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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 5 novembre 1990, n° 89-14961

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Régie nationale des usines Renault

Défendeur :

Roussel Automobiles (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosnel

Conseillers :

Mme Mandel, M. Boval

Avoués :

SCP Roblin-Chaix-De Lavarenne, SCP Duboscq-Pellerin

Avocats :

Mes Threard, Saulnier.

T. com. Paris, du 19 juin 1989

19 juin 1989

LA COUR :

Statuant sur l'appel principal de la Régie Nationale des Usines Renault et sur l'appel incident formé par la Société Roussel Automobiles contre un jugement rendu le 19 juin 1989 par le Tribunal de Commerce de Paris, ensemble sur les demandes incidentes des parties.

Faits et procédure

Après l'entrée en vigueur en 1985 du règlement communautaire n° 123-85 sur le commerce des automobiles, la Régie Nationale des Usines Renault, suivant contrat du 2 janvier 1986, a consenti une concession exclusive pour la région d'Yvetot à la société Roussel Automobiles. Cette entreprise familiale était concessionnaire Renault à Yvetot depuis 1936.

Il était stipulé au contrat (article 12) que celui-ci était conclu pour une durée indéterminée et qu'il était susceptible d'être rompu à tout moment par l'une ou l'autre partie moyennant un préavis d'un an. Le 2 janvier 1987 a été conclu l'avenant annuel prévu au contrat (article 3), et ayant principalement pour objet de réviser les objectifs de commercialisation fixés au concessionnaire.

Le 2 décembre 1987, le Directeur commercial de zone de Renault à Rouen a adressé à la société Roussel une lettre reprochant à cette société :

- la faiblesse de son organisation et de ses résultats,

- l'absence de réunions de son réseau d'agents, un défaut d'information et d'animation de ce réseau, l'existence d'un contentieux commercial avec deux des agents relevant de la concession,

- la saleté et la vétusté des locaux commerciaux accessibles à la clientèle,

- ses relations non satisfaisantes avec la clientèle, donnant lieu à des réclamations sur les délais d'intervention trop longs et sur la qualité du service,

- la dégradation de la qualité des travaux de son atelier.

Le 6 janvier 1988, Renault a notifié à la Société Roussel sa décision de dénoncer le contrat de concession. Il était précisé dans cette lettre, faisant référence à des entretiens des 14, 16 et 28 décembre avec le Président de la Société Roussel :

- qu'en application de l'article 12 du contrat, au terme d'un préavis de 12 mois, soit le 7 janvier 1989, les relations commerciales entre les parties cesseraient définitivement,

- que par ailleurs, pour aider son concessionnaire à apurer ses encours et à respecter ses obligations financières, Renault mettrait en place un plan de diminution progressive des financements qui lui étaient accordés.

Le 15 février, la Direction commerciale de zone a fait connaître à Roussel le calendrier qu'elle envisageait pour diminuer progressivement les engagements financiers de la société face à Renault et à ses filiales financières, Diac et Cogera ; il résultait des indications données que :

- pour les véhicules réglés jusque-là par l'intermédiaire de Cogera, avec financement par Renault de 37 jours d'agios, serait mis en place à compter du 18 avril un système de mise en dépôt de 15 véhicules, la remise du procès-verbal des mines nécessaires pour l'immatriculation et la livraison aux clients étant subordonné à un paiement comptant de Roussel à Renault,

- pour les pièces de rechange jusque-là réglées à 90 jours par l'intermédiaire aussi de Cogera, il interviendrait une diminution progressive du délai de règlement pour parvenir à partir du mois de novembre à un paiement comptant à Renault,

- pour les véhicules d'occasion faisant l'objet précédemment d'une avance de financement de la Diac d'un montant de 1 500 000 F, l'avance devrait être remboursée en 9 échéances, pour aboutir à une suppression du financement le 15 novembre.

Le 22 février 1988 la société Roussel a fait part à Renault de son désaccord, émettant plus les expresses réserves sur la décision de résilier le contrat de concession et s'opposant à toute modification des conditions de règlement des véhicules neufs et des pièces de rechange.

Le 31 mars 1988, Roussel a adressé à Renault une lettre recommandée avec demande d'avis de réception, pour :

- appeler son attention sur les agissements de deux de ses agents qui détournaient selon elle les clientèles de leur secteur vers d'autres concessions,

- réclamer, en conséquence de ce qu'elle qualifiait d'amputation de fait de son territoire concédé, une diminution des objectifs commerciaux fixés dans le projet d'avenant que lui avait adressé Renault,

- refuser les clauses financières de l'avenant et protester contre le fait qu'ai été portée sur celui-ci la date du 4 janvier, revenant selon elle à lui conférer un effet rétroactif inacceptable.

