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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 15 janvier 1991, n° 88-12645

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Comptoir parisien des matériaux (SA)

Défendeur :

Cheminées René Brisach (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Degrandi (Conseiller faisant fonction)

Conseillers :

MM. Brejoux, Chalumeau

Avoués :

SCP Cohen, SCP Sider

Avocats :

Mes Innoncenzi, Lopez, Series.

T. com. Saint-Tropez, du 26 juill. 1988

26 juillet 1988

Exposé du litige :

La société Cheminées René Brisach a conclu un contrat de concession avec la société CPM pour une durée d'un an à compter du 1er janvier 1986.

Par lettre du 27 octobre 1986 confirmée par courrier du 18 novembre 1987, elle a fait connaître qu'elle ne renouvellerait pas le contrat au motif que la société CPM était affiliée au groupement d'intérêt économique Gédimat distribuant les Cheminées Richard Le Droff notamment sur le secteur concédé.

Le 30 juin 1988, CPM a cité la société Brisach devant le Tribunal de commerce de Saint-Tropez pour obtenir une indemnité de 800 000 F en réparation de l'abus de position dominante et l'entrave à la concurrence commis par cette dernière qui a reconventionnellement sollicité le paiement de factures.

Par jugement contradictoire du 26 juillet 1988, la juridiction consulaire a rejeté les prétentions de la demanderesse et l'a condamnée à payer 123 762,65 F avec intérêts au taux légal à compter de la décision, 5 000 F à titre de dommages et intérêts et 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société CPM a interjeté appel. Elle sollicite la réformation, la condamnation des Cheminées Brisach à payer 800 000 F et 7 000 F sur le fondement de l'article 700 du code précité, en soutenant :

- que la situation dominante de la société Brisach sur le marché par concentration de puissance économique est incontestable en l'état de l'extrême morcellement de celui-ci, les deux grands producteurs étant Philippe et Brisach, Richard Le Droff, de taille plus modeste, ayant eu de grandes difficultés qui ont conduit à sa disparition, seule la marque étant encore utilisée ;

- que le motif de non renouvellement du contrat de concession a entravé le développement de concurrents présents ou potentiels et est condamnable au regard de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et de l'article 8-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

- qu'elle-même a scrupuleusement respecté le contrat de concession en sorte que la manœuvre de Brisach a été de se servir de sa position pour exercer des pressions sur d'autres opérateurs dans le but d'éliminer des concurrents ;

- qu'en raison de la rupture des relations contractuelles, son chiffre d'affaires sur la vente de cheminées a diminué de 50 % en 1987 ;

- que contrairement à ce que suggère la société Brisach, le débat concernant la rupture du contrat à durée déterminée est étranger au litige.

La SA Brisach souhaite la confirmation, sauf à ce que la condamnation de son adversaire soit portée à 134 476,98 F avec intérêts au taux légal à compter d'une mise en demeure du 17 juillet 1987, et 5 000 F pour frais non répétibles ainsi que 5 000 F à titre de dommages et intérêts, en faisant valoir :

- que le concédant n'a pas l'obligation de renouveler un contrat à durée déterminée et de faire connaître les motifs qui le conduisent à mettre un terme à celui-ci ;

- que de surcroît, l'affiliation à un GIE distribuant par l'intermédiaire de ses adhérents des cheminées d'une marque concurrente constitue une violation caractérisée de l'engagement de non concurrence du concessionnaire ;

- que le marché de la cheminée comprend un grand nombre de sociétés importantes dont le volume d'affaires excède le sien, la société CPM étant d'ailleurs devenue concessionnaire Richard Le Droff quelques semaines après la fin de la concession Brisach, tandis qu'aucun critère d'une exploitation abusive de la situation n'est caractérisée et que le non renouvellement d'un contrat de concession ne constitue pas une entrave à la concurrence.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 octobre 1990.

Motifs de la décision :

Sur l'abus de position dominante :

La société CPM invoque pour démontrer la position dominante de la société Brisach, l'importance de la part du marché contrôlée.

