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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch., 4 juillet 1990, n° 1325-89

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sabadie

Défendeur :

L'Onglerie (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gaubert

Conseillers :

Melle Courbin, M. Martin

Avoués :

Me Fournier, SCP Boyreau

Avocats :

Mes de Cabisolle, Poinsot

T. com. Bordeaux, du 10 févr. 1989

10 février 1989

Vu le jugement rendu le 10 février 1989 par le Tribunal de Commerce de Bordeaux et dont Madame Sabadie a relevé appel le 1er mars 1989 dans des conditions de régularité non discutées,

Vu les conclusions déposées pour l'appelante le 15 mars 1990 et le 11 juin 1990 et pour la SARL " L'Onglerie ", intimée, les 26 mai 1989 et 21 mai 1990,

Vu l'ordonnance du Conseiller de la Mise en Etat en date du 11 décembre 1989 ;

Attendu que la Cour se réfère pour l'exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties au jugement déféré et aux conclusions déposées étant toutefois rappelé que par contrat du 14 mai 1985 Madame Lartiguelongue, pour la SARL " L'Onglerie ", a concédé à Madame Sabadie le franchisage d'une boutique " L'Onglerie " dans son fonds situé 24 place Dupuy à Toulouse jusqu'au 14 mai 1991 ;

Que le 15 mars 1988 Madame Sabadie a dénoncé par voie d'huissier ce contrat au motif que la méthode brevetée dont se prévalait L'Onglerie n'était qu'une chimère, fait révélé par l'absence de protection de ses franchisés par le franchiseur contre des comportements de concurrence déloyale ;

Attendu que Madame Sabadie critique la décision déférée qui a rejeté sa demande de nullité du contrat pour dol alors qu'elle n'aurait pas conclu ce contrat si la société L'Onglerie ne lui avait pas fait croire lors des pourparlers qu'elle avait l'exclusivité d'une méthode de fabrication et de pose d'ongles artificiels, objet du contrat protégé par un brevet dont elle était propriétaire et ce, grâce à des cartes de visite et des lettres sur lesquelles figure la formule imprimée " méthode brevetée ", une publicité, un modèle de contrat de travail y compris les termes mêmes du contrat de franchise qui laissent penser que la méthode était protégée par un brevet, éléments constituant des manœuvres dolosives qui ont précédé, entouré et suivi la signature et l'exécution du contrat de franchise justifiant la nullité de ce contrat aux torts de la Société L'Onglerie ;

Attendu que cette société conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté Madame Sabadie de sa demande de nullité du contrat, mais par un appel incident demande le prononcé d'une interdiction absolue et immédiate à l'encontre de Madame Sabadie d'exercer un commerce de même nature que celle de son franchiseur jusqu'au terme prévisible du contrat le 15 mai 1991, la poursuite de l'activité de prothèse ongulaire par Madame Sabadie dans son fonds et son appartenance à un réseau concurrent étant amplement démontrées ; qu'elle demande réparation de son préjudice commercial consécutif à un tel comportement de concurrence déloyale ;

Sur la nullité du contrat :

Attendu que l'objet du contrat en cause est la transmission d'une formule de lancement et de la gestion d'une boutique " L'Onglerie " spécialisée dans la fabrication et la pose d'ongles en acrylique, mise au point par le franchiseur, grâce notamment à une formation professionnelle du franchisé et de ses employés, et une assistance technique, notamment par la communication des techniques de traitement des produits ;

Que ce contrat constitue un contrat de " franchise de service " dont l'objet est la transmission d'un " savoir-faire " de l'Onglerie et non d'un " brevet " d'où l'emploi des termes tels " la formule de l'Onglerie " ;

Que le " savoir-faire " en cause est concrétisé par le dépôt chez le notaire le 25 mai 1983 de documents décrivant la méthode de fabrication pour la pose d'ongles en acrylique permanent, de l'outillage nécessaire et la composition chimique des produits utilisés, marque et produits étant déposés à l'INPI depuis le 9 décembre 1983 ;

Que par ailleurs l'article 4 du contrat liant les parties détaille les services apportés par le franchiseur ;

Attendu que la validité de ce contrat doit s'apprécier lors de sa conclusion ;

Attendu que Madame Sabadie ne saurait soutenir que sa décision de contracter a été motivée par l'existence d'une brevet dont elle croyait l'Onglerie propriétaire alors que le document notarié ne fait aucune référence à une " méthode brevetée " mais à la méthode l'Onglerie, que les termes " formule ", " mise au point par le franchiseur " ou " dont le franchiseur est propriétaire ", utilisés dans divers documents, tels publicités ou papiers publicitaires visent bien un " savoir-faire " lequel peut être l'objet essentiel et même unique d'un contrat de franchisage ;

