CA Paris, 5e ch. C, 20 décembre 1990, n° 88-15404
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Mercédés Benz France (Sté)
Défendeur :
Auto Lux (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rouchayrole
Conseillers :
Mme Garnier, M. Thery
Avoués :
Me Mira, SCP Trotry Jobin
Avocats :
Mes Touboul, Galimidi, Valensi.
La société Mercédès-Benz France a relevé appel du jugement rendu le 17 juin 1988 par le Tribunal de Commerce de Paris, qui l'a condamnée à reprendre le stock de pièces détachées détenues par son concessionnaire la société Auto Lux lors de la rupture du contrat de concession et à payer à celle-ci la valeur du stock inventorié "selon les modalités figurant aux attendus du présent jugement", qui a dit que le paiement devra intervenir à la livraison sans délai qui l'a en outre condamnée à payer à la société Auto Lux la somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé à celle-ci par suite du retard apporté dans la reprise du stock, "tant pour la garde physique du stock que pour les frais de trésorerie supportés", outre la somme de 15.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Par ce même jugement le Tribunal de Commerce de Paris a débouté les parties du surplus de leurs demandes et la société Auto Lux de sa demande en paiement de 3.000.000 francs pour rupture abusive du contrat de concession qui la liait à la société Mercédès-Benz France (ci-après MBF).
La société Auto Lux a formé un appel incident afin de reprendre devant la Cour ses demandes initiales.
L'appel de la société MBF est limité aux dispositions du jugement relatives à la reprise du stock.
C'est ainsi qu'elle demande la réformation du jugement déféré en ce qu'il la condamne au paiement de 100.000 F de dommages-intérêts au titre des retards mis dans la reprise du stock et en ce qu'il la condamne à payer la totalité des pièces détachées inventoriées alors que le contrat de concession limitait la reprise aux seules pièces achetées par Auto Lux au cours de deux années précédant l'expiration du contrat de concession.
Elle demande acte de ce qu'elle a fait placer sous scellés, lors de l'enlèvement des pièces en exécution provisoire du jugement, "les pièces du stock mort achetées par Auto Lux antérieurement à 1985" et conclut à la condamnation de cette société à lui payer la somme de 101.264 F, majorée de la TVA, contre restitution de ces pièces placées sous scellés.
Elle demande 15.000 F au titre de l'article 700 susvisé.
La société Auto Lux conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a condamné la société MBF à reprendre les pièces détachées inventoriées et à lui payer 100.000 F à titre de dommages-intérêts pour retard dans cette reprise.
Elle forme une demande additionnelle en paiement de 9.767,03 F à titre d'intérêts de retard.
A la suite de son appel incident elle reprend sa demande en paiement de la somme de 3.000.000 F à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de concession et en paiement de la somme de 3.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
1- Sur la reprise du stock de pièces détachées :
Considérant qu'il résulte des correspondances versées aux débats que la société MBF n'a pas refusé le principe de la reprise du stock dans les conditions qui étaient prévues par le contrat de concession liant les parties, à l'article 16-3 des conditions générales, prévoyant qu'elle ne pouvait envisager que "la reprise des pièces de rechange neuves et marchandises en stock chez le concessionnaire et achetées par lui au cours des 24 derniers mois précédant la fin du contrat" ;
Considérant que le retard qui a été apporté à l'exécution de la reprise du stock ne provient pas d'un refus de la société MBF d'y procéder mais des prétentions émises par la société Auto Lux qui a établi le 31 décembre 1986 un inventaire ne précisant pas la date d'acquisition des pièces à reprendre au motif que, selon elle, la totalité du stock devait être reprise, même les pièces achetées plus de deux ans avant la date du rupture du contrat, qui s'est produite le 31 décembre 1986, et que la reprise devait se faire non au prix d'achat mais du prix de revente ;
Considérant que la société MBF, qui ne pouvait accepter ces conditions de reprise plus onéreuses que celles prévues par le contrat a été à tort déclarée responsable du retard apporté à la reprise des pièces détachées et à leur règlement ;
Considérant que la société Auto Lux tente vainement de justifier ses exigences en faisant valoir que, pour une marque ayant la notoriété de la société Mercédès, il n'y aurait pas de "stock mort", dès lors que les conditions de la reprise sont déterminées par une clause du contrat non sujette à interprétation et que le concédant ne peut être contraint de reprendre des pièces à un prix supérieur au prix payé par le concessionnaire lors de leur achat ;
