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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 1 juin 1990, n° 88-15671

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Automobiles Citroën (SA)

Défendeur :

Féraud-Prax (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schoux

Conseillers :

M. Bourrelly, Mme Vigneron

Avoués :

Mes Huyghe, Bourdais Virenque

Avocats :

Mes Poudenx, Roman.

T. com. Paris, 17e ch., du 22 juin 1988

22 juin 1988

Ci-après société Citroën, la société Automobiles Citroën a été condamnée le 22 juin 1988 par la 17ème chambre du Tribunal de Commerce de Paris à payer à titre de dommages intérêts à Maître Féraud Prax es qualité de syndic à la liquidation des biens de la société Samica Citroën une somme de 1 500 000 F majorée des intérêts au taux légal à compter du 21 décembre 1984. Elle a relevé appel de cette décision. Maître Féraud Prax en a fait appel incident. La Cour, ainsi saisie, rapportera les circonstances caractéristiques de l'affaire, se référant, pour plus ample exposé, à la relation qu'en ont donnée les premiers juges. Concernant les demandes et moyens, elle renvoie aussi aux écritures échangées en cause d'appel.

Dite désormais société Samica la société Samica Citroën était depuis plusieurs années concessionnaire de la société Citroën à Salon de Provence. Il n'est pas contesté qu'elle a reçu en Juin 1983 de cette société une lettre l'informant qu'eu égard aux mauvais résultats commerciaux qu'elle avait obtenus durant l'exécution du contrat en cours, le contrat de concession renouvelé au 1er janvier 1984 n'aurait qu'une durée d'un an. La société Citroën a adressé le 28 juin 1984 à la société Samica une lettre par laquelle, eu égard à la " persistance de (ses) mauvais résultats commerciaux et à la nouvelle dégradation de (sa) situation financière " elle lui a fait connaître sa décision de ne pas procéder au renouvellement au 1er janvier 1985. Le Tribunal de Commerce de Marseille a prononcé le 28 août 1984 au bénéfice de ladite société la suspension provisoire des poursuites. L'instance en responsabilité civile portée devant la Cour a été engagée le 21 décembre 1984 par la société Samica devant le Tribunal de Salon qui s'est déclaré territorialement incompétent et a renvoyé la cause devant les juges parisiens. La société Samica a été mise le 20 mars 1987 en liquidation des biens. Par la décision déférée le Tribunal de Commerce de Paris a relevé contre la société Citroën une faute attachée aux circonstances dans lesquelles celle ci avait décidé de ne pas consentir un nouveau contrat à la société Samica et a estimé que cette décision avait entraîné l'arrêt des activités du concessionnaire, d'où selon lui, la dévalorisation totale du fonds de commerce.

La société Citroën poursuit l'infirmation du jugement, le rejet de l'appel incident et la condamnation de Maître Féraud Prax es qualité à lui payer une somme de 100 000 F de dommages intérêts ainsi qu'une somme de 25 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Elle fait valoir qu'elle n'avait aucune obligation de renouveler le contrat de concession et qu'elle n'a commis aucune faute lorsqu'elle a décidé de ne pas le faire. Elle se défend en outre d'encourir les autres reproches formulés à son encontre, soit d'avoir, en premier lieu, imposé sans raison à la société Samica le paiement au comptant de ses véhicules, en second lieu, favorisé le départ de clients de cette société vers d'autres concessionnaires.

Maître Féraud Prax prie la Cour de confirmer le jugement en ce que la société Citroën y a été déclarée responsable du dommage causé à la société Samica et de porter à 6 500 000 F en principal le montant de la réparation à la charge de la partie adverse. Il soutient que la décision de ne pas renouveler le contrat de concession a procédé d'une intention délibérée de réduire le nombre des concessionnaires de la société Citroën, impute l'échec commercial de la société Samica à cette politique et fait valoir qu'en l'occurrence l'attitude du concédant est entachée d'abus de droit. Il invoque sur ce point le caractère selon lui fallacieux des arguments avancés le 28 juin 1984 et la quasi concomitance de la notification du non renouvellement du contrat et de l'envoi de l'acte formalisé sur les dernières conventions qui ont eu cours. Il ajoute que, par la suite, et notamment après avoir surpris que la société Samica bénéficiait d'une suspension de poursuites, la société Citroën a, par son comportement, empêché le redressement financier de celle-ci.

