, les articles sportifs en relevant et à utiliser à titre exclusif son savoir-faire, cependant que la seconde lui promettait une collaboration et une assistance suivies devant se manifester en des points précis repris dans le texte de leur accord ; que le contrat signé pour une durée de cinq années était renouvelable de plein droit par tacite reconduction par périodes de même durée, sauf à l'une ou à l'autre des parties de décider sa résiliation sous préavis de six mois avant expiration de celle en cours ; que la redevance annuelle à charge de la société franchisée était, pour la première année de 110.000 F et que la facilité lui fût accordée de s'en libérer en cinq ans,

Que, le 10 février 1986, la société Bordeaux Yachting décidait de recourir à la faculté de résiliation que lui ouvrait l'article 24-2 du contrat, soutenant que la société Trigano Diffusion ne lui avait pas apporté l'assistance technique qu'elle lui devait ;

Que, si la résiliation même ne peut pas prêter à discussion dans son principe, cette dernière société persiste dans sa contestation de la réalité des griefs invoqués à son encontre ;

Considérant que les prétentions de la société appelante tendent à la mise à néant du contrat qu'impliquent le moyen de nullité pour dol dont elle se prévaut, la résiliation qu'elle invoque, à titre subsidiaire ne remettant pas en question son existence et son exécution pendant la période prenant fin le 10 février 1986 ; qu'il y a lieu d'apprécier le bien fondé de ces prétentions et, les conséquences à en tirer en matière d'indemnisation ;

Considérant que si la société appelante soutient que les premiers juges en prenant en considération une note en délibéré de la société Trigano Diffusion sans ordonner la réouverture des débats ont méconnu le principe du contradictoire, ses conclusions n'en tirent pas la conséquence puisqu'elles tendent non à la nullité mais à la réformation du jugement ;

Sur le principe du droit à réparation invoqué :

Considérant que la société Bordeaux Yachting, tout en insistant dans les motifs de ses conclusions sur les manquements de la société Trigano Diffusion aux obligations qu'en vertu du contrat elle avait assumées, ce qui va dans le sens de la résiliation à ses torts, apporte indéniablement une modification à sa thèse initiale en faisant valoir, qu'ayant été trompée par celle-ci pour qui il était le premier qu'elle ait eu à conclure, elle-même n'a pas pu donner un consentement valide ; que " son engagement auprès de la société Trigano ne se comprenait qu'en contemplation des résultats promis par le franchiseur ", ce qui amène à la conclusion qu'il a commis un dol à son préjudice ;

Considérant que, compte tenu de ce que la nullité du contrat ne peut, par hypothèse, découler que de données qui lui soient antérieures puisqu'il s'agit précisément de vérifier, en matière de validité du consentement, si celui-ci a été vicié par suite de circonstances légalement définies impliquant que la liberté ou le discernement de son auteur ont fait défaut ; que dès lors qu'il est fait état de l'inexécution d'obligations, elle ne peut intervenir utilement que si elle est révélatrice de conditions antérieures à la conclusion du contrat ou contemporaines de celle-ci ayant eu pour effet d'exercer à cet égard une influence déterminante sur la volonté du contractant qui les a subies ;

Considérant qu'en l'espèce il est fait état, d'une part, de promesses de la société Trigano Diffusion ayant eu pour effet de persuader la société Bordeaux Yachting de l'avantage que présentait pour elle le contrat qui lui était proposé, promesses qui, certes, se sont traduites dans des stipulations précises, mais que leur inexécution aurait rendues illusoires ;

Considérant que ces promesses, ainsi que le soutient cette dernière société, ont été exprimées par la société Trigano Diffusion en une lettre qu'elle lui a adressée le 6 août 1984, lettre affirmant que " le franchisé de Bordeaux serait considéré comme une filiale, c'est-à-dire qu'il serait suivi personnellement par le directeur des filiales, notamment en ce qui concerne la gestion l'animation (publicité-promotion et la formation) avec bénéficie direct de tout de ce qui serait entrepris dans les filiales ; qu'il y était fait état du démarrage sérieux assuré au magasin de la société Bordeaux Yachting et des facilités financières qui seraient obtenues des fournisseurs ;

