Cass. com., 6 juin 1990, n° 88-16.143
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Automobiles Peugeot (SA)
Défendeur :
Seda (SA), Dugast (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Defontaine
Rapporteur :
M. Le Tallec
Avocat général :
M. Curti
Avocats :
SCP Desaché, Gatineau, SCP Peignot, Garreau.
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 mars 1988), que la société Seda était concessionnaire de la société des Automobiles Peugeot (société Peugeot) depuis 1971 dans un certain secteur où la société Géront-Chauvin était concessionnaire de la société des Automobiles Talbot ; qu'à la suite de la fusion des deux constructeurs, chacun des deux concessionnaires est devenu, en outre, par un contrat dit d'agences croisées conclu entre eux, agent de l'autre, pour la marque qu'il ne distribuait pas ; qu'à la fin de l'année 1983 la société Seda, bénéficiaire d'un contrat de concession de trois ans à compter du 1er janvier 1983, a refusé de signer l'avenant au contrat de concession pour 1984 et le contrat d'agences croisées qui, valable pour une année, venait à expiration ; que le 24 janvier 1984, la société Peugeot a utilisé la faculté de dénonciation de la concession après un préavis de six mois, prévue au cas de refus de signature de l'avenant annuel ; que la société Seda a demandé la condamnation de la société Peugeot pour rupture abusive de la concession avant l'échéance ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Peugeot fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'exception de nullité tirée du défaut de représentation de la société Seda par son liquidateur devant les premiers juges alors, selon le pourvoi, que l'article 121 du nouveau Code de procédure civile, qui dispose que la nullité ne sera pas prononcée si la cause a disparu au moment où le juge statue, ne saurait recevoir application en cause d'appel lorsque la cause de nullité invoquée n'a pas été couverte avant que les premiers juges ne statuent ; qu'en l'espèce, il résulte tant de la décision du tribunal que de celle des juges du second degré que la procédure en cause a été engagée par la société Seda, société dont la dissolution avait été prononcée, et non par son liquidateur, seul organe ayant légalement vocation à la représenter ; qu'en écartant pour les motifs susvisés l'exception de nullité invoquée par la société Peugeot, tandis que cette nullité n'avait pas été couverte lorsque le tribunal a rendu sa décision et était dès lors insusceptible d'être régularisée en cause d'appel, l'arrêt attaqué a violé les articles 117 et 121 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel a constaté que les assignations de la société Seda avaient été délivrées avant sa dissolution et qu'au surplus le liquidateur était ensuite intervenu aux débats pour agir dans le cadre de ses pouvoirs ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Peugeot fait grief à l'arrêt d'avoir estimé abusive la résiliation du contrat de concession alors, selon le pourvoi, d'une part, que le concédant n'a pas la police de son réseau et n'a pas matériellement le pouvoir d'empêcher un concessionnaire de méconnaître les droits d'exclusivité d'un autre concessionnaire ; que le concessionnaire victime des agissements fautifs d'un autre concessionnaire ne peut donc s'en prévaloir contre son concédant pour échapper à ses propres obligations sauf s'il démontre a collusion du concédant et du concessionnaire fautif ; qu'en l'espèce, la société Seda n'a jamais établi ni même allégué de collusion entre la société Peugeot et la société Géront-Chauvin ; qu'il est au contraire établi que la société Peugeot est intervenue avec succès auprès de la société Géront-Chauvin pour que celle-ci cesse ses agissements déloyaux ; que les juges du fond, pour permettre à la société Seda de se soustraire à ses obligations à l'égard du concédant, ont seulement imputé à faute à ce dernier sa passivité dans le litige qui opposait ses deux concessionnaires ; qu'ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé de faute à la charge de la société Peugeot, a violé les articles 1134 et 1147 du Code civil ; et alors, d'autre part, que le fait d'un tiers ne saurait justifier l'inexécution d'une obligation s'il n'est pas constitutif d'un cas de force majeure ; que si le fait du tiers n'est pas constitutif d'un cas de force majeure, le créancier est en droit d'exiger l'exécution pure et simple du contrat même s'il a connaissance du fait du tiers rendant seulement plus difficile l'exécution du contrat ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a dénié à la société Peugeot le droit d'exiger de la société Seda l'exécution pure et simple du contrat de concession du seul fait que les agissements fautifs de la société Géront-Chauvin, dont la société Peugeot avait connaissance, excusaient le refus de la société Seda d'exécuter ses obligations ; qu'en statuant ainsi, quand il n'était ni démontré ni même allégué que le fait du tiers, c'est-à-dire la société Géront-Chauvin, constituait un cas de force majeure, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1148 du Code civil ;
Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, la cour d'appel a constaté que la société Peugeot avait imposé à ses concessionnaires et agents les termes des contrats d'agences croisées où était prévue la possibilité de non renouvellement en cas de violation de leurs clauses ; qu'informée d'une série de manquements par la société Géront-Chauvin au contrat d'agence au détriment de la société Seda, la société Peugeot avait eu une " attitude pour le moins passive " et que, par sa lettre du 24 janvier 1984, cette société avait uniquement pris pour motif de la résiliation du contrat de concession le refus par la société Seda de signer l'avenant pour 1984 ; qu'après avoir considéré ce motif comme fallacieux, la cour d'appel a retenu qu'en réalité, le litige venait de l'exigence par la société Peugeot de la signature concomitante de l'avenant et du contrat d'agences croisées entre les sociétés Seda et Géront-Chauvin et qu'elle a énoncé que la société Peugeot " qui connaissait les infractions commises par l'agent Peugeot au droit d'exclusivité concédé à la société Seda, ne pouvait de bonne foi exiger de celle-ci, quelles que fussent les conditions auxquelles elle avait subordonné la conclusion des contrats de concession, qu'elle signe en même temps que l'avenant, le contrat d'agent avec la société Géront-Chauvin "; que, par ces énonciations et constatations, la cour d'appel, qui n'a pas retenu le fait d'un tiers pour justifier l'inexécution d'une obligation, a pu décider que la société Peugeot avait commis une faute; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le troisième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Peugeot fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer une certaine somme à titre de dommages-intérêts alors, selon le pourvoi, d'une part, que le concédant ne peut être tenu que des pertes effectivement subies par le concessionnaire et qui sont la conséquence de la rupture du contrat qui lui est reprochée ; que l'arrêt attaqué, pour apprécier le montant du préjudice subi, s'est fondé sur le rapport de l'expert, à qui il avait été demandé d'indiquer le montant des investissements réalisés par la société Seda, et a relevé que le compte courant d'associé était passé de 381 000 francs en 1983 à 1 199 000 francs au 31 décembre de la même année, ce qui démontrait de la part des dirigeants de la société Seda un effort tant financier que commercial ; qu'en se fondant sur de tels éléments, quand le concessionnaire est juridiquement indépendant à l'égard du concédant et reste propriétaire de son entreprise comme de ses investissements, de sorte que l'ensemble des immobilisations et le bénéfice pouvant en être escompté, restait acquis après la rupture du contrat, soit à la société, soit à son associé lors de sa dissolution, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ; et alors, d'autre part, que pour évaluer le préjudice subi par la société Seda, la cour d'appel, qui a estimé qu'il devait être tenu compte de ce que la période contractuelle aurait dû expirer en 1985, a relevé que la marge brute bénéficiaire avait été chiffrée à 12,39 % pour l'année 1983 ; qu'en statuant ainsi, quand il était constant que la société avait cessé son activité le 31 octobre 1984, de sorte que la seule marge dont il pouvait être tenu compte à partir de cette date était la marge bénéficiaire nette dont elle avait pu être privée jusqu'à la fin de son contrat, la cour d'appel a à nouveau violé l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu qu'après avoir relevé le contenu du rapport d'expertise, la cour d'appel, qui n'a précisé ni qu'elle retenait des investissements du concessionnaire ni qu'elle tenait compte uniquement d'une marge brute, a, par une appréciation souveraine, fixé le montant global du préjudice ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.