CA Paris, 5e ch. C, 13 juillet 1990, n° 246-90
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Sovidis (Sté)
Défendeur :
CUUF (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rouchayrole (faisant fonction)
Conseillers :
M. Thery, Mme Garnier
Avoués :
Me Careto, SCP Olivier
Avocats :
Mes Chevalier, Matuchet.
Considérant que la société anonyme Sovidis a, par déclaration remise au secrétariat-greffe le 16 novembre 1989, interjeté appel du jugement en date du 23 octobre précédent par lequel le Tribunal de Commerce de Paris, tout en la disant bien fondée en sa demande en reprise de stock de chaussures de marque André, a commis René Ambus expert avec mission de faire l'inventaire des articles correspondants à la date du 14 avril 1988, de procéder à son évaluation à partir des prix facturés pour chaque livraison par la société en nom collectif CUUF et de vérifier si ce prix est diminué de la remise de 36 % contractuellement consentie au franchisé ;
Qu'en un " premier dispositif ", la même décision a dit que la société CUUF n'avait pas manqué aux engagements découlant du contrat de franchise conclu le 1er octobre 1984 par la société Sovidis et par elle et a condamné celle-là à payer à celle-ci la somme de 448 250,27 F outre celle de 5 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Considérant que, le 5 décembre 1989, la société CUUF a interjeté appel de la même décision, qu'il y a lieu à jonction des procédures engagées,
Considérant que les conclusions de la société Sovidis tendent à ce que, en infirmation du jugement entrepris, il soit constaté que la société CUUF a violé les engagements découlant du contrat de franchise, à ce qu'elle soit condamnée à lui payer, à titre de provision, la somme de 1 000 000 F et à reprendre le stock des marques André, Orcade et Minelli et à ce que soit ordonné une expertise sur les conditions d'exécution du contrat, sur le préjudice par elle subi, sur l'état du stock lors de la rupture, sur l'image qu'elle a pu en faire et sur la valeur du stock restant ;
Considérant que la société CUUF conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Sovidis au paiement de la somme de 448 250,27 F et à son infirmation en ce qu'il l'a dite tenue à reprise du stock, la demande de ladite société devant être déclarée, de ce chef, irrecevable et mal fondée ;
Qu'elle demande qu'elle soit condamnée à lui payer la somme de 10 000 F au titre de la disposition de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Considérant que, le 1er octobre 1984, était conclu entre les parties le contrat de franchise reconnaissant à la société Sovidis le franchisé, le droit à l'exclusivité pour la ville où était situé son fonds de la fourniture d'articles chaussants de marque André, avec jouissance de l'enseigne Marque André et précision des modalités de la formule de partenariat ainsi instituée ; que la société Sovidis devait payer un droit d'entrée dans le système de franchise de 60 000 F et une redevance fixée en pourcentage sur le chiffre d'affaires du mois précédent selon barème déterminé à l'article 22 de l'acte, redevance payable le 10 du mois suivant ; que ledit contrat, entrant en vigueur le 14 avril 1984, était conclu pour deux années avec tacite reconduction pour la même durée et faculté de dénonciation réciproque par lettre recommandée avec accusé de réception quatre mois avant la date prévue ; qu'en outre les parties avaient précisé unilatéralement la faculté de résilier le contrat en cas d'inexécution par l'autre de l'une des obligations lui incombant, résiliation ouvrant pour le franchiseur le droit d'attribuer la concession de franchise à une autre personne de la ville ou de la zone visée au contrat ;
Que, par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 décembre 1987, la société CUUF notifiait à la société Sovidis son intention de mettre un terme au contrat pour l'échéance du 14 avril 1988 ; que, par lettre du 6 janvier également recommandée avec accusé de réception, elle confirmait la précédente lettre qui, non réclamée par sa destinataire, lui avait été retournée ;
Considérant que, présentement, sont en discussion les deux points suivants : celui de la responsabilité que la société Sovidis impute à la société CUUF, à savoir que, n'exécutant pas correctement ses obligations de franchiseur, elle l'aurait placée dans la situation caractérisée par d'anormales difficultés dans l'exercice de ses activités ; celui de la reprise du stock des marchandises en possession de la société Sovidis.
