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Décisions

CA Versailles, 13e ch., 3 mai 1990, n° 2323-89

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Germain

Défendeur :

Lewin et Warner (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Doze

Conseillers :

Mme Monteils, M. Jauffret

Avoués :

SCP Merle-Doron, SCP Keime-Guttin

Avocats :

Mes Voisin, Capoano.

T. com. Pontoise, du 5 juill. 1988

5 juillet 1988

Par contrat à durée indéterminée du 14 décembre 1984, la société Anglaise Lewin et Warner a confié à Michel Germain l'exclusivité de distribution de ses vêtements de navigation à l'enseigne Splash Down, sur le territoire français.

Le 7 novembre 1986 ce contrat a été rompu par Lewin et Warner.

Par jugement du Tribunal de Commerce de Pontoise, du 5 juillet 1988, sur assignation de Germain, une exception d'incompétence au profit des juridictions anglaises, a été rejetée, la rupture jugée abusive, et Lewin et Warner condamnée au paiement de 80.000 F de dommages-intérêts et de 5.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC, avec exécution provisoire.

Michel Germain a interjeté appel principal et Lewin et Warner appel incident de cette décision.

Germain conclut ainsi qu'il suit :

La rupture du contrat de distribution exclusive a été motivée uniquement par une offre jugée excellente par Lewin et Warner, de la société Plastimo ;

Sur la compétence, l'article 5 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, modifié le 9 octobre 1978 énonce que le défendeur domicilié sur le territoire d'un état contractant peut être attrait dans un autre état contractant, en matière contractuelle, devant le Tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée.

Le contrat de concession concernait le territoire français. C'est donc en France que devait être exécutée l'obligation. Les juridictions françaises sont compétentes.

Il y a eu rupture brutale, sans préavis, alors qu'il eut dû être de six mois selon l'usage, et qu'aucun grief n'avait été formulé contre lui, dont au contraire les efforts de promotion avaient été reconnus.

Consciente du préjudice causé, Lewin et Warner lui a offert une commission sur toutes les commandes à passer par Plastimo en 1987.

Son préjudice s'analyse de la manière suivante :

Il a consacré pendant près de deux ans la totalité de son activité professionnelle à la promotion en France des produits Splash Down de Lewin et Warner. Il a participé à l'élaboration du vêtement Splash Down.

Il a été sponsor de nombreuses manifestations sportives, et a participé à de nombreux salons. Il a réalisé des investissements très importants en publicité.

Pour soutenir son activité, il a dû vendre les deux bateaux qu'il utilisait pour son activité antérieure de loueur. Le prix de vente de ceux-ci et ses bénéfices durant 21 mois d'activité ont été réinvestis pour assurer la promotion des produits Splash Down. Il a embauché des représentants pour couvrir la France, déposé à l'INPI la marque " Le Smoking de la Mer " grâce à laquelle les vêtements Splash Down ont acquis leur renommée en France.

Ses investissements se sont montés à 250.000 F. Son chiffre d'affaires pendant ses 21 mois d'activité a été de 515.400 F. Les prévisions pour 1987 étaient très favorables. Il envisageait doublement du chiffre d'affaires.

Il était en pourparlers avec de nouveaux clients.

Plastimo a recueilli le fruit de ses efforts, et n'a pas craint d'utiliser " le Smoking de la mer ".

Son crédit commercial vis à vis de ses clients a été atteint. Il n'a pu honorer les commandes passées avant rupture.

Il conclut à réformation, à allocation de un million de F du chef de préjudice financier de 300.000 F du chef de préjudice commercial, pour le surplus à confirmation du jugement et octroi de 10.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Lewin et Warner conclut ainsi :

L'article 5 de la convention de Bruxelles fait de l'obligation contractuelle litigieuse la notion centrale en matière de compétence.

L'obligation de respecter un préavis ne pouvait qu'être exécutée en Grande Bretagne. La rupture abusive se fonde sur des fautes commises dans l'exécution de ses obligations, fautes qui n'ont pu être commises qu'en Grande Bretagne.

