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Décisions

CA Nîmes, 1re ch., 10 janvier 1991, n° 88-2582

NÎMES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Nimazur (SARL)

Défendeur :

Renard

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schrub

Conseillers :

MM. Deltel, Fabre

Avoués :

SCP Tardieu, SCP Pomies-Richaud-Astraud

Avocats :

Mes Orcel, Sarlin.

TGI Nîmes, 1re ch., du 31 mai 1988

31 mai 1988

Faits, procédure et prétentions des parties

Suivant contrat du 22 mars 1982, Madame Raymonde Renard a été embauchée en qualité de "vendeur libre" par la SARL FBGT Constructions, aujourd'hui SARL Nimazur, pour assurer la commercialisation de ses constructions dans le Gard.

Par lettre du 12 juillet 1983, la société FBGT Constructions a signifié à Madame Renard qu'elle annulait les accords du 22 mars 1982, modifiés le 10 mai 1983, au motif qu'aucune vente n'avait été effectuée depuis le 30 mai 1983.

Monsieur Meuvret, désigné en qualité d'expert par ordonnance du référé du 5 août 1983, a déposé son rapport le 27 octobre 1986.

Le 9 janvier 1987, Madame Renard a fait assigner la SARL Nimazur devant le Tribunal de grande instance de Nîmes à l'effet de voir homologuer le rapport d'expertise de Monsieur Meuvret, et en paiement des sommes suivantes, avec exécution provisoire :

- 225 000 F avec intérêts de droit à compter du rapport d'expertise Meuvret, en paiement des commissions restant dues (75 000 F) et à titre de réparation du préjudice résultant de la rupture unilatérale du contrat (150 000 F)

- 50 000 F à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, et 10 000 F en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La SARL Nimazur a conclu à titre principal au rejet des demandes de Madame Renard, subsidiairement à la désignation d'un nouvel expert, et a sollicité reconventionnellement l'allocation d'une somme de 56 562,25 F à titre de trop perçu.

Par jugement du 31 mai 1988, le Tribunal de grande instance de Nîmes a :

- condamné la SARL Nimazur à verser à Madame Renard :

. la somme de 40 000 F à titre d'indemnisation pour rupture unilatérale du contrat de mandat d'agent commercial du 22 mars 1982

. la somme de 75 000 F au titre des commissions restant dues, avec intérêts de droit au taux légal à compter du 27 octobre 1986

- débouté les parties de leurs autres demandes ;

- condamné la SARL Nimazur aux dépens, comprenant les frais de la procédure de référé, le coût du constat de Maître Marseille, huissier, du 13 juillet 1983, les honoraires de l'expert Meuvret, ainsi que les frais de l'inscription de privilège de nantissement pris le 19 novembre 1986.

La SARL Nimazur a relevé appel de ce jugement.

Elle soutient essentiellement que le rapport de l'expert Meuvret contient des contre-vérités et des erreurs techniques dans l'appréciation du contrat et de son application.

Elle fait notamment valoir :

- que Madame Renard n'était pas agent commercial exclusif et n'a jamais bénéficié d'une exclusivité quant à la fourniture des adresses de clients potentiels.

- que la rupture du contrat était justifiée par le fait que l'intimée n'avait effectué aucune vente depuis le mois de mai 1983.

- qu'en ce qui concerne les commissions, le contrat a été scrupuleusement respecté, et que les sommes versées à Madame Renard ne constituaient que des avances sur commissions, les comptes devant être par la suite apurés.

Elle conclut au rejet de l'ensemble des demandes de Madame Renard, sollicitant, à titre subsidiaire, une nouvelle expertise.