Que précédemment, par lettre du 9 février 1984, la société Trigano Diffusion avait proposé à la société Bordeaux Yachting la mise à disposition d'une enseigne nationale et un ensemble de services : achats, gestion, agencement, animation et publicité en vue de leur collaboration ;

Que le contrat conclu entre les parties concédait au franchisé le droit d'exploiter l'enseigne Trigano, de vendre au détail les articles de sa collection d'utiliser à titre exclusif son savoir-faire et de bénéficier de toute amélioration et innovation apportées par lui ;

Que les obligations, prévues jusqu'à ouverture du point de vente, consistaient en prestation d'ordre économique, communication des éléments permettant de prendre une décision en pleine connaissance de cause, fourniture d'un plan-type du magasin avec cahier des charges, d'un avant-projet d'implantation et d'un devis définitif et en prestations d'ordre technico-commercial, remise d'un manuel opérationnel, formation du franchisé par un stage d'initiation, remise des nomenclatures de la collection et d'un plan d'assortiment et assistance pour la mise au point et la réalisation de la campagne de publicité et promotions préalable à l'ouverture ; qu'après ouverture, la société Trigano devait procéder à la constitution de la collection, mettre à disposition son service d'architecture pour les modifications à apporter au magasin, s'occuper de la question de communication, donner la possibilité d'une formation permanente, informer régulièrement le franchisé et lui apporter des aides à la gestion ;

Considérant que la société Bordeaux Yachting fait état, non seulement, de ce que la société Trigano Diffusion n'a pas rempli les promesses que l'accord des parties a transformées en obligations strictes à sa charge, mais qu'elle ne disposait ni du savoir-faire ni des moyens qui lui eussent permis de le faire, sa préoccupation ayant été essentiellement de s'assurer une position commerciale ; dans cette version des faits, ce n'est pas directement l'inexécution des obligations par elle qui est invoquée à l'appui de la demande en nullité du contrat pour dol, mais l'inaptitude dont elle ne pouvait pas ne pas avoir conscience et qui entraînait pour conséquence que, faute de la contrepartie qu'il prévoyait, il en arrivait d'être démuni d'objets ;

Considérant que la société Trigano Diffusion fait valoir que les avantages inhérents au contrat ont été procurés à sa cocontractante ; accès à la SA centrale de référencement, transfert à son profit des éléments essentiels d'un important fonds de commerce ; enseigne et clientèle dont le fichier lui a été remis, et ceci sans contrepartie à sa charge, le règlement de la première annuité ayant été reporté et la dispense du droit d'entrée lui ayant été accordée ;

Qu'elle impute l'évolution défavorable de l'activité de la société Bordeaux Yachting aux erreurs qu'elle a elle-même commises ; que, par suite, la résiliation qu'elle a décidée ne peut pas lui ouvrir droit à dommages intérêts ;

Considérant que la prétention à nullité du contrat soutenu par la société appelante se fonde essentiellement sur l'affirmation d'un consentement donné sous l'empire de l'erreur ayant son origine dans le dol de la société Trigano Diffusion ; qu'elle prend subsidiairement appui sur l'absence de cause d'un contrat stipulant en sa faveur des droits et prestations dépourvues de toute consistance ;

Considérant, sur le premier point, que le dol, pour répondre à sa définition, doit être caractérisé dans tous ses éléments à la date de la conclusion du contrat qu'il y aurait ainsi lieu d'admettre que la société Trigano Diffusion amenait sa cocontractante à traiter avec elle par des engagements, non pas simplement téméraires, mais dont elle aurait eu l'intention de ne pas leur donner la suite qu'ils comportaient ; qu'en d'autres termes il devrait s'agir non d'une défaillance ultérieure dans l'exécution, mais d'un refus initial de la procurer ; que, du simple fait de promesses encourageantes, puis d'obligations correspondant à une assistance et à une collaboration suivies, ne se dégage pas la preuve d'une intention d'induire en erreur le cocontractant ; qu'ainsi de leur chef la nullité soutenue n'est pas justifiée dans son principe ;

