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Décisions

CA Paris, 1re ch. B, 20 septembre 1990, n° 90-12956

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pepsico (Inc), Pepsi-Cola (SARL)

Défendeur :

Source Perrier (SA), Compagnie Française de Boissons Gazeuses, Société générale des grandes sources d'eaux minérales françaises

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guerder

Avocat général :

M. Angé

Conseillers :

Mme Ferrand-Amar, M. Tailhan

Avoués :

SCP Barrier, Monin, SCP Teytaud

Avocats :

Mes Jolibois, Pitron.

T. com. Paris, 18e ch., sect. B, du 25 m…

25 mai 1990

LA COUR statue sur l'appel interjeté à jour fixe, par les sociétés Pepsico Inc, de droit américain, et Pepsi-Cola de France, SARL de droit français, contre un jugement du Tribunal de Commerce de Paris (18e Chambre B) en date du 25 mai 1990, qui a dit que les dispositions de la loi du 14 octobre 1943 ne sont pas applicables au contrat du 20 mars 1962 conclu entre Pepsico Inc et la Sté Cie Française de boissons gazeuses, aux droits de laquelle sont venues la Sté Source Perrier, et la Sté Générale de grandes sources d'eaux minérales françaises.

Le 20 mars 1962, la société de droit américain Pepsi-Cola Company, devenue depuis Pepsico Inc, ci-après Pepsico, et la Compagnie française de boissons gazeuses, du groupe Perrier, ci-après CFBG, ont signé un contrat exclusif d'embouteillage et de distribution du produit Pepsi-Cola sur les territoires français et monégasque. Ce contrat dénommé " Exclusive Bottling Appointment " en anglais, (EBA) a été transféré, avec l'accord de Pepsico, par la CFBG à la société Source Perrier, ci-après Perrier, dont elle est la filiale.

Ultérieurement et toujours avec l'accord de Pepsico, la Société générale de grandes sources d'eaux minérales françaises, ci-après SGG, a été amenée à procéder à l'embouteillage des produits dans plusieurs usines.

Le contrat d'embouteillage avait été conclu pour une durée fixée à soixante années soit jusqu'au 20 mars 2022.

Pepsico a, à plusieurs reprises, exprimé à Perrier son mécontentement concernant les performances commerciales en France, et notamment le 22 avril 1988.

Après diverses péripéties au cours de l'année 1989, les relations entre Pepsico et Perrier sont arrivés au point de rupture.

Le 5 octobre 1989, Pepsico a affirmé l'absence d'exclusivité du contrat, puis le 31 octobre 1989, résilié unilatéralement le contrat pour la date du 31 décembre 1990, soit avec un préavis de quatorze mois.

Par acte d'huissier du 4 décembre 1989, les sociétés du Groupe Perrier ont assigné les Sociétés Pepsico et Pepsi-Cola France en annulation de la résiliation, et subsidiairement en réparation du préjudice occasionné par la rupture anticipée du contrat.

Par actes des 6 décembre 1989 et 29 janvier 1990, les sociétés du Groupe Pepsico ont assigné les sociétés du groupe Perrier aux fins de voir constater la caducité de la clause d'exclusivité stipulée au contrat, par application de la loi du 14 octobre 1943, et par voie de conséquence, la nullité du contrat en son ensemble, valider la dénonciation de l'exclusivité en date du 5 octobre 1989, exempter d'exclusivité l'exécution du préavis, subsidiairement constater l'imputabilité de la résiliation aux manquements graves et répétés de l'embouteilleur à ses obligations contractuelles.

A la demande des parties, le tribunal a statué " dans un premier temps sur l'applicabilité de la loi du 14 octobre 1943 au cas de l'espèce ".

Il a écarté l'application de ce texte en relevant essentiellement que le contrat n'interdisait pas à l'embouteilleur de distribuer des produits " soft-drinks " autres que les produits à base de cola, de sorte que la clause d'exclusivité n'entrait pas dans les prévisions de l'article 1er de la loi du 14 octobre 1943.

Les sociétés appelantes demandent à la cour de statuer " sans tarder sur l'application de la loi d'ordre public du 14 octobre 1943 aux faits de l'espèce ".

Elles font valoir que l'article 1er de la loi du 14 octobre 1943, qui limite à dix ans la durée maximum de validité d'une clause d'approvisionnement exclusif, vise l'engagement de l'acheteur de ne pas faire usage d'objets semblables ou complémentaires de manière alternative de sorte que l'interdiction d'approvisionnement en produits semblables est suffisante pour rendre la loi applicable.

Elles prétendent que les produits visés à l'article 16 du contrat sont, soit des produits semblables par imitation de Pepsi-Cola, soit des produits complémentaires, à base de cola, et que les parties n'ont pas pu prendre en considération, l'ensemble du marché des softdrinks.