Madame Raymonde Renard demande à la Cour, dans le dispositif de ses conclusions, de :

- "débouter purement et simplement la SARL Nimazur anciennement FBGT de ses demandes,

- recevant au contraire Madame Renard en son appel incident, et y faisant droit,

- constatant que Madame Raymonde Renard bénéficie bien du statut des agents commerciaux tel que régi par le décret du 23 décembre 1958,

- dire et juger que la SARL Nimazur-FBGT a abusivement rompu le contrat en date du 22 mars 1982 qui la liait à Madame Renard,

- la condamner en conséquence à indemniser le préjudice subi par Madame Renard,

- homologuer le rapport d'expertise de Monsieur Meuvret en date du 27 octobre 1986,

- Condamner en conséquence la SARL Nimazur-FBGT à payer à Madame Renard la somme principale de 150 000 F en raison du préjudice qu'elle a subi par l'effet de la rupture du contrat susvisé,

- condamner en outre sa SARL Nimazur au paiement de la somme principale de 75 000 F à titre de commissions impayées,

- dire et juger que ces deux sommes porteront intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 9 février 1987,

- condamner en outre la SARL Nimazur-FBGT à payer à Madame Renard la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et pour procédures dilatoires, outre la somme de 15 000 F à titre de dommages-intérêts complémentaires sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Motifs et décision

Sur les commissions dues à Madame Renard

Attendu que le contrat du 22 mars 1982 prévoyait l'attribution d'une commission calculée sur le montant HT du marché, de la manière suivante :

- 3 % TTC chantier ouvert dans un délai égal ou inférieur à 120 jours à compter de la signature du contrat,

- 2 % TTC chantier ouvert dans un délai égal ou inférieur à 150 jours à compter de la signature du contrat,

- 1 % TTC chantier ouvert dans un délai supérieur au deuxième cas, sans toutefois dépasser 300 jours ;

Qu'il était stipulé, pour les conditions de règlement de cette commission :

" - 1 000 F à la signature du devis.

Cette somme nous sera restituée si vous n'arrivez pas à obtenir le permis de construire ou le déblocage des prêts.

- 25 % de la commission à l'ouverture effective, après l'encaissement par nos soins du premier appel de fonds.

- 50 % de la commission à l'hors d'eau.

- 25 % de la commission à la réception de la maison.

Il est bien entendu que les 1 000 F viendront en déduction sur l'échéance ci-dessus " ;

Qu'il était enfin demandé à Madame Renard un quota minimum de deux ventes par mois ;

Attendu que par lettre du 10 mai 1983, la SARL FBGT Constructions a fait connaître à Madame Renard qu'elle portait le montant de la commission à 4 % ;

Attendu qu'il ressort du rapport d'expertise de Monsieur Meuvret, qui a procédé à l'examen des 50 dossiers traités par Madame Renard, que le contrat d'origine liant les parties n'a jamais été respecté ;

Que notamment les taux de commission stipulés contractuellement n'ont pas été appliqués, le taux de la commission payée étant généralement de 3 %, sans qu'il soit tenu compte du nombre de jours entre le marché et le commencement des travaux ;

Que les commissions versées correspondant à 3 % du marché (et parfois plus) l'ont presque toujours été postérieurement au commencement des travaux, c'est-à-dire à une période où la société FBGT Constructions était parfaitement en mesure, si elle l'avait souhaité, de calculer la commission due compte tenu du délai écoulé entre la signature du contrat et l'ouverture du chantier ; que ces versements ne constituaient pas comme le soutient la SARL Nimazur de simples avances, qui auraient dû donner lieu périodiquement à un apurement des comptes, ce qui n'a jamais été fait pendant la durée des relations contractuelles, mais bien des commissions volontairement versées par la société FBGT Constructions qui avait, pour ces dossiers, décidé en parfaite connaissance de cause, de ne pas retenir les taux de commission inférieurs à 3 % ; que d'ailleurs, par sa lettre du 10 mai 1983 la société FBGT Constructions a entendu maintenir un taux unique de commission, qu'elle a porté à 4 % ;

Que l'expert a, à bon droit estimé pour le calcul des commissions dues qu'il n'y avait pas lieu à restitution d'un trop perçu pour les commissions versées dans les conditions ci-dessus analysées, que pour les contrats signés à partir du 10 mai 1983, il fallait tenir compte d'un taux de commission de 4 %, et que pour les autres contrats il convenait de faire application des stipulations contractuelles ;