Qu'il y a lieu de retenir que, du fait même que la société CUUF a usé de la faculté de non renouvellement en temps voulu, par la notification par lettre du 10 novembre 1989 le contrat de franchise est venu à expiration le 14 avril 1988 ;
Sur les griefs de la société Sovidis :
Considérant que celle-ci n'a pas respecté son obligation en matière de paiement de redevances ; que l'évolution de son compte, marquée par le défaut de paiement des traites relatives à la redevance mensuelle, d'octobre et décembre 1987, faisait apparaître un débit de 424 380,28 F, qu'ainsi il y avait matière à résiliation unilatérale par la société CUUF et a fortiori à refus de renouvellement, que les conclusions de la société Sovidis tendent à faire admettre que la situation ainsi crée a pour cause déterminante l'attitude de sa cocontractante caractérisée par une volonté persistante de la mettre dans l'impossibilité de faire face à son activité,
Considérant que la société Sovidis reproche à la société CUUF d'avoir remis en question l'organisation de sa formule de franchise en en excluant la personne qualifiée qui assurait son efficacité, d'avoir développé des magasins, systèmes usines, à l'enseigne Halles de la Chaussure à la périphérie des villes avec pour résultat de faire une concurrence sévère aux franchisés qui n'y bénéficiaient plus que d'une exclusivité dépourvue de tout contenu, de lui avoir refusé des livraisons correspondant à ses commandes de telle façon que les périodes de fêtes où elle était fondée à escompter un chiffre d'affaire important étaient compromises, de lui avoir refusé de participer aux campagnes de reprises de certains articles, de l'avoir mise dans la nécessité de contracter des emprunts pour agencer son magasin selon ses normes et exigences et de ne pas lui avoir révélé que l'étroitesse des marges qui lui étaient consenties aboutissaient au résultat qu'il lui a fallu un an et demi pour payer son stock;
Considérant que la société CUUF fait valoir que le refus de la commande passée par la société Sovidis en novembre 1987 est survenue alors que son compte était gravement débiteur, ce qui suffisait à justifier sa position ;
Considérant qu'il est acquis que la société Sovidis a été défaillante dans le règlement de ses échéances ; que, d'autre part, les griefs dont elle fait état, ou bien présentent un caractère général sans qu'il soit établi en quoi ils ont porté atteinte à ses droits et à ses intérêts, ou bien constituent la remise en question du contenu de l'accord des parties; que, dans les deux cas, ils ne suffisent pas à justifier que le non renouvellement du contrat soit imputé à faute à la société CUUF ;
Considérant, dès lors, que c'est avec raison que les premiers juges ont retenu que les fautes imputées à la société CUUF n'étaient pas établies ; que l'expiration du contrat ne pouvait qu'entraîner le règlement du débit du compte incombant à la société Sovidis ;
Considérant que la demande de paiement de provision formée par elle doit être rejetée ;
Sur la reprise du stock :
Considérant que, pour la mettre à la charge de la société CUUF, les premier juges se sont fondés sur la clause de réserve de propriété existant au profit de la société CUUF, clause s'appliquant dans la mesure où la société Sovidis n'en représentait pas la valeur ; qu'ils ont également retenu comme s'appliquant également à la société Sovidis la proposition faite par la société CUUF à Giuntini, simultanément son président directeur général et exploitant d'un fonds lui étant personnel à Lyon, de procéder à la reprise des marchandises non vendues ;
Considérant que la société CUUF fait valoir que la proposition dont il s'agit fait partie d'une offre transactionnelle globale qui n'a pas été acceptée par la société Sovidis et par Giuntini, de sorte qu'il ne peut lui être imposé de donner suite à partie de ce que relevant d'un ensemble ;
Considérant que la société Sovidis maintient qu'il y a bien lieu à condamnation de la société intimée à procéder à cette reprise, les stocks étant sans valeur et la possibilité de réassortiment lui étant refusée ;
Considérant que la question ainsi posée dépend, dans la solution à retenir, du point de savoir qui est le propriétaire du stock de marchandises invendues, marchandises dont le présent litige autorise à penser que la valeur est au moins incertaine ; que la charge de ce stock doit incomber à celui à qui il appartient, le cocontractant ne pouvant pas se voir imposer soit de le conserver alors qu'il ne peut pas en tirer parti soit de le reprendre matériellement sans que cela présente pour lui quelque utilité que ce soit ;
Considérant que la clause consacrée à la réserve de propriété à la société CUUF stipule que " toutes les ventes effectuées par le franchiseur au franchisé en vertu du présent contrat seront faites sous condition suspensive de l'encaissement effectif des sommes dues " ;
Qu'il en découle que les articles dont il s'agit ont fait l'objet d'une vente, c'est-à-dire d'un contrat translatif de propriété, dès lors que les choses sur lesquelles elle portait étaient définies ; que cette conséquence juridique ne pouvait ainsi être mise en échec que par l'absence de paiement desdits articles ; qu'il est à préciser que la clause n'opère pas de plein droit, mais en vertu d'une condition suspensive, impliquant que le transfert de propriété se produit par l'effet du contrat de vente sauf au vendeur à se prévaloir de la condition stipulée en sa faveur pour l'écarter ;
Qu'en l'espèce son refus de reprise des articles composant le stock implique de sa part l'intention de ne pas invoquer la condition suspensive prévue à titre de garantie en sa faveur ;
Considérant, dès lors que, propriétaire du stock, la société Sovidis ne peut pas imposer à la société CUUF sa reprise ; qu'il y a lieu d'infirmer sur ce point le jugement entrepris ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les demandes de la société Sovidis doivent être rejetées ;
Considérant que la société CUUF a été amenée à exposer des frais non taxables qu'il serait inéquitable de laisser définitivement à sa charge et qu'il y a lieu d'évaluer, pour les procédures de première instance et d'appel à la somme de 8 000 F au remboursement de laquelle doit, en sus des dépens et en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile être condamnée la société Sovidis ;
Par ces motifs : Ordonne la jonction des procédures engagées par les appels formés respectivement par chacune des parties ; Les y dit recevables, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la société CUUF n'a pas manqué aux engagements découlant pour elle du contrat de franchise qu'elle a conclu le 1er octobre 1984 avec la société Sovidis et en ce qu'il a condamné celle-ci à lui payer la somme de 448 250,27 F ; L'infirmant pour le surplus : Déboute la société Sovidis de sa demande de reprise de son stock par la société CUUF, ainsi que de ses autres demandes, La condamne à payer à la société CUUF la somme de 8 000 F au titre de dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; La condamne aux dépens, Admet Maître Careto au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.