Par lettre du 6 avril 1988, Renault a fait savoir à Roussel qu'elle la considérait comme totalement responsable de ses relations avec son réseau d'agents, qu'elle entendait maintenir les objectifs commerciaux qu'elle lui avait fixés, et enfin que les clauses financières de l'avenant qui lui avait été adressé s'appliquaient désormais à toutes les concessions.

Le 14 mai 1988, Roussel a résilié les contrats de trois de ses agents qui pour deux d'entre eux, selon elle, ne lui adressaient plus de commandes et détournaient la clientèle vers les concessions voisines, et pour le troisième avait cessé de lui régler les véhicules et pièces de rechange qu'elle lui fournissait. Elle a donné aux intéressés le préavis de 3 mois prévu à leurs contrats et les a invités à déposer et à tenir à sa disposition pour le 16 août les panneaux de la marque en leur possession.

Par lettre du 29 juin 1988, Renault a informé Roussel qu'elle avait fait constater par huissier au mois de mai que cette société "proposait à la vente des véhicules Peugeot extrêmement récents et de très faible kilométrage en provenance du constructeur ", qu'elle considérait qu'une telle pratique constituait un manquement grave à l'obligation d'exclusivité imposée à cette société par le contrat de concession, et qu'elle s'estimait en conséquence libérée de sa propre obligation d'exclusivité, par application de l'article 2-3 du contrat.

Le 17 août 1988, Roussel a de son côté fait constater par huissier que deux des agents dont elle avait résilié les contrats, avaient refusé de remettre les panneaux et autres signes de la marque en leur possession, et avaient justifié leur refus en produisant des lettres de Renault datées du 11 août les informant de leur rattachement à compter du 16 août, date d'expiration de leur contrat d'agent avec Roussel, à deux autres concessions Renault situées respectivement à Barentin et à Fecamp.

Il convient d'ajouter que Cogera qui, le 18 juillet, avait informé Roussel de ce qu'elle résiliait avec préavis de 2 mois le contrat de financement qui les liaient, en raison de la modification des conditions d'exploitation de cette société due à la suppression de son exclusivité, la mettait en demeure, le 24 septembre, de lui régler le solde de ses encours financiers, soit environ 800 000 F, et que le 22 septembre Renault avait informé Roussel de ce qu'elle ne pourrait s'approvisionner en pièces de rechange auprès du magasin central de l'usine mais devrait s'adresser à la succursale du Havre avec règlement par chèque exigé à partir de 20 000 F d'achats.

Le 21 octobre 1988, Roussel a assigné en référé Renault et Cogera devant le Président du Tribunal de Commerce de Paris pour faire condamner ces sociétés à poursuivre l'exécution des contrats en cours avec elle. Par ordonnance du 27 octobre, le juge des référés a ordonné à Renault et Cogera, sous astreinte de 10 000 F par jour, de poursuivre l'exécution "du contrat de concession conclu entre les parties jusqu'au 9 janvier 1989 ".

Par assignations au fond des 27 octobre 1988 et 27 janvier 1989, Roussel a attrait Renault et Cogera devant le Tribunal de Commerce de Paris, aux fins :

- de faire dire que Renault avait résilié abusivement et de mauvaise foi le contrat de concession qui les liaient,

- de faire dire également que le contrat de concession exclusive était devenu caduc ou avait en tout cas été résolu aux torts de Renault le 29 juin 1988, date de la suppression de son exclusivité,

- de faire déclarer qu'il s'était établi ensuite un contrat de fait de distribution sélective que Renault, de concert avec Cogera, n'avait pas exécuté de bonne foi, et que Renault avait ultérieurement rompu sans préavis le 7 janvier 1989,

- de faire condamner en conséquence, d'une part les deux sociétés solidairement à lui payer une indemnité de 3 472 248 F, et d'autre part Renault à lui verser, du fait de la rupture du contrat, une indemnité supplémentaire de 2 872 272 F.

