CA Angers, 1re ch. B, 5 novembre 1990, n° 652-89
ANGERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sovigro (SA)
Défendeur :
Fillon
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Micaux
Conseillers :
MM. Jegouic, Chesneau
Avoués :
Mes Vicart, Chatteleyn
Avocats :
Mes Guerin, James.
Faits, procédure, prétentions et moyens des parties :
Le 2 mai 1983, la société Sovigro a conclu avec M. G. Fillon un contrat écrit d'agent commercial dans les conditions du décret 58-1345 du 23 décembre 1958.
Le 26 mars 1987, elle lui a adressé une lettre recommandée avec accusé de réception par laquelle elle dénonçait ce contrat avec effet immédiat ;
M. Fillon a assigné le 8 décembre 1987 la société Sovigro devant le Tribunal de commerce d'Angers pour que celle-ci lui verse une somme de 400 000 F de dommages-intérêts pour rupture du contrat.
Par jugement du 25 janvier 1989 le Tribunal de commerce d'Angers a condamné la société Sovigro à verser à M. Fillon une indemnité de 90 000 F avec intérêts au taux légal à compter de la décision et une somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
La société Sovigro a relevé appel de cette décision.
Elle prétend que la rupture du contrat ne lui est pas imputable et que les manœuvres entreprises par M. Fillon pour obtenir des indemnités de résiliation indues lui ont causé un préjudice dont elle lui demande réparation à hauteur de 50 000 F.
Subsidiairement, elle estime, au cas où la Cour déciderait que la rupture du contrat lui est imputable, que M. Fillon ne justifie d'aucun préjudice et ne peut en conséquence prétendre à l'octroi de dommages et intérêts.
Elle sollicite enfin 7 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Par conclusions d'appel incident, M. Fillon demande que la société Sovigro soit condamnée à lui payer à titre d'indemnité compensatrice la somme de 400 000 F avec intérêts au taux légal à compter de la demande en justice.
Il sollicite également la somme de 10 000 F de dommages-intérêts pour appel abusif et dilatoire et celle de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Motifs :
Dans la lettre recommandée adressée le 26 mars 1987 à M. Fillon ; la SA Sovigro, de manière expresse, dénonce le contrat d'agent commercial signé le 2 mai 1983.
Se référant simplement à des entretiens préalables avec M. Fillon, elle ne fait pas état de l'accord de celui-ci pour une résiliation du contrat et n'invoque aucune faute à son encontre.
Elle prétend cependant que son intention n'était pas de rompre les relations contractuelles et se propose de reconduire le contrat dans les mêmes conditions, affirmant que M. Fillon n'a pas compris le sens de la lettre du 26 mars 1987.
Celui-ci prétend au contraire que la société Sovigro a voulu lui imposer une modification du contrat en lui supprimant la possibilité de choisir les viandes et d'en fixer le prix et en lui retirant la clientèle des supermarchés. Elle lui a interdit l'accès de ses abattoirs à partir du 30 mars 1987.
Compte tenu de ces éléments la lettre du 26 mars 1987 ne peut être analysée que comme une lettre de résiliation unilatérale par la société Sovigro du contrat d'agent commercial.
La rupture du contrat lui est donc imputable et c'est avec raison que le Tribunal a estimé que M. Fillon avait droit à une indemnité compensatrice du préjudice subi en application de l'article 3 du décret du 23 décembre 1958.
Le Tribunal, conformément à la jurisprudence, a justement relevé que cette indemnité ne devait pas, de manière générale, revêtir un caractère forfaitaire mais devait être fixée en fonction du préjudice effectivement subi par l'agent.
Il convient cependant d'appliquer les clauses du contrat signé par les parties dans la mesure où elles ne paraissent pas contraires au décret.
L'article 9 du contrat, intitulé "Résiliation", prévoit que la "résiliation par le mandant, si elle n'est pas justifiée par une faute de l'agent, ouvrira doit, au profit de ce dernier, à une indemnité compensatrice du préjudice subi calculé selon les usages de la profession d'agent commercial".
Il convient donc, sans que cela contrevienne aux dispositions de l'article 3 du décret sus-visé, de se référer aux usages de la profession pour évaluer le préjudice subi par M. Fillon.
M. Fillon expose que celui-ci résulte de la perte de clientèle qu'il a nécessairement subie en raison de l'attachement de cette clientèle au produit vendu et de la nécessité de rechercher de nouveaux fournisseurs pour maintenir le niveau des commissions qu'il pouvait espérer encaisser.
La société Sovigro prétend qu'il n'a pas apporté la clientèle qui existait déjà au moment où le contrat d'agent commercial a été conclu. Cette affirmation est en contradiction formelle avec les termes mêmes du contrat ainsi libellé en son article 4 alinéa 3 : "Toutefois la société Sovigro s'interdit par avance à faire visiter, par l'intermédiaire de ses autres agents ou représentants, la clientèle de M. G. Fillon dont une liste, visée par les parties soussignées, est demeurée annexée aux présentes".
Il est ainsi prouvé que M. Fillon a apporté sa propre clientèle à la SA Sovigro.
Les bordereaux récapitulatifs des commissions versées, prouvent en outre que M. Fillon a accru cette clientèle en la diversifiant.
M. Fillon apporte ainsi la preuve qu'il a subi un préjudice du fait de la résiliation du contrat, préjudice consistant essentiellement par la perte de la valeur de ce que les usages professionnels appellent la carte d'agent commercial.
Cette valeur correspond au prix qu'il aurait perçu s'il avait cédé les droits résultant du contrat.
Les usages de la profession fixent cette valeur à une moyenne de deux années de commissions.
M. Fillon réclame la valeur d'une année de commissions qu'il fixe à 400 000 F.
Cette valeur correspond exactement aux commissions qu'il a perçues de février 1986 à janvier 1987.
Il conviendra donc de faire droit à la demande de dommages-intérêts qu'il a présentée.
Il ne justifie pas avoir subi, du fait de l'appel, un préjudice autre que celui qui sera réparé par l'octroi des intérêts de retard qui lui seront accordées à compter de la demande en justice.
Sa demande de dommages-intérêts pour appel abusif sera donc rejetée.
Il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes des parties fondées sur l'article 700 du NCPC.
Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement, Confirme le jugement en ce qu'il a débouté la société Sovigro de toutes ses demandes et l'a condamnée à verser à M. Fillon la somme de cinq mille francs (5 000 F) par application de l'article 700 du NCPC ; Réformant pour le surplus, Condamne la société Sovigro à payer à M. Fillon la somme de quatre cent mille francs (400 000 F) à titre de dommages-intérêts au taux légal à compter de la demande en justice, Déboute les parties de leur demande fondée sur l'article 700 du NCPC et M. Fillon de sa demande de dommages-intérêts pour appel abusif, Condamne la société Sovigro aux dépens et autorise Me Chatteleyn, avoué, à recouvrer directement ceux dont il aura fait l'avance sans avoir reçu provision.