Elle entend établir celle-ci en se fondant sur la production en 1986 d'une proportion importante des 200 000 Cheminées alors construites par 250 fabricants, et sur le dossier fourni lors de la conclusion du contrat de concession révélant l'implantation de créations dans 40 000 foyers, la progression du chiffre d'affaires entre 1975 et 1986 de 17 300 000 F à 256 000 000 F, l'existence de concessionnaires dans de nombreux pays étrangers, et une volonté de poursuivre l'ascension. Elle affirme par ailleurs que René Brisach était alors le second constructeur derrière les Cheminées Philippe.

Ces données sont tout à fait insuffisantes. Elles ne permettent absolument pas de sérier la place occupée par l'intimée sur le marché, aucune comparaison ne pouvant être faite avec l'ensemble de la profession ou d'autres constructeurs importants alors que la société Brisach soutient que le domaine de son intervention est très concurrentiel, ce qui est au moins corroboré par la concession Richard Le Droff accordée quelques semaines après le non renouvellement de la distribution des produits Brisach à la société CPM.

A cela, il convient d'ajouter que le critère de la seule part de marché détenue par une entreprise ne suffit pas à établir la concentration manifeste de la puissance économique alors qu'il n'est même pas soutenu que la société Brisach détient au moins la moitié du marché.

Par ailleurs, à supposer qu'ait été établie une position dominante, seule une entrave au fonctionnement normal du marché aurait été susceptible de sanction. Or, le non renouvellement d'un contrat de concession à durée déterminée motivé par l'affiliation à un GIE commercialisant un produit concurrent n'engendre pas une telle conséquence. D'une part, il permet à d'autres fabricants de s'emparer des points de vente laissé vacants. D'autre part, un constructeur peut légitimement considérer que par son affiliation, un concessionnaire favorise le fonctionnement et le budget publicitaire d'un GIE centralisant les achats de ses membres en sorte que, dès lors que ce groupement distribue un produit concurrent, la clause de non-concurrence incluse dans le contrat de concession est indirectement transgressée, alors surtout, comme c'est le cas en l'espèce, que la raison du concessionnaire est fréquemment associée à celle du GIE.

Aucun moyen ne justifie donc une réformation de la décision intervenue sur cet aspect du litige et les prétentions de la société CPM doivent toutes être rejetée.

Sur les reconventions :

La société CPM ne discute pas la réalité des livraisons évoquées par l'intimée ni le montant de la facturation.

La société René Brisach produit par ailleurs une lettre recommandée avec accusé de réception du 17 juillet 1987 aux termes de laquelle elle a réclamé paiement par retour de courrier, d'une somme de 134 476,98 F.

Il convient dans ces conditions de dire fondé son appel incident.

Sur les demandes accessoires de la société Brisach :

La société Brisach se contentant de solliciter 5 000 F de dommages et intérêts sans caractériser un préjudice distinct de celui réparé par la condamnation principale, il y a lieu de rejeter sa demande.

Il serait en revanche inéquitable de laisser à sa charge les frais irrépétibles exposés.

La société CPM, qui succombe, doit supporter les dépens.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Reçoit l'appel régulier en la forme ; Confirme le jugement entrepris sauf à porter à 134 476,98 F (cent trente quatre mille cent soixante seize France quatre vingt dix huit centimes) avec intérêts au taux légal à compter du 17 juillet 1987 le montant de la condamnation principale de la SA Comptoir Parisien des Matériaux ; Ajoutant, Condamne la SA Comptoir Parisien des Matériaux à payer à la SA Cheminées René Brisach, une somme de 3 000 F (trois mille francs) sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Rejette toutes autres prétentions ; Condamne la SA Comptoir Parisien des Matériaux aux dépens d'appel et autorise la SCP d'avoués Sider à recouvrer directement ceux dont elle a fait l'avance sans en avoir reçu provision.