Roussel sollicitait subsidiairement une expertise et elle réclamait, outre le bénéfice de l'exécution provisoire, l'allocation d'une somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Renault conclut au débouté de ces demandes, et réclame les sommes de 30 000 F à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et de 15 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par jugement du 19 juin 1989, le Tribunal de commerce a dit que Renault avait résilié abusivement et de mauvaise foi le contrat de concession à durée indéterminée la liant à Roussel, estimé qu'il n'y avait pas lieu à expertise pour fixer le montant du préjudice de ce chef, et renvoyé les parties à une audience du mois de septembre 1989 pour conclure sur cette partie du litige. Il a par ailleurs jugé que Renault avait aussi abusivement rompu la convention d'exclusivité qui la liait à son concessionnaire pendant la durée du préavis, et il l'a en conséquence condamnée à payer à Roussel de ce chef une indemnité de 1 200 000 F. Rejetant toute autre demande, il a ordonné l'exécution provisoire moyennant constitution d'une caution et a condamné Renault à payer la somme de 35 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Appelante suivant déclaration du 24 juillet 1989, Renault prie la Cour de confirmer la décision du Tribunal en ce qu'elle a débouté Roussel de sa demande fondée sur la rupture abusive d'un contrat de distribution sélective et de sa demande corrélative en paiement d'une indemnité. Pour le surplus, elle réclame que le jugement soit infirmé en ses autres dispositions, que soit ordonné le remboursement avec intérêts de droit de la somme de 1 200 000 F qu'elle a réglée en vertu de l'exécution provisoire, que Roussel soit déboutée de toutes ses demandes et enfin que cette société soit condamnée à lui payer la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Roussel demande à la Cour :

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré abusive la rupture par Renault du contrat de concession qui les liait,

- de dire qu'au surplus Renault lui a retiré abusivement en cours de préavis la représentation exclusive de la marque,

- de dire que le contrat de concession est devenu caduc, en raison de ce retrait d'exclusivité le 29 juin 1988, et d'en prononcer en tant que de besoin la résolution aux torts exclusifs de Renault,

- de condamner Renault à lui payer à titre de dommages intérêts pour la perte de la concession exclusive et les profits qu'elle était en droit d'en escompter la somme de 6 790 743 F, avec intérêts de droit à partir du 19 juin 1989 ;

- de dire qu'à compter du 29 juin 1988, date de la suppression de l'exclusivité, les rapports entre les parties se sont poursuivis en fait selon les règles de la distribution sélective, et de condamner Renault, pour ne les avoir pas appliquées de bonne foi à lui payer la somme de 3 500 000 F à titre de dommages intérêts, avec intérêts de droit,

- subsidiairement, d'ordonner une expertise pour faire recueillir des éléments d'appréciation de son préjudice,

- de condamner enfin Renault à lui payer la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Discussion

Sur la rupture du contrat de concession

Considérant que le Tribunal a estimé que " sans motiver la résiliation du contrat la liant à Roussel ", Renault avait agi abusivement et de mauvaise foi ;

Considérant qu'aux termes de la convention litigieuse, à condition de prévenir son cocontractant dans le délai d'un an, Renault était effectivement en droit, ainsi qu'elle le soutient, de mettre fin à la concession, sans même avoir à motiver sa décision ;

Mais considérant que ce droit devait être exercé en respectant la bonne foi qui doit gouverner les relations contractuelles, et sans commettre d'abus ;

Considérant qu'à ces deux titres, les agissements de Renault sont mis en cause par Roussel ; que celle-ci reproche à son adversaire d'avoir allégué à l'occasion de la rupture des motifs inexacts et fallacieux, d'avoir irrégulièrement supprimé en cours de préavis son exclusivité de vente, et enfin d'avoir pendant la même période, dans le but de lui nuire, commis différents manquements à ses obligations ;

1/ Sur les motifs de la résiliation

Considérant que la lettre adressée le 6 janvier 1988 par Renault à Roussel ne lui annonce pas, mais lui " confirme ", sa décision de dénoncer le contrat de concession ; qu'en faisant référence, de manière expresse, aux réunions tenues les 14, 16, et 28 décembre entre le Directeur commercial de zone et le Président de Roussel, ladite lettre renvoie à l'évidence au courrier de Renault du 2 décembre 1987 qui a immédiatement précédé ces réunions et qui les a rendues nécessaires compte tenu des graves reproches qu'il articulait à l'encontre du concessionnaire ;