Considérant, sur le second point, que la nature synallagmatique du contrat implique que les obligations réciproques se servent mutuellement de cause ;

Qu'il en résulte qu'à ce stade il y a lieu de s'en tenir au contenu même de l'accord des volontés, sans qu'il y ait à anticiper sur l'évolution dans l'avenir des relations contractuelles ; qu'il en résulte qu'à la date de la conclusion du contrat qui n'appelle pas de critiques majeures quant à l'équilibre des droits et obligations des parties, il n'y avait pas matière à sa nullité pour absence de cause ;

Considérant qu'il reste acquis que la société Bordeaux Yachting a, le 10 février 1986, par lettre recommandée avec accusé de réception, notifié à la société Trigano Diffusion qu'elle se prévalait de la clause de résiliation prévue par l'article 24-2 du contrat ; que, faisant état de sa situation critique, elle l'a imputée " à une franchise mal conçue et insuffisamment structurée " et retenu que les moyens de transfert de savoir-faire et l'assistance technique s'étaient révélées insuffisants, si ce n'est inexistants ; qu'il est à noter que cette lettre comportait la demande d'une rencontre " afin d'étudier les modalités de ce retrait, et ce, dans un état d'esprit constructif ainsi qu'il en a toujours été " ;

Que les parties ont été à la recherche d'une solution au problème des difficultés de la société Bordeaux Yachting jusqu'à la fin de l'année 1986 et que la lettre de celle-ci en date du 18 novembre à celle-là y répond, puisque l'on peut y lire ; " Il n'est pas question pour le moment de rendre qui que ce soit implicitement ou explicitement responsable de la situation dans laquelle se trouve Trigano Diffusion aujourd'hui " ;

Qu'il apparaît que, si l'on en est arrivé au stade contentieux, la société Bordeaux Yachting a, d'abord cherché en invoquant une clause de résiliation qui impliquait qu'alors elle ne remettait pas en question la validité du contrat, à créer la situation de nature à amener sa cocontractante à lui apporter le concours nécessaire à son retour à l'équilibre, que c'est l'échec de cette tentative qui l'a amenée à donner à la réserve contenue en la lettre du 18 novembre, réserve exprimée par la formule " pour le moment ", la conséquence contentieuse, qu'elle entraînait ; que celle-ci s'est manifestée sous deux aspects ; celui de l'imputation de la résiliation aux fautes contractuelles de la société Trigano Diffusion, celui de la nullité du contrat, qui ne peut pas être retenue ;

Considérant que la résiliation dont il s'agit est, en vertu de la clause correspondante de l'article 24-2 du contrat, possible, à tout moment et sans indemnité, " en cas d'inexécution par l'une ou l'autre des parties de l'une quelconque des clauses dudit contrat... " que la stipulation d'exclusion de toute indemnité concerne le cocontractant qui se prévaut de cette faculté, puisqu'elle implique qu'il soit fondé à se prévaloir de la défaillance de l'autre dans l'exécution de ses obligations ; qu'elle laisse ainsi entière la possibilité pour lui d'agir en réparation du préjudice qu'il a personnellement subi ;

Considérant que, si le contrat de franchise répond à l'intérêt d'une collaboration étroite entre le franchiseur et le franchisé, pour assurer par une action commune, le succès et le développement de la marque mise par le premier à la disposition du second, pour le bénéfice de chacun d'eux et si cette collaboration doit se doubler d'une assistance permanente et non simplement occasionnelle, le contrat, d'une part précise les modalités et les applications qu'elle doit comporter et, d'autre part, maintient en son article 5-2, le principe de la responsabilité commerciale et de gestion propre du franchisé ;

