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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 11 décembre 1990, n° 89-21.480

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Savap (SA)

Défendeur :

Régie nationale des usines Renault

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vengeon

Conseillers :

MM. Guérin, Bergougnan

Avoués :

SCP Roblin, Me Jobin

Avocats :

Mes Threard, Neret.

CA Paris n° 89-21.480

11 décembre 1990

La société Savap ancien concessionnaire des Usines Renault est appelante d'un jugement rendu le 28 septembre 1989 par le Tribunal de Commerce de Paris qui a rejeté la demande de cette société tendant à constater la résiliation abusive du contrat à durée indéterminée l'unissant à la Régie Renault, condamné la Savap au paiement d'une somme de 126 144 F augmentée des intérêts au taux légal à compter du 28 février 1998, avec provisions de trois millions de francs et ordonné une expertise comptable entre les parties.

La cour se référant à la décision précitée pour un exposé plus complet des faits, de la procédure antérieure et des prétentions des parties, il suffit de rappeler les éléments suivants :

Le contrat de concession automobile de type européen liant la Savap à la Régie nationale des Usines Renault dite RNUR, conclu avec prise d'effet au 1er janvier 1986 pour une durée indéterminée, stipulait notamment aux termes de ses dispositions qu'il pouvait être résilié moyennant un préavis de douze mois par lettre recommandée avec accusé de réception et que les véhicules neufs et les pièces de rechange étaient payables comptant pour les premiers et au plus tard à quatre-vingt-dix jours fin de mois pour les secondes par l'intermédiaire d'un organisme agréé par la Régie.

En application de ces dispositions la Savap signait avec la Cogera pour une durée de quinze mois à compter du 1er octobre 1986 un contrat de financement pour les véhicules neufs et les pièces détachées et avec la Diac une convention d'ouverture de crédit pour les véhicules d'occasion.

Le 31 décembre 1986, la RNUR informait Monsieur Dailloux directeur de la Savap de son intention, conformément aux dispositions de l'article 12 de la convention, de ne pas poursuivre leurs relations contractuelles.

La Savap par divers courriers sollicitait la poursuite des relations contractuelles au-delà du 31 décembre 1987, ce que refusait la RNUR par un courrier recommandé avec accusé de réception du 15 mai 1987. Tandis que la Cogera et la Diac modifiaient les conditions de financement prévues aux contrats.

Estimant que la RNUR avait résilié le contrat de concession sans motif légitime, l'avait privée frauduleusement du bénéfice du préavis et avait remis en cause les conditions de financement avant l'expiration de la convention, la Savap assignait la RNUR subrogée par ailleurs dans les droits de la Diac devant le Tribunal de commerce de Paris qui rendait la décision frappée d'appel.

Reprenant pour l'essentiel les moyens déjà soutenus devant le premier juge la Savap conclut à l'infirmation du jugement entrepris et demande à la cour de constater que la RNUR a engagé sa responsabilité en résiliant sans motif légitime le contrat de concession et, de la condamner au paiement d'une provision de trois millions de francs à titre de dommages et intérêts, d'une somme correspondant à la valeur de son stock de pièces détachées évalué au prix de revente à la clientèle contre reprise de celui-ci aux frais de la Régie, outre une indemnité de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Elle sollicite en outre une mesure d'instruction en vue d'évaluer son préjudice définitif et la perte de la chance de voir se poursuivre le contrat de concession pendant un délai de préavis normalement exécuté. Elle invoque à l'appui de ses intentions :

- que la RNUR a manqué à son obligation de bonne foi en dissimulant ses véritables intentions pendant le premier semestre de 1987 comme en poursuivant leurs relations commerciales, alors que le préavis est destiné à permettre au concessionnaire d'assurer la reconversion de ses structures ;

- que le contrat de concession conclu dans l'intérêt commun des deux parties en vue de créer et développer une clientèle de marque à laquelle le distributeur a concouru par ses investissements ne peut être résilié sans motifs légitimes dont la Régie doit justifier, alors qu'elle-même concessionnaire a rempli tous ses engagements, augmenté ses ventes de 21 % en un an et satisfait aux objectifs imposés par la Régie ;