Considérant que le bien fondé de ces griefs, déjà énoncés ci-dessus (et qui mettaient en cause pour l'essentiel une insuffisance des résultats commerciaux, un défaut d'animation du réseau d'agents et l'existence d'un contentieux avec deux d'entre eux, la saleté et la vétusté des locaux, et enfin la dégradation de l'atelier ainsi que du service à la clientèle), est totalement contesté par Roussel ; que celle-ci fait observer que Renault n'en a jamais apporté la moindre justification, que ce soit en première instance ou devant la Cour ;

Considérant qu'il ne peut pas être reproché à Renault qui n'était pas tenu de motiver sa décision de résiliation, d'avoir avancé des motifs qui s'avéreraient simplement inexacts; qu'elle ne saurait en revanche, eu égard à l'obligation générale de loyauté qu'édicte l'article 1134, article 3 du Code Civil, avoir impunément eu recours à des motifs délibérément fallacieux;

Considérant qu'à cet égard les griefs de Renault relatifs à la saleté et à la vétusté des locaux commerciaux de la société concessionnaire sont justement critiqués par celle-ci; qu'elle établit en effet que les locaux considérés ont été entièrement reconstruits et réaménagés entre 1981 et 1984 sur les plans fournis par Renault, et qui sont d'ailleurs versés aux débats ; qu'elle fait valoir que lesdits locaux ont même été présentés par un prospectus publicitaire pour le matériel de nettoyage Nilfisk, comme un modèle d'entretien ; que la photographie reproduite sur ce prospectus, de même que les autres photographies, intérieures et extérieures, qui figurent au dossier démontrent que les reproches émis par Renault sur ce point, sont très manifestement contraires à la réalité et que la Régie ne pouvait s'y tromper;

Considérant que les griefs adressés par Renault à Roussel concernant l'insuffisance de ses résultats et l'existence d'un contentieux avec deux de ses agents suscitent des observations similaires; qu'en l'absence d'éléments de comparaison contradictoirement discutés par les parties la Cour n'est pas en mesure d'apprécier de manière certaine les résultats commerciaux de Roussel ; que celle-ci produit des pièces qui établiraient selon elle qu'elle aurait été l'une des concessions Renault les plus performantes pour la zone de Rouen en 1986 ; qu'il est constant en tout cas qu'en dépit du présent litige, elle a dépassé en 1988 les objectifs contractuels qui lui avaient été impartis ; qu'en ce qui concerne l'année 1987, pour laquelle elle reconnaît n'avoir pas atteint ses objectifs, elle justifie avoir été victime de détournements de ventes de véhicules neufs et de pièces de rechange de la part de certains agents, qui avaient cessé de se fournir auprès d'elle pour s'approvisionner auprès de concessionnaires voisins ;

Considérant qu'elle rapporte la preuve de ce que l'agent Godefroy, auquel elle a fourni respectivement 51 et 45 véhicules neufs en 1984 et 1985, ne lui en a racheté que 20 en 1986, et a interrompu toutes commandes en 1986 et 1987 ; que de la même manière, elle démontre que les commandes passées auprès d'elle par l'agent Lopera sont passées de 64 véhicules neufs en 1986, à 15 en 1987 et à 5 en 1988 ; que les statistiques exhaustives qui émanent de Renault elle-même et qui détaillent l'origine des ventes sur le territoire de la concession d'Yvetot, font apparaître une multiplication des immatriculations sur ce territoire de véhicules provenant des concessions de Fecamp et de Barentin, puis de la propre succursale Renault de Rouen ; que les immatriculations considérées au nombre de 37 en 1986, et de 83 en 1987, se sont élevées au chiffre de 86 pour les 10 premiers mois de 1988 ;

Considérant que Renault ayant organisé son réseau de distribution suivant un principe d'exclusivité territoriale, devait faire observer celui-ci par les membres dudit réseau; qu'elle ne pouvait manifestement pas ignorer les atteintes systématiques portées à ce principe au détriment de Roussel sur le territoire concédé à celle-ci; qu'elle n'a pourtant rien fait pour en assurer le respect;

Considérant bien au contraire qu'ainsi que les premiers juges l'ont justement relevé, en rattachant à d'autres concessions en août 1988, les agents résiliés par Roussel, elle a apporté la preuve qu'elle connaissait parfaitement les résultats de ceux-ci et qu'elle couvrait par là le non respect de leurs obligations contractuelles; qu'eu égard à la connivence ainsi démontrée, les griefs de Renault à l'encontre de Roussel concernant les agents en cause et ses résultats commerciaux n'apparaissent pas avoir pu être faits de bonne foi;