Sur ce, LA COUR,

Considérant que la société Citroën et la société Samica ont été liées jusqu'au 31 décembre 1984 dans les termes d'un contrat de durée déterminée, sans droit au renouvellement dudit contrat en faveur du concessionnaire ; que l'avertissement donné le 29 juin 1983 à la société Samica et les explications qu'à avancées le concédant lorsqu'il l'a informée dans le délai de préavis que le contrat, une fois expiré, ne serait pas renouvelé, n'ont pas eu pour effet de confère à cette société un droit conditionnel au renouvellement ou d'ajouter aux conventions en cours celle de l'exigence d'une justification, pour le cas de refus de celui ci ;

Considérant que la quasi simultanéité de l'envoi de l'acte de concession du 1er juin 1987 pour l'année 1984 et de l'information que ce contrat ne serait pas renouvelé n'a pas eu de portée en elle même et n'a donc pas fait naître un droit au renouvellement au bénéfice du concessionnaire ;

Considérant, dès lors, que la société Citroën n'a méconnu aucune obligation et n'a donc pas commis de faute du seul fait qu'elle n'a point renouvelé la concession, sa décision eût elle procédé de l'intention, qui n'aurait pas été illégitime, de diminuer le nombre des concessionnaires de la marque; que ni sa volonté de nuire ni son imprudence ne ressortent des raisons dont elle a fait état et ne sont autrement prouvées ;

Considérant qu'en conséquence Maître Féraud Prax invoque à tort le caractère qu'il dit fallacieux des motifs énoncés de façon superflue le 28 juin 1984 ; qu'il ne démontre pas l'abus de droit dont il prétend que la société Samica aurait été victime à ce moment ;

Considérant que si, après avoir reçu l'avis que le contrat ne serait pas renouvelé, mais antérieurement à la suspension des poursuites, le concessionnaire s'est vu imposer le règlement comptant du prix de ses achats et a dû accepter des conditions particulières de financement de ses activités, le concédant a, dans un cas arrêté une décision et s'est, dans l'autre cas, institué lui-même gestionnaire d'un secteur de vente, sans que la démonstration d'aucune faute de sa part résulte de ces circonstances ; qu'en premier lieu, en effet, l'article 5 du contrat du 1er janvier 1984 lui donnait la faculté de prendre en certains cas toutes mesures destinée à assurer la garantie de ses créances ; que le litige né entre la société concessionnaire et le banquier de celle-ci, en raison d'un découvert dont elle aurait dû s'assurer qu'il lui était consenti, était indifférent à la société Citroën qui n'avait pas reçu paiement de chèques tirés sur la banque ; qu'en second lieu rien ne conduit à estimer que l'autorisation d'agir donnée à cette société ait été obtenue dans un esprit défavorable à la société Samica, ni qu'il ait pu en résulter un préjudice pour cette dernière ; que l'autorisation n'avait donnée qu'en considération du fait que cette société " ne pouvait assurer l'ensemble (des ) reprises VO et la livraison des véhicules neufs " et correspondait à une aide consentie et acceptée dans l'intérêt commun ;

Considérant enfin que Maître Féraud Prax ne peut être suivi dans le reproche de détournement de clientèle qu'il adresse à la partie adverse, les pièces qu'il verse aux débats concernant toutes des " agents Citroën ", liés aux seuls concessionnaires et non au concédant qui ne saurait, en cet état, et faute d'autre précision sur la faute qui lui est personnellement imputée devoir répondre de leur fait ;

Considérant qu'il convient donc de confirmer le jugement frappé d'appel et de débouter Maître Féraud Prax de l'ensemble de ses demandes ;

Considérant que l'action engagée contre la société Citroën n'a rien eu d'abusif ;

Considérant qu'il ne sera pas contraire à l'équité de laisser supporter par cette société l'entière charge de ses frais irrépétibles ;

Par ces motifs : Infirme le jugement déféré ; Statuant à nouveau, Déboute Maître Féraud Prax es qualité de syndic à la liquidation des biens de la société Samica ; Rejette la demande de dommages intérêts qu'a formée la société Automobiles Citroën ; Rejette l'application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne Maître Féraud Prax aux dépens de première instance et d'appel, accorde à Maître Bourdais Virenque le bénéfice du prélèvement direct sur la partie adverse de ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.