- que le concédant doit en vertu des dispositions du traité de Rome et du droit de la concurrence réserver un traitement égal à tous les concessionnaires de son réseau et par voie de conséquence motiver les raisons de l'exclusion d'un concessionnaire dès lors qu'il invoque à son encontre aucun motif de nature à permettre l'application de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

- que la Régie a contrevenu à ses engagements et commis un abus de droit en modifiant unilatéralement les conditions des contrats de financement conclus avec la Cogera et la Diac qui constituaient une des conditions déterminantes du contrat de concession ; que ces modifications ont eu pour conséquence de rendre l'encours immédiatement exigible, d'entraîner la facturation au comptant des livraisons de voitures selon la procédure dite "du dépôt" ;

- que la succession de ces événements sur une période très courte démontre l'existence d'une collusion en vue de contraindre la Savap à cesser toute activité avant l'issue normale du contrat et de l'amener à céder ses actifs au concessionnaire de Niort à un prix inférieur à leur valeur ;

- que la résiliation du contrat de concession indispensable à la poursuite d'une activité économique satisfaisante de l'entreprise a eu pour conséquence directe une perte de chiffre d'affaires et un déficit d'exploitation évalué à près de trois millions de francs, sans tenir compte de la perte d'activité subie au cours du premier semestre 1988 puisque la Savap n'est devenue le concessionnaire de la Marque Opel que le 1er juillet 1988 ;

Contestant le caractère décisif de la résiliation du contrat de concession et l'inexécution fautive de ses engagements la RNUR conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de la Savap au paiement d'une indemnité de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au motif que :

- la résiliation d'un contrat à durée indéterminée est libre sauf à sanctionner l'abus commis dans l'exercice de ce droit dont la preuve incombe au concessionnaire ;

- que l'examen des circonstances de la résiliation du contrat de concession ne révèle l'existence d'aucune faute ou abus de sa part et que les modifications apportées aux contrats de financement conclus librement entre la Savap d'une part et la Cogera et la Diac d'autre part sont conformes aux stipulations contractuelles ;

Sur ce, LA COUR

Considérant qu'aux termes du contrat conclu le 4 mars 1986 la RNUR a confié, pour une durée indéterminée l'exclusivité de la vente de ses véhicules neufs et d'occasion à la Savap en l'obligeant à ne pas vendre à un concurrent actuel ou éventuel du concessionnaire et à ne pas créer d'autres concessions dans la zone attribuée à cette société ; que celle-ci par réciprocité s'engageait à ne pas vendre des produits concurrents de ceux pour lesquels la concession a été accordée ;

Considérant qu'aux termes de l'article XII de cette concession il pourra, sous réserve des dispositions des articles 3 et 13, être mis fin au contrat à tout moment par l'une ou l'autre des parties par lettre recommandée avec accusé de réception adressée douze mois à l'avance ; qu'en application de cette clause la RNUR avisait le 31 décembre 1986 la société appelante de son intention de mettre fin à leurs relations contractuelles au 31 décembre 1987 ;

Qu'il résulte de la nature de ce contrat comme de ses dispositions que chaque partie pouvait y mettre fin librement sans avoir à justifier de l'existence d'un juste motif sous la seule réserve de respecter le préavis contractuel et de ne pas agir abusivement;

Considérant en l'espèceque le délai de préavis a bien été respectéet que la Savap ne peut invoquer les deux réunions tenues les 12 février et 12 mars 1987 avec des responsables de la RNUR pour débattre de ses résultats commerciaux, des modalités notamment financières de la cessation de leurs relations contractuelles et de l'avenir de la Savap, pour en déduire unilatéralement un prétendu accord sur la poursuite de leurs relations commerciales au-delà du 31 décembre 1987 ;

Que l'attestation de Monsieur Martin destinée à appuyer cette assertion est démentie par un courrier du 8 avril 1987 d'un conseiller de gestion de la Régie rappelant que la visite du 12 février avait été consacrée à la signature de l'avenant annuel pour 1987 ;

Que les pourparlers allégués par l'appelante résultent de ses propres affirmations et ne sont étayés par aucun élément de nature à établir une modification des intentions de la Régie qui loin de les traduire par des propositions écrites ce qu'elle n'aurait pas manqué de faire a confirmé par divers courriers que leurs relations commerciales prendraient fin le 31 décembre 1987 ;