C'est elle qui est la partie exécutant de la prestation caractéristique. Le contrat lui permet de mettre fin au contrat à tout moment sur simple notification. Germain n'avait aucune obligation particulière à respecter. Le contrat était pour lui un engagement exclusif de vente. Ses prestations ne relevaient pas de la prestation caractéristique du contrat.

Le contrat est rédigé en langue anglaise. Le lieu de livraison et de paiement se situant en Grande Bretagne, où se situaient les transferts de propriété et de risque.

Au fond, le chiffre d'affaires de Germain en 23 mois a été de l'ordre de 200.000 F. La rupture était donc justifiée par la nécessité de répondre aux intérêts de la marque.

Aucun préavis n'était prévu, c'était un risque accepté. Il n'y a ni texte ni usage qui puisse être invoqué.

Il n'y a pas de faute de sa part, Germain dont le chiffre d'affaires était très médiocre, qui avait des marchandises en stock, et qui reste lui devoir 2.583,55 livres, ne peut prétendre qu'à un préjudice réduit.

Elle conclut à incompétence, à ce que Germain soit renvoyé à se pourvoir à Londres, ou à sursis à statuer jusqu'à avis de la Cour de Justice des Communautés.

Subsidiairement à absence de faute de sa part, absence de préjudice, condamnation de Germain au paiement d'une somme d'un montant égal à la contre valeur de 2.583,67 livres, avec intérêts légaux du 29 mai 1989.

Elle demande encore 5.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Par conclusions complémentaires, elle reproche au premier juge de n'avoir pas appliqué la loi anglaise qui ne connaît pas l'abus de droit, fonde la réparation sur l'absence d'un préavis raisonnable, en proportion des bénéfices perdus.

Germain réplique ainsi :

Lewin et Warner, après refus d'exécution a accepté de payer en vertu de l'exécution provisoire contre caution bancaire garantissant remboursement éventuel.

Il a donc cessé toutes procédures et transmis un acte de caution du 18 septembre 1989. Lewin et Warner ne s'est pas exécutée et a failli de mauvaise foi à obligation.

L'obligation litigieuse qui sert de base à la demande est l'obligation de respecter le contrat, concernant le seul territoire français où il était exécuté.

L'obligation de livraison des marchandises était exécutée en France.

C'est pour la première fois d'autre part dans ses dernières conclusions que Lewin et Warner reproche aux premiers juges de n'avoir pas appliqué la loi anglaise, sans s'expliquer pour autant sur la loi applicable.

Il ne doit rien à son concédant auquel il a payé toutes les marchandises livrées.

DISCUSSION

Considérant que l'action principale qui sert de base à la demande est une action indemnitaire fondée par le concessionnaire sur l'inexécution par son cocontractant de ses obligations d'accorder un préavis normal après rupture ; que la parade de la société anglaise est d'invoquer une exécution insuffisante du contrat, et aussi un entière liberté de mettre fin aux relations et de choisir un nouveau partenaire ;

Considérant que l'exécution du contrat de concession, qui est au centre du débat, se situe en France en ce qui concerne les prestations à la charge du concessionnaire, qui devait vendre les articles sur le territoire français; que la solution du litige passe par l'appréciation déterminante des conditions matérielles d'exécution du contrat par Germain, par une recherche de ses performances et insuffisances, par une recherche éventuelle de l'usage en matière de préavis là ou il exécutait son travail;

Considérant que c'est donc en conformité avec la Convention de Bruxelles, et avec la logique même de ce texte, qui tend à conférer compétence au juge le mieux placé pour apprécier le litige, que les premiers juges ont retenu leur compétence;

Considérant d'autre part qu'il ne saurait y avoir de difficulté sur la loi applicable :que c'est la loi française, loi du lieu où se situe le litige et où s'exécute la concession, qui doit être appliquée, Lewin et Warner se contentant d'ailleurs de signaler dans leurs dernières écritures les variantes du droit anglais, sans en tirer de conclusion ;