Attendu cependant que l'expert a, à tort retenu comme terme du délai la date de rupture des relations contractuelles entre la société FBGT Constructions et Madame Renard (12 juillet 1983), pour le calcul des commissions concernant des contrats signés avant le 10 mai 1983, mais pour lesquels les travaux n'ont commencé qu'après le 12 juillet 1983 ; qu'il convient, pour ces contrats, de recalculer la commission due en tenant compte de la date de commencement des travaux (uniquement lorsque ce nouveau calcul a une incidence sur le taux retenu), soit :

- contrat Grasset (page 91 du rapport d'expertise) : 240 jours

montant de la commission (1 %) : 2 019 F

somme restant due (après déduction de l'acompte de 1 000 F) : 1 019 F

- contrat Solanet (page 92 du rapport d'expertise) : 189

montant de la commission (1 %) : 1 920 F

somme restant due (après déduction de l'acompte de 1 000 F) : 920 F

- contrat Tempier (page 93 du rapport d'expertise) : 324 jours

montant de la commission : néant

maintien néanmoins de l'acompte de 1 000 F qui ne doit être restitué qu'au cas où le permis de construire ou le déblocage des prêts ne peuvent être obtenus.

- contrat Saller (page 94 du rapport d'expertise) : 342

montant de la commission : néant

même considérations que ci-dessus pour le maintien de l'acompte de 1 000

- contrat Doisy (page 96 du rapport d'expertise) : 205 jours montant de la commission (1 %) : 1 766 F

somme restant due (après déduction de l'acompte de 1 000 F) : 766 F

- contrat Mauzac (page 97 du rapport d'expertise) : 325 jours

montant de la commission : néant

mêmes considérations que ci-dessus pour le maintien de l'acompte de 1 000 F

- contrat Serafino (page 98 du rapport d'expertise) : 310 jours

montant de la commission : néant

mêmes considérations que ci-dessus pour le maintien de l'acompte de 1 000 F

- contrat Vil (page 99 du rapport d'expertise) : 212 jours montant de la commission (1 %) : 1 696 F

somme restant due (après déduction de l'acompte de 1 000 F) : 696 F

- contrat Badiou (page 100 du rapport d'expertise) : 132 jours

montant de la commission (2 %) : 4 516 F

somme restant due (après déduction de l'acompte de 1 000 F) : 3 516 F

- contrat Leclercq (page 102 du rapport d'expertise) : 178 jours

montant de la commission (1 %) : 2 306 F

somme restant due (après déduction de l'acompte de 1 000 F) : 1 306 F

Que si Madame Renard doit conserver les acomptes de 1 000 F qui lui ont été versés dès lors que l'annulation du contrat ne provient pas d'une des causes devant entraîner la restitution de l'acompte (c'est-à-dire la non-obtention du permis de construire ou du déblocage des prêts), il convient de relever que pour le contrat Juncy qui a été annulé (page 83 du rapport d'expertise) elle ne peut prétendre en outre au paiement d'une commission ;

Attendu qu'il résulte du rapport d'expertise de Monsieur Meuvret et des corrections qui y ont été ci-dessus apportées (sans qu'il soit nécessaire de recourir à une nouvelle mesure d'expertise) que le montant des commissions restant dues à Madame Renard s'élève à 42 170,75 F - 3 500 F (montant du trop perçu), soit 38 670,75 F ;

Sur la rupture du contrat liant Madame Renard à la SARL FBGT Constructions :

Attendu qu'il ressort des documents versés aux débats (notamment du contrat du 22 mars 1982, et de l'inscription de l'intimée au registre spécial des agents commerciaux) que Madame Renard exerçait une activité d'agent commercial pour le compte de la SARL FBGT Constructions ;

Attendu que l'article 3 alinéa 2 du décret du 23 décembre 1958 relatif aux agents commerciaux dispose que la résiliation du mandataire, ouvre droit au profit de ce dernier, nonobstant toute clause contraire, à une indemnité compensatrice du préjudice subi ;

