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Décisions

CA Versailles, 13e ch., 28 juin 1990, n° 3835-89

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Trastour et Compagnie (SNC)

Défendeur :

Chanel (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Doze

Conseillers :

Mme Monteils, M. Jauffret

Avoués :

SCP Keime-Guttin, Me Lambert

Avocats :

Mes Bessière, Rosenfeld.

T. com. Nanterre, du 17 janv. 1988

17 janvier 1988

Par lettre du 21 mars 1983, la SNC Trastour qui exploite une parfumerie à Antibes a demandé à la société Chanel d'être dépositaire de la marque, en précisant qu'elle demandait qu'on lui fasse connaître sa position sur la liste chronologique départementale.

Le rapport établi par le représentant de Chanel conclut qu'il s'agit d'un petit magasin sans standing. Sur la liste type des produits habituellement distribués, seul un nom est présent.

Chanel a donc écrit à la parfumerie Marie-Astrid, le 17 mai 1983 que sa demande ne pouvait être satisfaite en raison de l'insuffisance des critères qualitatifs.

Une nouvelle demande de janvier 1984 a reçu la même réponse.

Le 11 août 1986, la SNC Trastour a envoyé un bon de commande à Chanel qui le 18 août 1986 l'a rejetée et a restitué un chèque de 30 000 F.

L'année suivante la SNC Trastour a assigné la société Chanel en dommages-intérêts pour le préjudice causé par le refus qu'elle estime injustifié.

Par jugement du 17 janvier 1988, le Tribunal de commerce de Nanterre a débouté la société Trastour de ses demandes et l'a condamnée à verser à Chanel 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Les premiers juges ont retenu qu'il était admis que les critères sur lesquels pouvaient se fonder les producteurs pour opposer un refus de vente ne pouvaient pas être exclusivement objectifs, que Chanel pouvait donc légitimement apprécier de manière subjective la qualité du magasin.

Appelante de ce jugement, la SNC Trastour demande de dire qu'en raison de l'imprécision du motif du refus de vendre qui lui a été opposé, elle était en droit de demander les critères auxquels elle devait satisfaire :

- que Chanel avait l'obligation de répondre à une demande légitime et précise et ce d'autant plus qu'elle avait été réitérée dans des conditions normales,

- que le refus résultant du défaut de réponse entraînait l'illicéité du refus de vendre,

- que les critères devant répondre aux buts de la distribution sélective doivent être vérifiables ce qui était impossible en l'espèce par la faute de Chanel,

- que l'allégation tardive en cours d'instance d'une présentation " faussement rustique " ne pouvait justifier rétroactivement, à la supposer fondée, un refus non motivé,

- que le critère purement subjectif invoqué en cours d'instance ne pouvait justifier le refus,

- que la demande ne présentait pas un caractère anormal et était faite de bonne foi ;

D'infirmer le jugement,

- de condamner Chanel à lui payer 210 000 F à titre de dommages-intérêts et 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Elle ajoute que Chanel ne peut se prévaloir des conditions générales de vente qu'elle s'est abstenue de communiquer sur la demande d'agrément ;

Qu'elle s'est refusée à tort à fournir les critères qu'elle devait satisfaire et qui lui furent demandés à deux reprises ;

Que le refus de vendre s'appréciant en fonction de la licéité du refus d'agrément la demande était fondée à son égard.

La société Chanel demande de :

- constater que Trastour elle-même a reconnu l'insuffisance des caractéristiques qualitatives de sa parfumerie en faisant procéder à la réfection totale de sa façade,

- constater que malgré ces travaux, le magasin ne répond pas aux critères qualitatifs exigés par Chanel,

- constater en outre que les exigences qualitatives de Chanel correspondent à l'image qu'elle entend donner au public de sa marque,

En conséquence, dire le refus de Chanel fondé,

Subsidiairement,

- constater que, si l'on se place dans l'hypothèse qui lui est le plus favorable, Trastour n'a communiqué le procès-verbal de constat de réfection de sa façade qu'à l'audience de délibéré du 25 octobre 1988,

- dire que ce ne pourrait être qu'à compter de cette date que la demande de Trastour pourrait être inscrite sur les listes chronologiques des solliciteurs du département,

- constater que le plus ancien des solliciteurs en attente sur ladite liste était inscrit le 17 septembre 1982,

- constater que Trastour ne serait toujours pas agréée à l'heure actuelle,

- dire et juger qu'elle ne peut donc avoir subi aucun préjudice,

- la débouter de sa demande à ce titre,

- la débouter également de sa demande au titre de l'article 700 du NCPC,

- la condamner à payer à Chanel une somme de 10 000 F au titre du même article.

Discussion

Considérant que la SNC Trastour ne conteste pas l'existence et la licéité de l'exigence par Chanel de critères qualitatifs pour accorder la distribution de la marque, qu'elle reproche surtout à Chanel de ne pas lui avoir fait connaître de manière précise quels étaient les critères non satisfaits qui motivaient son refus ;

Considérant d'une part qu'il est établi par la production de deux rapports datés respectivement des 3 mai 1983 et 26 septembre 1986 que le représentant de Chanel a bien visité le local, contrairement à ce que prétend la SNC Trastour et que les rapports font état de critères objectifs tels que la localisation dans la ville, l'entourage immédiat d'autres commerces, la surface, les publicités visibles, le nombre de marques distribuées, ainsi que de critères laissés à l'appréciation de l'agent, tels que l'aspect et l'impression donnée ;

Considérant que les critères objectifs et précis sont déterminants pour justifier l'impression sollicitée de l'agent de Chanel ;

Considérant qu'au surplus l'appréciation de Chanel sur les qualités du point de vente n'est pas sérieusement contestée, que la société Trastour a d'ailleurs modifié en partie l'aspect de son magasin, ce qui démontre qu'elle n'ignorait pas, comme tout professionnel de la parfumerie, les critères d'appréciation habituels des producteurs ;

Considérant que, compte tenu du caractère notoire et habituel des critères déterminant le refus ou l'agrément par Chanel d'un nouveau distributeur, cette société n'était nullement obligée d'indiquer ou solliciter le détail des motifs de sa décision;

Considérant que le défaut de réponse à la demande de précision ne pouvait en tout état de cause entraîner l'illicéité du refus de vente; qu'en l'absence de faute de la société Chanel, la demande en dommages-intérêts n'est pas fondée;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Chanel la totalité des frais irrépétibles qu'elle a pu exposer.

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement du 17 janvier 1988, Condamne la SNC Trastour à payer à la société Chanel la somme de cinq mille francs (5 000 F) sur le fondement de l'article 700 du NCPC, Déboute les parties de toutes autres demandes, Condamne la SNC Trastour aux dépens et accorde à Me Lambert, avoué, le droit de recouvrement conforme aux dispositions de l'article 699 du NCPC.