Considérant que la Savap à laquelle incombe la charge de rapporter la preuve des fautes commises par la Régie dans l'exercice de son droit de résiliation n'établit pas le caractère abusif de la rupture ;

Considérant en effet qu'aux termes de l'ouverture de crédit et de l'avance sur règlement consentie par la Diac, aux droits de laquelle se trouve la RNUR, cet organisme peut en cas de non-renouvellement ou de résiliation du contrat de concession soit exiger le paiement de toutes les sommes dues, soit une réduction ou une interruption du financement consenti dans le délai d'un mois ;

Qu'il s'ensuit que la Diac n'a fait qu'user de cette faculté en réduisant progressivement l'encours financier et en fixant un échéancier de remboursement à la Savap qui ne l'a pas respecté et se trouve toujours redevable des sommes dues à ce titre ;

Considérant qu'aux termes du contrat conclu avec la Cogera, celle-ci peut lorsque les conditions dans lesquelles s'effectue l'exploitation le justifient réviser les conditions et les modalités des financements mis à la disposition du concessionnaire ; que tel est le cas en l'espèce dès lors que la résiliation du contrat de concession ayant nécessairement une incidence sur les conditions de paiement la Cogera était en droit de demander à son cocontractant l'apurement progressif de l'encours par une réduction de la durée de financement des véhicules et des pièces détachées ramenée par paliers de quatre-vingt-dix à trente jours ;

Que la société appelant s'étant révélée dans l'incapacité de régler ses échéances, la RNUR, subrogée dans les droits de la Cogera était fondée, conformément aux stipulations contractuelles d'imposer la procédure dite "du dépôt" emportant pour le concessionnaire l'obligation de régler les véhicules livrés dès leur vente à la clientèle ;

Qu'il s'ensuit que la RNUR n'a commis aucune des fautes alléguées par la Savap qui ne peut davantage lui faire grief d'avoir agi dans le but de l'obliger à céder ses actifs à un tiers à un prix inférieur à leur valeur, alors qu'il résulte des débats comme des pièces versées au dossier qu'il s'agissait d'une simple proposition qui au demeurant a été rejetée par la Savap ;

Considérant que la Savap n'établit pas davantage que la résiliation du contrat contrevient aux dispositions de la réglementation communautaire alors que le règlement 123-85 de la concession relatif à l'application de l'article 85 paragraphe 3 du traité de la CEE aux accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles stipule que "le délai de résiliation ordinaire de l'accord conclu pour une période indéterminée sera au moins d'un an pour les deux parties, et n'impose aucune condition pour l'accès ou l'exclusion du réseau ;

Considérant que la Savap qui a renoncé à se prévaloir de l'article 8 alinéa 2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sur l'exploitation abusive d'une position dominante ne peut soutenir par ailleurs qu'en excluant, sans justifier de l'existence d'un juste motif, la Savap de son réseau alors qu'elle remplissait les mêmes conditions que les autres concessionnaires s'est rendue coupable de pratiques discriminatoires, alors que s'agissant d'un contrat de concession exclusive caractérisé par la reconnaissance à chacun des distributeurs d'un droit de vente exclusif sur son territoire, l'accès au réseau, comme son exclusion ne sauraient dépendre de la seule conformité à des critères objectifs ;

Considérant sur la demande reconventionnelle de la RNUR que la Savap, comme l'a relevé le premier juge, ne conteste pas le principe mais a demandé communication des justificatifs et réclame des commissions pour un montant de 1 800 000 F sur la somme de 4 877 824,26 F réclamée par l'intimée ;

Qu'il convient dans ces conditions de confirmer dans toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

Considérant que l'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au bénéfice de la RNUR ;

Par ces motifs : confirme dans toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de Commerce de Paris du 28 septembre 1989. Condamne la SAVAP à payer à la Régie Nationale des Usines Renault, la somme de vingt millle francs (20 000 F) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette les autres demandes ; Condamne la SAVAP aux dépens d'appel ; Admet Maître Jobin, avoué au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.