Attendu que par lettre du 12 juillet 1983 la SARL FBGT Constructions a déclaré "annuler" les accords du 22 mars 1982 au motif que Madame Renard, qui devait effectuer au minimum deux ventes par mois, n'avait réalisé aucune vente depuis le 30 mai 1983 ;

Attendu qu'il résulte du rapport d'expertise que de mars 1982 à mai 1983, Madame Renard a été seule à opérer la commercialisation des villas de la société, après consultation du cahier sur lequel le secrétariat mentionnait les adresses des clients à contacter ;

Qu'elle a réalisé du 22 mars 1982 à la fin du mois de mai 1983, une moyenne de 3,85 ventes par mois, très supérieure au quota imposé de deux ventes par mois ; que 28 ventes ont été effectuées pour les cinq premiers mois de 1983 ;

Qu'avant la rupture du contrat aucun reproche n'a été adressé à Madame Renard ; que le taux de commission a même été augmenté à partir du 10 mai 1983 ;

Attendu que le 9 mai 1983, la SARL FBGT Constructions a embauché Madame Sinegre en qualité d'attachée commerciale, salariée, chargée également de la commercialisation des maisons individuelles ;

Que durant le mois de juin 1983, 27 clients ont été indiqués à Madame Sinegre, et 3 seulement à Madame Renard ; que celle-ci a pris une semaine de congé avec l'accord du gérant de la société ; qu'il ne lui a été indiqué que deux clients en juillet 1983 ;

Attendu dès lors que la non-réalisation du quota de ventes à partir du 30 mai 1983 ne résultait pas d'une faute commise par Madame Renard, mais provenait du comportement du mandant qui, en engageant une salariée chargée du même travail et en ne transmettant pas comme auparavant, l'ensemble des adresses des clients à prospecter à l'agent commercial, n'a pas mis celui-ci en mesure d'exercer son mandat dans des conditions normales;

Attendu en conséquence que par application de l'article 3 du décret du 23 décembre 1958, Madame Renard doit bénéficier d'une indemnité compensant le préjudice qu'elle a subi ;

Que le premier juge a, à bon droit fixé le montant de cette indemnisation à la somme de 40 000 F, compte tenu :

- de la durée d'exécution du contrat (moins de 16 mois)

- du montant des commissions perçues par Madame Renard

- de la nature de la clientèle prospectée

- de la part de revenus résultant du nouvel emploi ;

Que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du jugement déféré ;

Sur les autres demandes :

Attendu que la résistance de la SARL Nimazur ne présente pas un caractère abusif et que Madame Renard sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts ;

Attendu que la SARL Nimazur, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Madame Renard l'intégralité des sommes qu'elle a exposées et qui ne seront pas comprises dans les dépens ; qu'eu égard aux éléments d'appréciation soumis à la Cour, il convient de lui allouer la somme de 3 000 F en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Par ces motifs, la COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, Reçoit en la forme l'appel principal de la SARL Nimazur et l'appel incident de Madame Raymonde Renard ; Réformant de ce seul chef le jugement du Tribunal de grande instance de Nîmes en date du 31 mai 1988, Condamne la SARL Nimazur à payer à Madame Renard la somme de 38 670,75 F au titre des commissions restant dues, avec intérêts au taux légal à compter du 9 janvier 1987, Confirme en ses autres dispositions le jugement déféré, Dit que la somme de 40 000 F allouée à titre d'indemnisation du préjudice résultant de la résiliation abusive du contrat d'agent commercial portera intérêts au taux légal à compter du jugement déféré, Condamne la SARL Nimazur à verser à Madame Renard la somme de 3 000 F en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Rejette toute demande plus ample ou contraire, Condamne la SARL Nimazur aux dépens de première instance (y compris les divers frais rappelés dans le dispositif du jugement entrepris) et d'appel, ces derniers étant distraits au profit de la SCP d'avoués Pomies Richard Astraud.