Que ce " savoir-faire ", véritable objet sur lequel a été donné l'accord des parties, n'est généralement pas breveté, la nouveauté exigée en matière de brevet ne l'étant pas dans le contrat de franchisage l'important étant que la technique en cause ne soit pas facilement accessible au public ; que le caractère breveté ne pouvait donc être l'élément déterminant du contrat de franchisage pour Madame Sabadie ; qu'il importe peu que la pose d'ongles acryliques ait existé antérieurement par une Société américaine et soit tombée dans le domaine public dès lors que l'Onglerie a communiqué moyennant redevance à son franchisé un savoir-faire, soit une connaissance technique résultant de tâtonnement, de tentatives infructueuses et d'essais, qu'elle a éprouvée elle-même et sans nul doute fait évoluer, et qui confère un avantage commercial à celui qui le détient, qu'elle a assuré la formation du franchisé et de ses employés et lui a fourni tous les éléments lui permettant l'exploitation de ce savoir-faire ;

Attendu que l'existence de cette méthode est certaine et non une chimère, que peu importe si le savoir-faire ainsi transmis conformément aux clauses contractuelles a pu se déprécier par sa vulgarisation, ce qui n'est d'ailleurs pas démontré par les pièces du dossier, la réussite de Madame Sabadie grâce à l'utilisation de ce savoir-faire étant établie par son chiffre d'affaires ;

Attendu que Madame Sabadie reproche l'absence de protection juridique la mettant à l'abri de la concurrence et qu'elle a vainement réclamée à son franchiseur par suite de l'installation dans son secteur d'une de ses anciennes employées Madame Gimet ; que toutefois les premiers juges ont relevé à juste titre que Madame Sabadie n'a pas utilisé la formule du contrat de travail préconisé par l'Onglerie et qui l'aurait protégée et qu'elle n'a pas fourni les éléments nécessaires demandés par l'Onglerie notamment par lettre recommandée avec avis de réception des 5 octobre et 2 novembre 1987, pour engager éventuellement une action contre Madame Gimet ;

Attendu au vu de ces éléments que le moyen de nullité de ce contrat lequel avait un objet bien réel et dont il n'est pas démontré que sa conclusion aurait été obtenue par des manœuvres dolosives n'est pas fondé et doit être rejeté ;

Sur l'appel incident :

Attendu que Madame Sabadie a rompu de façon anticipée et par son fait le contrat de franchisage le 15 mars 1988 ; que par lettre recommandée avec avis de réception du 18 mars 1988 l'Onglerie demandait l'application de l'article 8 du contrat aux termes duquel la résiliation anticipée du contrat par le fait du franchisé entraîne à sa charge " l'interdiction absolue, pendant toute la période restant à courir et dans le secteur géographique stipulé dans le contrat, de s'affilier, d'adhérer, de participer directement ou indirectement à une organisation comparable à celle de l'" Onglerie ", et aussi de représenter ou de se lier à tout groupement, organismes, association ou société concurrente du franchiseur ;

Attendu qu'il résulte d'un constat d'huissier du 1er avril 1988 que devant la boutique de Madame Sabadie 11 place Dupuy, se trouve un panneau publicitaire sur lequel est inscrit : " Ongl'Créanail, création d'ongles, toutes techniques de pose, ongles usines... " ; que par une publicité faite à l'occasion de la Foire de Toulouse, la boutique " Ongl'Créanail " propose la pose d'ongle acryliques ; qu'il est ainsi démontré, contrairement à l'appréciation des premiers juges que Madame Sabadie participe à une organisation comparable à celle de la Société l'Onglerie, " Créanail ", ou du moins représente dans son institut cette société créée par sa mère Madame Henry, implantée dans diverses villes et dont l'objet est identique à celui de l'" Onglerie ", soit la production et la pose d'ongles artificiels permanents ; qu'ainsi dans la liste des centres créés par Créanail, communiquée par Madame Henry à Monsieur Gatimel, Huissier de Justice à Paris, figure l'institue " Ongl'Créanail " 24 place Dupuy, soit le fonds de Madame Sabadie, laquelle a donc violé l'interdiction contractuelle qui lui était faite ;

Qu'au surplus, l'article 10 du contrat est une " clause obligation de confidentialité et de non concurrence " ainsi libellée ; " pendant tout le temps du présent contrat et trois ans après sa cessation, la franchisée s'engage expressément à ne pas exploiter dans le domaine d'activité de fabrication et de pose d'ongles en acrylique d'autres fonds de commerce que celui faisant l'objet des présentes... et à ne pas participer directement ou indirectement à l'exploitation dans le même domaine que celui faisant l'objet des présentes " ;

Que cette clause, de portée générale, trouve son application dans le cas de résiliation anticipée prévue à l'article 8 ;