Considérant que la société MBF verse aux débats, en plus de l'inventaire du 31 décembre 1986 ne mentionnant pas la date d'achat les procès-verbaux d'huissier de justice des 20 septembre 1988 et 6 octobre 1988, constatant les vérifications contradictoires auxquelles les parties ont procédé et la liste des pièces achetées au cours du deuxième semestre 1984 ou comprise à tort sur l'inventaire initial du 31 décembre 1986 et mises dans un conteneur spécial ; que la société Auto Lux ne conteste pas que le montant de la valeur de ces pièces s'élève à la somme de 101.264 F HT ,
Considérant qu'il y a lieu de condamner la société Auto Lux à restituer cette somme à la société MBF (sans toutefois la condamner au montant de la TVA, cette demande étant dépourvue de justification) contre remise des pièces mises en conteneur ;
Considérant que le jugement sera réformé quant à la condamnation en paiement de 100.000 F de dommages-intérêts pour comportement fautif de la société MBF non établi ;
2- Sur la rupture du contrat de concession :
Considérant que la société Auto Lux fait valoir que la société Mercédès, à laquelle elle était liée depuis 1977 par des contrats renouvelés d'année en année, a manoeuvré, à partir du 18 janvier 1985, date de publication du Règlement de la Commission des Communautés Européennes du 12 décembre 1984 applicable au 1er juillet 1985, de façon à laisser croire à une mise en conformité du contrat résilié, alors qu'au contraire elle agissait de manière à priver son concessionnaire "du bénéfice des dispositions protectrices des concessionnaires contenues dans ledit règlement" ;
Mais considérant que la société Auto Lux soutient à tort qu'elle était fondée à obtenir la transformation de son contrat d'un an en un contrat de 4 ans se terminant ainsi le 31 décembre 1988, s'agissant d'un contrat au 1er janvier 1985 ;
qu'en effet s'il est vrai que le Règlement du 1er décembre 1984 prévoit que pour échapper à la nullité des clauses contractuelles incompatibles avec l'article 85 paragraphe I du Traité Communautaire édictées par l'article 85 paragraphe II de ce traité, les contrats de distribution exclusive doivent être conclus pour une durée déterminée de 4 ans avec préavis de 6 mois ou pour une durée indéterminée avec préavis de un an, il est jugé par la Cour de justice des Communautés Européennes que ce Règlement de la Commission n'établit pas de prescriptions contraignantes affectant directement la validité ou le contenu des clauses contractuelles ou obligeant les parties contractantes à y adapter le contenu de leur contrat, de sorte qu'il appartient à la juridiction nationale d'apprécier en vertu du droit national applicable les conséquences d'une éventuelle nullité de certaines clauses contractuelles ;
Considérant que lors de l'entrée en vigueur de ce Règlement la société Mercédès était liée à la société Auto Lux par un contrat conclu le 7 mars 1985 mais prenant effet au 1er janvier 1985 pour un durée de un an,
que dans un additif à ce contrat la société MBF faisait référence au règlement de la Commission de la CEE précisant qu'en prévision de la publication (en réalité en prévision de l'entrée en vigueur) de ce règlement la durée du contrat et les objectifs économiques seraient réduits de moitié afin de présenter au concessionnaire un contrat conforme aux nouvelles dispositions de la CEE ;
Considérant que la société Auto Lux fait valoir qu'elle n'a signé ce contrat à durée indéterminée que le 26 avril 1986, date en effet indiquée sur l'acte, mais qu'il n'en reste pas moins vrai qu'elle a alors accepté d'être liée à la société concédante par un contrat à durée indéterminée avec préavis d'un an, prenant effet au 1er juillet 1985, ce qui était indiqué de façon très apparente au dessus de sa signature, et correspondait à l'additif annexé au contrat du 7 mars 1985 ;
qu'elle n'est donc pas fondée à reprocher à la société MBF de ne pas avoir respecté son engagement du 7 mars de lui présenter un contrat conforme au règlement communautaire alors que ce texte laissait une option entre les contrats à durée déterminée et indéterminée ;
Considérant qu'il est par ailleurs constant que la société MBF a respecté le délai de préavis de un an ainsi stipulé dès lors qu'elle a notifié la résiliation du contrat une première fois le 31 juillet 1985 pour le 30 septembre 1986 puis une seconde fois le 26 décembre 1986 pour reporter la date d'échéance au 31 décembre 1986 ;
que même si le contrat à durée indéterminée n'a été présenté qu'à cette date à la signature de la société Auto Lux celle-ci l'a accepté, alors qu'elle connaissait déjà l'intention de la société MBF de ne pas renouveler le contrat à durée déterminée du 7 mars 1985 à son terme, fixé par l'additif au 1er juillet 1985 ;