Qu'il en résulte que les fautes du franchiseur ne peuvent pas relever d'une allégation générale de manquement d'ensemble aux obligations de collaboration et d'assistance, mais qu'elles doivent présenter le caractère de manquements précis aux aspects susrappelés du concours stipulé entre les parties ;

Considérant que la société Bordeaux Yachting énonce en ses conclusions les manquements suivants :

- manquement à l'obligation de fournir gratuitement un devis définitif pour l'adaptation des locaux à leur destination, celui qui a été remis le 28 novembre 1984 ne comportant ni étude de sécurité ni indication quant travaux d'électricité ;

- absence de toute assistance quant aux commandes destinées à la constitution du stock ;

- défaillance quant aux diverses formes de l'assistance promise, service d'achats, service de gestion, service agencement, animation ;

- fausse indication quant aux dépenses d'investissements prévues pour 571.000 F et qui se sont élevées à la somme de 1.251.151 mille francs,

- remise en cause de l'uniformité de l'équipement nécessaire à la mise en valeur de la marque par la fourniture d'un mobilier provenant de filiales, contrairement à la stipulation de l'article 7 du contrat ;

- proposition d'un système informatique qui s'est, du fait de son excessive rigidité, révélé inadapté à l'exploitation du magasin,

- échec de la campagne publicitaire et de promotion préalable à l'ouverture du magasin par suite de l'inexpérience de la société Trigano Diffusion et de son insuffisance, avec pour conséquence un alourdissement inutile de la trésorerie de la franchisée ; - - absence d'assistance dans la définition du profil et le recrutement du personnel,

- absence d'assistance utile en matière de gestion comme pour l'aspect commercial, de l'exploitation,

Considérant que la société Trigano Diffusion conteste la réalité de ces griefs et la signification qui leur est attribuée ;

Considérant que la société Trigano Diffusion soutient qu'il y a bien eu envoi, du devis définitif à une antérieure à celle dont fait état la société appelante, soit le 17 juillet 1987 et qu'il ne comportait pas ce qui relevait des travaux d'aménagement, notamment quant aux exigences de sécurité et à la protection contre l'incendie ; que, dans ce sens, il est logique, d'admettre que ledit devis devait concerner spécifiquement ce qui avait trait à l'adaptation des locaux à leur utilisation selon la franchise ; qu'en toute hypothèse il n'est pas justifié de ce que la société appelante ait contesté la pertinence du document qui lui a été adressé, que le manquement ainsi prétendu n'est pas caractérisé ;

Que, pour les autres griefs, force est de constater que, s'ils sont énoncés, il existe à leur sujet, non pas des éléments de preuve précis, mais un ensemble d'affirmations qui ne peuvent pas en tenir lieu, que, notamment, la comparaison entre le chiffre d'affaires antérieur à la conclusion du contrat et celui qui l'a suivi, laisse entière la question de savoir si la baisse constatée résulte d'une insuffisance dans la collaboration ou d'un manque d'utilisation de ce qu'elle comportait pour sa bénéficiaire ;

Considérant, en définitive, que, s'il apparaît que la formule de francisation n'a pas eu d'effets bénéfiques pour la société appelante, la cause de cet échec ne peut pas être attribuée avec certitude à la société Trigano Diffusion ;

Considérant que les demandes de la société appelante doivent ainsi que les premiers juges l'ont exactement décidé, être rejetées, que la charge des dépens d'appel doit lui incomber ;

Par ces motifs : Dit la société Bordeaux Yachting recevable en son appel; Donne acte à Maître Audinet de son intervention en la cause en tant que commissaire à l'exécution du plan de redressement de la société Bordeaux Yachting; Confirme en son entier le jugement entrepris ; Condamne ladite société et Maître Audinet es qualités aux dépens d'appel, admet la SCP Parmentier Hardouin au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.