Qu'une telle clause est valable en droit interne et communautaire dès lors que, inhérente au système du franchisage, nécessaire à son bon fonctionnement, elle n'est pas une restriction de concurrence au sens notamment de l'article 85 paragraphe 1 du traité de Rome, alors que limitée dans le temps et dans l'espace, elle est justifiée par un intérêt légitime lequel est la protection, non de la clientèle ainsi que le soutient Madame Sabadie mais du " savoir-faire " objet du contrat en cause ;

Que la durée limitée à 1 an d'une telle clause imposée par la réglementation communautaire concerne la période suivant la fin de l'accord ; qu'en l'espèce, et conformément aux clauses contractuelles, elle est valable jusqu'à la fin envisagée du contrat soit le 15 mai 1991, conformément à la demande de l'Onglerie, fondée à solliciter l'interdiction absolue d'exercer une activité de même nature que la sienne à l'encontre de Madame Sabadie, et ce sous peine d'une astreinte;

Attendu que Madame Sabadie a causé à la Société L'Onglerie un préjudice commercial certain, qui doit cependant être limité à la période comprise entre la résiliation du contrat le 19 avril 1988 et la présente décision à partir de laquelle interdiction absolue est faite à Madame Sabadie d'exercer l'activité concernée jusqu'au 15 mai 1991 ;

Que la somme sollicitée et justifiée dans son mode de calcul doit être réduite en conséquence à (13 762,79 x 27 mois) 371 596 F ;

Que les demandes tendant à réparer un préjudice résultant de la non réalisation de nouvelles implantations envisagées à Toulouse doivent être rejetées, l'exclusivité de ces créations, étant accordée dans l'intérêt de Madame Sabadie, aucune sanction n'étant prévue au profit du franchiseur en cas de non réalisation de ces implantations envisagées mais non certaines ;

Que pour réparer complètement le préjudice commercial de l'Onglerie il sera fait droit à sa demande du coût publicitaire d'une communication régionale dans la presse, indispensable à l'image de sa marque, sa demande étant toutefois limitée à 100 000 F ;

Que pour le même motif il y a lieu de l'autoriser à publier la présente décision dans les journaux de son choix, aux frais de la franchisée, le coût de ces insertions ne pouvant excéder 5 000 F ;

Attendu que Madame Sabadie, qui succombe en son appel, doit supporter les entiers dépens ;

Que vu les circonstances de la cause, il apparaît équitable de la condamner à payer à la Société L'Onglerie 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Reçoit Madame Sabadie en son appel principal et la SARL L'Onglerie en son appel incident ; Dit non fondé l'appel formé par Madame Sabadie et l'en déboute ; Déclare fondé pour partie l'appel incident formé par la SARL L'Onglerie et en conséquence : Confirme la décision déférée en ce qu'elle a débouté Madame Sabadie de sa demande en nullité du contrat de franchise signé le 14 mai 1985 avec l'Onglerie ; Constate que la clause de résiliation anticipée du contrat de franchise est acquise à compter du 19 avril 1988 à la SARL L'Onglerie ; Ordonne avant dire droit à Madame Sabadie : - de restituer à l'Onglerie le " pockage deal ", - de retirer tous signes distinctifs de la marque l'Onglerie, - de supprimer toutes références à l'Onglerie (catalogue, affiches, enseigne, vitrines, factures, bons de commandes, papiers à lettres etc...) ; Dit qu'en cas de manquement à ces obligations Madame Sabadie sera condamnée à payer à L'Onglerie une astreinte de 1 000 F par jour de retard à compter du 15ème jour après la signification du présent arrêt ; La réformant pour le surplus et statuant à nouveau, Prononce à l'encontre de Madame Sabadie une interdiction absolue et immédiate d'exercer à Toulouse et notamment 24 place Dupuy, une activité de même nature que celle de son franchiseur et ce, jusqu'au 15 mai 1991 et ce, sous peine d'une astreinte de 2 000 F par jour de retard, à compter du 15ème jour suivant la signification du présent arrêt et jusqu'au 15 mai 1991, passé lequel délai il pourra à nouveau être fait droit ; Condamne Madame Sabadie à payer à la SARL L'Onglerie la somme de (371 600 + 100 000) 471 600 F à titre de dommages intérêts pour préjudice commercial dû aux actes de concurrence déloyale ; Autorise la Société L'Onglerie à publier la présente décision dans deux journaux de son choix, aux frais de la franchisée le coût de ces insertions étant limité à 5 000 F ; Condamne Madame Sabadie à payer à l'Onglerie 20 000 F en application de l' article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Déboute l'Onglerie de ses autres chefs de demande ; Condamne Madame Sabadie aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Fournier, Avoué à la Cour, conformément à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.