Les sociétés intimées concluent à l'irrecevabilité et à tout le moins au mal fondé de l'appel.

Aucun moyen d'irrecevabilité n'est formulé.

Quant au fond, les sociétés intimées font valoir à titre principal que le contrat de 1962 n'entre pas dans le champ d'application de la loi de 1943.

Subsidiairement, elles contestent la recevabilité de l'action en nullité de Pepsico, en invoquant la prescription quinquennale de l'article 1304 du Code civil, la confirmation de la clause annulable par Pepsico pendant dix-sept années après l'échéance décennale prétendue, enfin l'absence d'intérêt légitime.

Plus subsidiairement, elles demandent à la cour de dire que du fait du préavis accordé par Pepsico, le contrat doit se poursuivre sur une base exclusive jusqu'au 31 décembre 1990.

Elles sollicitent 30 000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Par conclusions en réplique signifiées avant audience, les sociétés appelantes ont reproduit le " rappel historique " de leurs conclusions de première instance, et sollicité 50 000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Sur quoi LA COUR :

Considérant qu'aucun moyen d'irrecevabilité de l'appel n'a été formulé par les sociétés intimées ;

Considérant qu'en se bornant, dans le dispositif du jugement, à dire que les dispositions de la loi du 14 octobre 1943 n'étaient pas applicables à l'espèce, le tribunal n'en a pas moins, implicitement mais nécessairement écarté la prétention des sociétés appelantes à la caducité de la clause d'exclusivité réciproque, et même à la nullité du contrat " dans son ensemble pour absence de cause en date du 20 mars 1962 " ; que le tribunal, qui a ordonné un complément d'instruction, de la procédure, a, ainsi, tranché une partie du principal, au sens de l'article 544 du Nouveau Code de procédure civile ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 14 octobre 1943, dont les sociétés appelantes revendiquent l'application, " est limitée à dix ans la durée maxima de validité de toute clause d'exclusivité par laquelle l'acheteur, cessionnaire ou locataire de biens meubles s'engage vis-à-vis de son vendeur, cédant ou bailleur, à ne pas faire usage d'objets semblables ou complémentaires en provenance d'un autre fournisseur " ;

Considérant que le contrat conclu le 20 mars 1962 entre la société Pepsico et la société CFBG, a concédé à celle-ci, pour une durée de 60 ans, en France métropolitaine (y compris la Corse, non comprise la zone de Metz), et en Principauté de Monaco, l'exclusivité de l'embouteillage et de la distribution de la boisson gazeuse Pepsi-Cola ;

Considérant que le contrat, loin de constater un engagement unilatéral d'approvisionnement, s'analyse en un accord de distribution exclusive, au sens de la législation nationale comme de la réglementation communautaire; que l'obligation, mise à la charge du concessionnaire exclusif, de n'acheter qu'au fournisseur les produits visés au contrat dans le but de la revente de la convention, qui a pour objet la fabrication et la commercialisation sur le territoire concédé, du soda Pepsi-Cola, à partir du concentré fourni par le concédant, dans des récipients spécifiés par lui (art. 2, 5 et 12 du contrat) ;

Considérant que l'article 16 du contrat stipule que l'embouteilleur ne devra ni mettre en bouteilles, ni vendre, ni distribuer, directement ou indirectement, " aucune autre boisson ou cola, aucune autre boisson semblable à une boisson ou cola, aucune autre boisson dont la dénomination comporte le mot " cola " ou " kola ", ou le mot " Pepsi ", ou aucune autre boisson imitant la boisson (Pepsi-Cola) ou pouvant être confondue par elle " ;

Considérant que les premiers juges ont, à juste raison, restreint la portée de cette clause aux boissons gazeuses à base de cola, en les distinguant des autres boissons gazeuses, et des autres boissons sans alcool (soft-drinks), regardées comme complémentaires sans être semblables ou concurrentes ;

Qu'ils ont, à bon droit, décidé que l'article 1er de la loi du 14 octobre 1943 n'était pas applicable aux relations contractuelles des parties;

Considérant surabondamment, que la caducité de la clause d'exclusivité est édictée dans l'intérêt des parties au contrat, qui peuvent renoncer à s'en prévaloir ; que tel aurait été lé cas du fournisseur, qui a exécuté sans réserve l'accord d'exclusivité jusqu'au 5 octobre 1989, et l'a même ratifiée par le biais de contrats annuels de publicité ;

Considérant qu'il convient, en conséquence, de confirmer le jugement déféré ;

Considérant que l'équité n'impose pas en la cause l'application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : confirme le jugement déféré ; déboute les parties de leurs autres demandes ; condamne les sociétés appelantes aux dépens d'appel ; admet la Sté civile professionnelle Teytaud au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de procédure civile.