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Décisions

Cass. com., 2 mai 1990, n° 88-14.722

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Montoise Automobiles (SA), Berthé (ès qual.), Crouzet (ès qual.), Cordier

Défendeur :

Automobiles Peugeot (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Defontaine

Rapporteur :

M. Plantard

Avocat général :

M. Jéol

Avocats :

SCP Lesourd, Baudin, SCP Desaché, Gatineau.

T. com. Paris, du 21 avr. 1986

21 avril 1986

LA COUR : - Sur le premier moyen pris en ses deux branches : - Attendu que, selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 mars 1988), M. Cordier a pris en 1979 le contrôle et la direction de la société Montoise automobiles (société Montoise) exploitant un garage concessionnaire de la marque Talbot, après avoir obtenu le maintien de la concession, renouvelable chaque année, par contrat avec la société Talbot, aux droits de laquelle se trouve la société Automobiles Peugeot (société Peugeot) ; qu'après avoir renouvelé la concession pour 1980, la société Talbot, qui a alors fusionné avec la société Peugeot, a refusé de le faire pour 1981 et que la société Montoise a été mise en règlement judiciaire, avec Mme Crouzet, et par la suite M. Berthé, comme syndics ; que la société Montoise et M. Cordier en son nom personnel ont assigné la société Talbot en dommages-intérêts lui reprochant d'avoir utilisé des procédés fautifs pour les inciter à contracter, et d'avoir commis un abus de droit en refusant de renouveler le contrat de concession pour 1981 ;

Attendu que M. Cordier reproche à l'arrêt de l'avoir débouté de sa demande, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'à l'époque des faits reprochés à la société Talbot (milieu 1979), M. Cordier était un tiers par rapport au contrat de concession en cours liant la société Talbot à la société Montoise, que la responsabilité du constructeur à son égard, sur le plan quasi-délictuel, ne se limite pas à l'abus de droit ou au dol, mais peut être engagée conformément au droit commun pour toute faute, imprudence ou négligence, de sorte qu'en statuant par des motifs fondés soit sur l'absence d'engagement de garantie contractuelle, soit sur l'absence de preuve d'une faute dolosive, sans rechercher si les faits reprochés à la société Talbot ne caractérisaient pas à tout le moins une imprudence de nature à engager la responsabilité totale ou partielle de leur auteur, la cour d'appel a violé l'article 1383 du Code civil, et alors que, d'autre part la cour d'appel ne pouvait, à l'égard de M. Cordier, se fonder sur la conclusion par lui d'un protocole d'accord préalable avec l'ancien dirigeant de la société Montoise pour en déduire qu'il ne serait pas établi que le préjudice causé par la reprise d'une affaire vouée à l'échec était imputable aux prévisions établies au moins avec le concours de la société Talbot, sans tirer les conséquences qui s'évinçaient nécessairement de ses propres constatations, d'où il ressortait, que le protocole de cession de l'entreprise ne pouvait produire effet et prendre sa pleine valeur contractuelle que sous condition de l'accord préalable du concédant ; que le concédant avait précisément subordonné cet accord, non à l'exécution du protocole par paiement du prix stipulé, mais à la prise par M. Cordier d'engagements financiers distincts et importants, notamment l'apport de fonds de roulement ; que ce défaut de motifs a conduit la cour d'appel à méconnaître l'objet de la demande de M. Cordier qui sollicitait l'indemnisation du préjudice résultant non du rachat de l'affaire, mais des engagements que Talbot l'avait, sur la foi des documents litigieux, contraint à prendre pour obtenir l'accord exigé par la clause d'intuitus personae dont le contrat de concession était assorti en faveur du concédant ;

Mais attendu que l'arrêt, après avoir analysé les fluctuations du marché automobile pendant la période considérée et la situation de la société Montoise avant l'arrivée de M. Cordier, en a conclu que, compte tenu de la personnalité de ce dernier, professionnel de l'automobile qui paraissait apte à donner l'impulsion nécessaire au rétablissement d'une affaire que son prédécesseur, de santé fragile, avait laissé péricliter, l'objectif sur la base duquel M. Cordier avait, en connaissance de cause, pris ses engagements, était ambitieux, mais non utopique ; qu'ayant en outre relevé que la preuve n'était pas apportée que la société Talbot ait, lors des négociations pré-contractuelles, sciemment fourni des éléments erronés ou tronqués, ou caché certaines des données de sa politique commerciale qu'elle était seule à connaître, la cour d'appel a pu décider qu'aucune faute de nature délictuelle n'avait été commise ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le second moyen pris en ses trois branches : - Attendu que M. Cordier et la société Montoise reprochent encore à l'arrêt de les avoir déboutés de leurs demandes alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il ne résulte d'aucune disposition légale ni d'aucun principe général du droit qu'un contrat de concession échapperait à la règle selon laquelle l'exercice d'un droit - qu'il soit ou non de nature contractuelle - peut dégénérer en abus lorsqu'il procède d'un acte de malice, de mauvaise foi, d'une erreur grossière ou d'une légèreté blâmable ; qu'il n'importe donc pas que le contrat reconnaisse au concédant le droit de refuser sans motif le renouvellement de la concession s'il ressort des éléments de la cause soumis aux juges du fond et que ceux-ci doivent dès lors examiner que l'exercice de ce droit contractuel a dégénéré en faute de nature à engager la responsabilité quasi-délictuelle de son auteur ; qu'en se bornant dès lors à statuer par des motifs inopérants pour infirmer le jugement, la cour d'appel a violé les articles 1382 et 1383 du Code civil par refus d'application ; alors, d'autre part, que la cour d'appel a violé les mêmes textes en méconnaissant que la preuve d'une faute peut être apportée par tous moyens, y compris par des documents ou des actes postérieurs en date aux faits fautifs allégués, dès lors qu'ils sont de nature à établir le caractère mensonger du motif de refus de renouvellement allégué en justice ; et alors, enfin, que la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile en omettant de se prononcer sur les faits invoqués comme caractérisant l'abus de droit, tels qu'ils avaient été retenus par le jugement et invoqués dans les conclusions d'appel, à savoir qu'en l'état d'une relation contractuelle de concession ininterrompue depuis 1936, et après que moins d'un an plus tôt le concédant eût lui-même incité le nouveau dirigeant de l'entreprise concessionnaire à y engager ses biens personnels, le concédant devait, en l'absence de toute faute du concessionnaire, agir avec la plus grande prudence pour préserver une durée raisonnable d'amortissement, au lieu de prendre la décision soudaine, non justifiée par un cas de force majeure, de supprimer sans discernement son réseau propre de concessionnaires ;

Mais attendu que, s'agissant d'un contrat de concession exclusive à durée déterminée, la cour d'appel, en relevant que la société Peugeot avait respecté le préavis contractuel de trois mois pour notifier à la société Montoise le 30 septembre 1980 qu'elle ne lui renouvellerait pas le contrat en 1981, a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.