Considérant que deux fautes différentes sont reprochées au concédant; que la première est l'absence de tout préavis, qui est à l'évidence constituée; que le concédant avait le droit formel de mettre fin à tout moment à ce contrat à durée indéterminée, mais sous réserve d'un préavis, lequel faute d'être stipulé, devait répondre à l'usage en la matière; que cette première faute échappe à toute contestation, dès lors qu'il est acquis aux débats que la rupture n'est pas consécutive à une faute caractérisée du concessionnaire, mais à l'opportunité que Lewin et Warner a voulu saisir sur le champ de disposer des services d'un autre concessionnaire disposant de moyens plus puissants et lui ouvrant un marché plus large, et international ; que la lettre de rupture du 7 novembre 1986 est explicite à cet égard ;

Considérant que la seconde faute que Germain entend faire retenir est un abus de droit de la part du concédant, abus qui se heurte au principe de la liberté de résiliation de la concession à durée indéterminée ;

Considérant, sur ce second aspect du litige, que le contrat a duré approximativement 22 mois ; que Lewin et Warner, producteur britannique de vêtements de navigation, occupait sur le marché français une place modeste, n'étant pas précisé à quel moment il en avait entamé la conquête ; que son comportement révèle son ambition de progresser sur ce très vaste marché ; qu'elle a observé sans jamais faire de réserve les efforts de promotion très importants à son échelle de Germain; que les rapports étroits entre elle même et Germain, dont témoigne la correspondance, excluent que la politique de celui-ci n'ait pas été connue par le menu du concédant; que la rupture a précisément été motivée uniquement par une volonté d'expansion encore plus rapide ;

Considérant que la rupture n'a été assortie d'aucune critique de l'action de Germain; que les allégations contenues dans les écritures de la société selon lesquelles les initiatives de celui-ci auraient été excessives et maladroites sans résultat répondant à leur coût, sont à l'évidence formulées a posteriori sans soutien, pour les besoins de la cause; qu'il doit être retenu que si Germain, comme cela est établi, a sacrifié, durant ces 22 mois, tous ses profits à une action publicitaire à plus long terme, il ne s'agit pas d'une initiative exclusivement personnelle et malheureuse, mais d'une politique de développement conforme aux voeux du concédant et à ses intérêts;

Considérant que les documents de la cause permettent de tenir pour exact le chiffre d'affaire de 515.000 F HT réalisé sur 22 mois par Germain, ce qui doit être pris en compte étant, non pas le montant des ventes du concédant, mais le volume des ventes du concessionnaire à sa clientèle, avec une marge non contestée de 1,54 ; que l'existence d'un stock d'invendus de 102.000 F ne doit pas être soustraite de ce résultat, parce que dans une exécution normale des obligations réciproques, ou bien Lewin et Warner eut dû reprendre ce stock, ou bien Germain eût pu l'écouler durant le préavis ;

Considérant que Germain rapporte la preuve en fournissant le détail de ses opérations, qu'il a engagé, pendant ce même délai de 22 mois, pour 220.000 F de publicité ; que ses choix dans ce domaine, dont aucun n'est ponctuellement et directement critiqué par Lewin et Warner, apparaissent classiques et éprouvés : publicité dans toutes sortes de revues nautiques, participation à des salons nautiques, patronage financier à des voiliers participant à des compétitions internationale ou nationales, permettant de voir apparaître la marque sur ceux-ci ; que Germain a utilisé à ces occasions, notamment, le slogan " Le Smoking de la mer " à propos duquel aucune objection connue n'a été formulée par le concédant ;

Considérant qu'il est ainsi patent que Germain, qui a apparemment réussi à faire progresser à peu près d'un tiers ses ventes dans la seconde année, a renoncé à tout profit personnel pendant les 22 mois en cause, pour exécuter de manière aussi satisfaisante que possible ses obligations qu'il a donc fait tout ce qui était en son pouvoir en ce sens, eu égard à ses possibilités ; que le concédant, qui l'avait choisi, et qui connaissait sa surface financière au moment de ce choix, était nécessairement exactement conscient de cet état de chose ; qu'à défaut d'investissements publicitaires suffisants, il eut été en mesure de rompre les relations en se fondant sur des résultats insuffisants et un manque d'agressivité ;