2/ Sur la suppression de l'exclusivité le 29 juin 1988

Considérant qu'est également mise en cause la décision prise par Renault le 29 juin 1988 de supprimer l'exclusivité accordée à son concessionnaire ;

Considérant que Renault invoque, pour justifier cette décision, un constat qu'elle a fait dresser le 27 mai 1988 par Me Leduc, Huissier de Justice, qui aurait établi selon elle que Roussel, en violation de ses obligations contractuelles, distribuait des véhicules à l'état neuf de marque Peugeot, et donc concurrents des siens ;

Considérant que Roussel ne conteste pas qu'aient été offerts à la vente dans ses locaux le jour où a été dressé l'acte, une voiture Peugeot 505 V6 et un fourgon J5 ayant seulement effectué, l'un 24 km et l'autre 12 km ; mais qu'elle indique que ces véhicules n'étaient pas présentés par elle comme étant des véhicules neufs, s'agissant en réalité de véhicules de démonstration, précédemment immatriculés par Les Automobiles Peugeot, respectivement le 22 juillet 1987 et le 24 février 1988, et qu'elle avait ensuite rachetés ;

Considérant que les premiers juges ont exactement relevé que les véhicules litigieux, présentés par Roussel comme étant d'occasion, ne pouvaient suivant une jurisprudence constante, être qualifiés de neufs alors qu'ils avaient été immatriculés par un précédent propriétaire ; qu'il y a lieu d'ajouter que ces véhicules, dont l'un avait été immatriculé près d'un an avant la date du constat, n'étaient pas vendus dans les mêmes conditions que des véhicules neufs puisque leur prix était très sensiblement inférieur à celui d'automobiles identiques neuves (125 000 F au lieu de 155 000 F pour la 505) et que la garantie du constructeur ne s'étendait pas aux 12 mois habituels mais était réduite du temps écoulé depuis leur immatriculation ; qu'au demeurant, Renault elle-même, dans sa lettre du 29 juin 1988 ci-dessus rappelée, a fait état de " véhicules extrêmement récents et de faible kilométrage " et non pas de voitures neuves ;

Considérant qu'il doit constaté qu'aux termes du contrat de concession qui avait été conclu entre les parties, l'exclusivité à laquelle s'obligeait le concessionnaire ne portait que sur les produits contractuels, définis à l'article 2-1 du contrat comme étant les véhicules neufs ; que par ailleurs l'article 2-3 du contrat invoqué par Renault pour suspendre l'exclusivité due à son concessionnaire n'autorisait le concédant à conclure des accords de distribution avec des tiers ou de modifier le territoire concédé que dans ce cas où il aurait démontré des justifications objectives, c'est à dire en fait une évolution du marché ; qu'ainsi même si elle avait été avérée la distribution de véhicules neufs concurrents, n'aurait pu en principe permettre à Renault que de procéder, conformément à l'article 13-3 du contrat, à une résiliation anticipée avec un préavis réduit à trois mois ;

Mais considérant que cette disposition, qu'elle aurait donc du normalement appliquer eu égard aux faits qu'elle invoquait, n'aurait pas permis à Renault qui a fait procéder au constat de Me Leduc le 27 mai 1988 après la notification de la résiliation de leurs contrats aux agents en conflit avec Roussel, de rattacher ces agents à d'autres concessions sans qu'ils aient à subir une interruption de leur activité, alors qu'elle entendait les maintenir dans son réseau et les faire échapper à la sanction contractuelle que leurs agissements appelaient de la part de Roussel ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble des observations qui précèdent que Renault a en réalité utilisé comme prétexte les faits qu'elle a fait constater le 27 mai 1988 ; qu'elle a abusivement supprimé l'exclusivité qu'elle devait à Roussel;

3/ Sur les autres agissements de Renault pendant la période de préavis

Considérant que Roussel reproche à Renault d'avoir unilatéralement restreint puis supprimé les concours financiers qu'elle lui apportait en liaison avec ses filiales financières Cogera et Diac ;

Qu'il est constant, en effet, qu'au motif allégué d'aider son concessionnaire à apurer ses encours et à respecter ses obligations financières, Renault a imposé à Roussel, malgré les contestations de celle-ci, un plan prévoyant la diminution progressive, puis la suppression pour le début du mois de novembre 1988, des concours financiers dont elle bénéficiait antérieurement; que dans les faits lesdits concours ont été à peu près tous supprimés dès le mois de septembre;