Considérant qu'il n'est pas établi que cette manière de procéder ait été instaurée dans l'intention de nuire à la société Auto Lux qui y a elle même concouru et qui en a bénéficié en obtenant un préavis d'un an que le contrat du 7 mars 1985 ne lui accordait pas ;
qu'il s'agit peut être d'un processus inutilement compliqué mais non préjudiciable aux intérêts de la société Auto Lux qui ne pouvait pas exiger un contrat de 4 ans, ainsi qu'il a déjà été dit ;
Considérant que la société Auto Lux fait valoir que la société MBF aurait exercé des pressions sur elle afin de la contraindre à signer le contrat à durée indéterminée prenant effet au 1er juillet 1985 ; qu'elle évoque à cet égard la lettre que la société MBF lui a adressée le 4 avril 1986 ;
Mais considérant, que les termes de cette lettre, qui ne contiennent aucune menace, exposent avec clarté l'attitude adoptée par la société MBF envers tous ses concessionnaires et renouvellent son intention de continuer à accepter les commandes de la société Auto Lux jusqu'au 31 décembre 1986 ;
que du reste c'est au vu de cette lettre que celle-ci s'est décidée à signer le contrat à durée indéterminée le 24 avril 1986 sachant parfaitement qu'il prenait effet le 1er juillet 1985 et serait résilié au terme du préavis d'un an donné le 26 décembre 1985 ;
Considérant que la société Auto Lux fait valoir subsidiairement que la société MBF n'avait pas de motif sérieux de rupture et qu'elle lui a imposé des investissements importants en lui laissant espérer une collaboration de longue durée ;
Mais considérant que la faculté de résiliation du contrat étant stipulée sous la seule condition de respecter un préavis d'un an la société MBF n'a pas à la justifier par un motif de rupture ;
qu'elle n'en a pas invoqué dans ses lettres des 31 juillet et 26 décembre 1985 ; qu'il n'y a pas à rechercher si les ventes d'automobiles hors CEE prohibées par le contrat de concession qui ont donné lieu à une procédure distincte terminée par jugement rendu le 11 décembre 1985 mettant la société Mercédès-Benz hors de cause, constituaient ou non un motif sérieux de rupture ;
Considérant que les investissements que la société Auto Lux a réalisés l'ont été en 1980, 1983 et 1984 et constituent pour l'essentiel des améliorations des locaux commerciaux et du matériel de gestion qui n'ont pas été exigés par la société MBF et qui ne sont pas spécifiques à cette marque, pouvant être utilisés pour toute autre activité que celle de concessionnaire Mercédès;
Que d'autres investissements n'étaient que l'exécution des obligations des contrats antérieurs ;
que la lettre du 11 juin 1986 dans laquelle Mercédès invite le garage Auto Lux à recevoir un professionnel chargé de "mieux cerner la valeur réelle des investissements nécessaires à la distribution de nos produits" est une circulaire adressée à tous les concessionnaires qui n'a été suivie d'aucune conséquence ;
Considérant qu'il n'est pas établi que la société MBF ait divulgué son intention de rupture du contrat de concession avant l'expiration du délai de préavis, la lettre adressée par la société Auto Lux le 20 mai 1986 à la société concédante ne suffisant pas à en rapporter la preuve ;
Considérant que dans ces conditions les premiers juges ont à bon droit rejeté la demande de dommages-intérêts formée par la société Auto Lux sur le fondement de la rupture abusive ;
Considérant qu'il n'est pas contraire à l'équité de laisser à la charge de la société Mercédès les frais non compris dans les dépens qui incombent à la société Auto Lux ;
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Auto Lux de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour rupture abusive, ordonné la reprise du stock des pièces détachées par la société Mercédès-Benz France et rejeté la demande de cette dernière tendant à l'application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; L'infirme pour le surplus : Statuant a nouveau ; Dit que la reprise du stock des pièces détachées doit se faire en exécution des prévisions contractuelles pour les seules pièces achetées pendant les deux dernières années avant la rupture du contrat ; Constate que le retard apporté à la reprise des stocks par la société Mercédès-Benz France n'est pas la conséquence d'un comportement fautif de celle-ci mais est due aux contestations opposées à tort par la société Auto Lux sur les modalités de règlement ; Condamne en conséquence la société Auto Lux à rembourser à la société Mercédès-Benz France la somme de 101.264 F contre restitution des pièces placées sous scellés lors de l'enlèvement suivant procès-verbal de constat d'huissier de justice ; Décharge la société Mercédès-Benz France de la condamnation au paiement de 100.000 F à titre de dommages-intérêts pour retard de reprise des pièces détachées prononcée par le jugement déféré.