Considérant que Lewin et Warner savait donc que Germain avait pratiquement fait le maximum, à son échelle, dans l'intérêt de la marque, et s'apprêtait à pousser ses avantages en recrutant des représentants;

Considérant que les conventions obligent non seulement à tout ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature ; qu'il n'est pas admissible, au regard de ces principes dans la situation qui vient d'être analysée, que les obligations de Lewin et Warner puissent être cantonnées à l'octroi d'un préavis d'usage, qui doit normalement être fixé à trois mois en l'espèce, qui n'aurait à aucun degré permis au concessionnaire de recueillir le fruit de ses investissements;

Considérant qu'il y a certes une part d'aléa dans lesdits investissements ; que Germain ne pouvait être assuré qu'ils fussent tous efficaces et que dans le long terme, il soit encore là pour en tirer profit à son niveau ; que, dans le cas de l'espèce, ce qui est advenu est qu'il a été radicalement privé par la rupture, non seulement de tout profit d'expansion des ventes, mais de tout profit immédiat proprement dit ;

Considérant qu'en choisissant ex abrupto pour le remplacer une société Plastimo, italienne, apparemment plus étoffée et qui dispose de positions dans d'autres pays, Grèce, Espagne, Etats-Unis en sus de la France, Lewin et Warner a pris une option commercialement rationnelle et légitime, mais qui relève la faute qu'elle a commise vis-à-vis de Germain ; qu'en lui accordant la concession le 14 décembre 1984 elle a commis une erreur dont elle a prix conscience assez rapidement ; que le choix qu'elle avait fait en connaissance de cause ne correspondait pas à sa politique d'expansion ; que ce concessionnaire, pour la France seulement, de moyens réduits, n'était pas par nature en mesure de lui apporter assez rapidement les résultats qu'elle cherchait ; qu'ainsi, si elle a dû le sacrifier ce n'est pas parce qu'il avait commis la moindre faute, ou manqué d'efficacité, mais parce qu'elle s'était trompée en optant pour lui, et qu'elle a ensuite totalement changé d'optique, faute de jugement dont elle tente de faire endosser les conséquences par autrui en prétendant à tort qu'elle a procédé à un changement banal de concessionnaire, ce qui n'est pas le cas ;

Considérant que Germain, librement recruté comme concessionnaire, ne pouvait de son côté être conscient de cette erreur ; qu'il n'a pas à porter le poids des errements commerciaux du concédant, et à lui faire le cadeau de tous les investissements réalisés; qu'ainsi se caractérise l'abus de droit qui s'attache à la rupture, ouvrant droit à réparation au delà de l'indemnité destinée à compenser l'absence de préavis;

Considérant que les parties ont été conscientes de cette situation, comme cela est déjà exprimé dans la lettre du 7 novembre 1986, et ont négocié de manière serrée pendant deux mois, sans parvenir à un accord ;

Considérant sur le préjudice, que la réparation doit donc englober l'absence de préavis et l'abus ci-dessus défini sans pour autant que soit perdu de vue le droit du concédant de mettre fin à ce contrat à durée indéterminée, prérogative qui est en elle même génératrice d'un préjudice inévitable et non indemnisable ;

Considérant que la Cour possède éléments suffisants, en contemplation du chiffre d'affaires réalisé, des investissements de Germain, du préavis de trois mois auquel il pouvait légitimement prétendre pour allouer à Germain, pour toutes causes de préjudice, une somme de 350.000 F, et complément de 10.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC ; que Lewin et Warner supportera les entiers dépens.

Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Fait droit pour partie à l'appel de Michel Germain, Déboute la société Lewin et Warner de son appel incident, Emendant le jugement déféré sur le montant de l'indemnité, Condamne la société Lewin et Warner à verser à Michel Germain trois cent cinquante mille F (350.000 F) à titre de dommages-intérêts, Confirme pour le surplus le jugement, Condamne la société Lewin et Warner à payer à Germain un complément d'indemnité de dix mille F (10.000 F), Condamne la société Lewin et Warner aux dépens d'appel et autorise la SCP Merle-Doron, Avoués, à les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.