Considérant que les explications de Renault selon lesquelles ces dispositions n'auraient causé aucun préjudice à Roussel, qui aurait toujours eu l'obligation de payer comptant les véhicules neufs et les pièces de rechange et qui aurait bénéficié d'une liberté totale dans le choix de ses organismes de financement, ne peuvent pas être suivies ; qu'en effet le contrat prévoyait un règlement comptant, mais par l'intermédiaire d'organismes financiers agréés par la Régie ; que par ailleurs Renault accordait une ristourne correspondant à 37 jours d'agios sur le prix des véhicules neufs, ce qui revenait à consentir au concessionnaire une importante réserve de trésorerie gratuite.

Considérant que Roussel indique avoir été contrainte pour assurer la poursuite de son activité, de recourir à un emprunt de 5 000 000 F auprès de la caisse d'épargne d'Yvetot ; que Renault est mal fondée à soutenir, ainsi que le fait, que ce financement consenti aux conditions du marché était équivalent aux concours qu'elle apportait auparavant ;

Considérant en revanche que l'attribution de ce prêt démontre que la situation financière de la société ne suscitait pas d'inquiétudes de la part de tiers particulièrement avisés en pareille matière, et que Renault ne peut sérieusement justifier les dispositions qu'elle a prises, ni par l'intention d'aider son concessionnaire, qu'elle a invoquée, ni même par le souci de se prémunir contre le risque de difficultés financières de celui-ci; que ses agissements, au contraire, en alourdissant les frais financiers, en compliquant la gestion et en fragilisant Roussel, étaient clairement de nature à créer un risque de défaillance de cette société;

Considérant que Renault ne justifie pas davantage de raisons légitimes pour la modification unilatérale, à laquelle elle a procédé, des conditions d'approvisionnement de son concessionnaire; qu'en contraignant notamment Roussel, alors que celle-ci avait un objectif contractuel de 6 600 000 F en ce qui concerne les pièces de rechange, à ne plus se fournir à partir de septembre 1988 auprès de son magasin central, mais à s'adresser comme n'importe quel garagiste réparateur à la succursale du Havre, un paiement comptant étant exigé dès 20 000 F de fournitures, elle a manifestement aggravé les conditions d'exploitation de la société;

Considérant enfin que Roussel verse contradictoirement aux débats des pièces tendant à démontrer :

- que Renault ne l'a pas conviée à participer à diverses manifestations tenues en juin, juillet et septembre 1989 pour la présentation au réseau du nouveau modèle de voiture Renault 19 et qu'elle n'a pas non plus répondu aux lettres ou télex de réclamation ou de mise en demeure qu'elle lui a adressés à ce sujet;

- qu'en revanche des agents relevant de la concession ont reçu directement des mains d'un représentant du constructeur les badges permettant l'accès à ces manifestations et que plusieurs d'entre eux précisent, dans des lettres produites par la société, que ce préposé de Renault leur aurait à cette occasion indiqué que Roussel n'avait plus, ce qui était manifestement inexact à l'époque, la qualité de concessionnaire,

- que Renault après lui avoir transmis le 14 octobre la commande de quatre véhicules destinés à la flotte d'une auto-école, a annulé quelques jours plus tard cette commande, qu'elle a fait livrer au mois de décembre par la concession de Fecamp ;

Considérant que ces éléments qui ne sont pas sérieusement contestés par Renault caractérisent de la part de cette société des actes fautifs de dénigrement et de discrimination à l'égard de son concessionnaire;

Sur les conséquences juridiques de la rupture

Considérant que les agissements de Renault qui ont été ci-dessus examinés justifient, qu'ainsi que le demande en premier lieu Roussel, le jugement entrepris soit confirmé en ce qu'il a déclaré que Renault avait rompu abusivement et de mauvaise foi le contrat de concession ;

Considérant en revanche qu'il ne peut être fait droit aux demandes également présentées par Roussel et tendant à voir sanctionner la suppression de l'exclusivité décidée à son encontre le 29 juin 1988, par la caducité ou la résiliation du contrat aux torts du concédant ;

Qu'il sera relevé que la caducité doit dépendre d'un événement extérieur à la volonté des parties, et ne peut dès lors être retenue en l'espèce ;

Que la demande en résolution du contrat aux torts de Renault ne saurait davantage prospérer, parce qu'elle apparaît incompatible avec les prétentions par ailleurs présentées par Roussel et auxquelles il a été fait droit, tendant à voir déclarer abusive la résiliation du même contrat ;

Considérant enfin que la demande de Roussel tendant à voir dire qu'à compter du 29 juin 1988, date de la suppression par Renault de l'exclusivité qui lui était précédemment reconnue, les rapports des parties se seraient poursuivis selon les règles de la distribution sélective, ne peut pas non plus être accueillie ; qu'en effet faire droit à une telle demande reviendrait à reconnaître l'existence d'une novation malgré les dispositions de l'article 1273 du code civil aux termes duquel la novation ne se présume pas, et alors au surplus qu'en l'espèce, Roussel, loin d'accepter la suppression de l'exclusivité, en a demandé le maintien en référé ;

Sur les demandes en paiement de dommages intérêts

Considérant tout d'abord, qu'en conséquence du rejet des prétentions de Roussel tendant à voir dire que se serait établi après la suppression de l'exclusivité un contrat de fait de distribution sélective, il convient de repousser la demande de cette société en paiement d'une indemnité de 3 500 000 F du fait de la rupture du contrat ainsi allégué ;

Considérant que Roussel réclame par ailleurs une indemnité de 6 780 743 F en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de la perte de sa concession exclusive ainsi que des gains dont elle a été ainsi privée ; que la rupture abusive et de mauvaise foi du contrat de concession par Renault engage la responsabilité de celle-ci qui devra être condamnée à réparer l'intégralité du préjudice causé ;

Mais considérant qu'avant dire droit sur l'évaluation de ce préjudice et le montant des dommages intérêts, l'expertise subsidiairement sollicitée par Roussel sera ordonnée au dispositif du présent arrêt ;

Sur la demande en liquidation d'astreinte

Considérant que Roussel demande l'allocation d'une somme de 410 000 F au titre de la liquidation de l'astreinte qui avait été prononcée en référé, le 27 octobre 1988, par le Président du Tribunal du Commerce de Paris à l'encontre de Renault et Cogéra ; mais qu'eu égard notamment au fait que cette dernière société n'est pas partie à la présente instance, il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande ;

Sur les autres demandes

Considérant enfin qu'en raison de l'expertise ordonnée avant dire et droit sur l'évaluation du préjudice résultant de la rupture du contrat de concession et le montant des dommages intérêts, il y a lieu de surseoir à statuer sur le surplus des demandes en remboursement de la somme de 1 200 000 F présentée par Renault, ainsi que sur les demandes formées au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et de réserver les dépens ;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges : Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a : - dit que La Régie Nationale des Usines Renault avait résilié abusivement et de mauvaise foi le contrat de concession qui la liait à la société Roussel Automobiles, - débouté la société Roussel Automobiles de ses demandes en caducité et en résolution du contrat de concession, ainsi que de sa demande fondée sur la rupture abusive d'un contrat de distribution sélective, Ajoutant audit jugement : Déboute la société Roussel Automobiles de sa demande en paiement d'une indemnité de 3 150 000 F pour rupture abusive d'un contrat de distribution sélective, Dit n'y avoir lieu de procéder à la liquidation d'astreinte demandée par la société Roussel Automobiles, Condamne La Régie Nationale des Usines Renault à réparer l'entier préjudice subi par la Société Roussel Automobiles du fait de la rupture abusive et de mauvaise foi du contrat de concession ; Avant dire droit sur l'évaluation du préjudice, et le montant des dommages intérêts : Désigne : Monsieur Moity Bernard, 48 boulevard des Batignolles 75017 - Paris, Tel 42.93.64.21, avec mission de prendre connaissance de tous documents détenus par les parties ou par des tiers et de fournir à la Cour tous élément permettant d'évaluer le préjudice subi par la société Roussel Automobiles en raison des fautes commises par La Régie Nationale des Usines Renault ; Dit que faute de constater l'accord des parties, l'expert dressera un rapport qu'il déposera au greffe de cette Cour avant le 15 juin 1991 ; Dit que la société Roussel Automobiles consignera au greffe de la Cour la somme de 15 000 F à valoir sur les honoraires de l'expert avant le 15 décembre 1990 ; Dit qu'à défaut de consignation dans le délai imparti, la désignation de l'expert sera caduque, et l'affaire retirée du rôle de la Cour ; Surseoit à statuer sur le surplus des demandes des parties ; Réserve les dépens.