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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 13 février 1991, n° 90-019509

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Mengual

Défendeur :

Société d'Exploitation des Etablissements Moret

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosnel

Conseillers :

MM. Mengual, Bonnefont, Boval

Avoués :

SCP Jobin, Me Melun

Avocats :

Mes Catoni, Bazin.

T. com. Auxerre, du 2 juill. 1990

2 juillet 1990

Faits et procédure de première instance

Par acte du 5 février 1985, la société d'Exploitation des Etablissements Moret confiait à Mengual, agent commercial, le mandat de la représenter auprès de la clientèle dans une partie du département de l'Yonne.

Le 18 juin 1986 intervenait un avenant par lequel Mengual s'engageait à réaliser un chiffre d'affaires de 330 000 F HT pour le deuxième trimestre de 1986.

Un nouvel avenant était signé le 2 mars 1987. Après mention que l'objectif prévu le 18 juin 1986 n'avait pas été atteint et que la société d'Exploitation des Etablissements Moret serait dans ces conditions en droit de mettre fin sans indemnité au contrat en invoquant la faute de Mengual, il indiquait qu'une nouvelle chance était donnée à l'agent commercial qui s'engageait à réaliser au 1er semestre 1987 un chiffre d'affaires HT de 412 000 F et que si l'objectif n'était pas atteint, cette carence justifierait la résiliation sans indemnité du contrat.

Le 7 août 1987, Mengual se voyait notifier cette résiliation au motif que le chiffre d'affaires n'avait été au 1er semestre 1987 que de 346 435,39 F HT.

Le 3 octobre 1987, Mengual assignait la société d'Exploitation des Etablissements Moret pour obtenir une indemnité de rupture de 246 500 F et le délai de 3 mois prévu au contrat pour le préavis n'ayant pas été respecté, une indemnité compensatrice de 30 816 F. Il réclamait en outre 10 000 F au titre des commissions restant dues et 10 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La défenderesse, qui s'opposait à la demande, sollicitait 10 000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive et 5 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile

Le jugement critiqué

Par son jugement du 2 juillet 1990, le Tribunal de commerce d'Auxerre a débouté Mengual de ses demandes et dit n'y avoir lieu ni à dommages-intérêts ni à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

L'appel

Appelant du jugement par déclaration du 14 août 1990, Mengual conclut à son infirmation en reprenant ses prétentions de première instance. Il sollicite 25 000 F, en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

L'intimée prie la Cour de confirmer la décision déférée subsidiairement de réduire à une somme symbolique l'indemnité réclamée par Mengual et en tout état de cause de lui allouer 10 000 F. au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Elle a conclu le 14 décembre 1990 à cinq jours des plaidoieries et communiqué le 17 décembre, 17 pièces.

Mengual demande qu'elles soient écartées des débats et à titre subsidiaire de rejeter tout au moins les attestations (pièces 11 à 17).

Sur ce, la Cour

Qui pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties se réfère au jugement critiqué et aux écritures d'appel.

Sur la demande de rejet de pièces

Considérant que les 17 pièces communiquées par l'intimée à deux jours de débats l'ont été trop tardivement pour mettre l'appelant en mesure d'apporter une réplique utile à leur contenu ; que pour assurer le respect du contradictoire, il y a lieu de les écarter des débats.

Au fond

Considérant que pour débouter Mengual, le jugement lui oppose les termes de l'avenant du 2 mars 1987 par lesquels il admettait sa carence s'il n'atteignait pas l'objectif fixé pour le premier semestre 1987.

Considérant que suivant l'article 3 alinéa 2 du décret du 23 décembre 1958, la résiliation du contrat d'agent commercial par le mandant, si elle n'est pas justifiée par une faute du mandataire, ouvre droit à indemnité au profit de ce dernier nonobstant toute clause contraire,

Considérant que la preuve de la faute incombe au mandant ; que la non-réalisation du quota imposé à l'agent ne suffit pas à démontrer que son activité a été insuffisante; qu'au surplus, on ne saurait faire application d'une clause de quota sans être attentif aux conditions dans lesquelles l'agent a été amené à y souscrire et à l'ampleur de l'écart séparant le chiffre d'affaires effectivement obtenu de celui exigé par le mandant.

Considérant qu'il s'impose de constater en l'espèce que la clause de quota, qui ne figurait pas au contrat a été inscrite dans un avenant sans que celui-ci porte critique de la façon dont jusqu'alors Mengual avait exercé son activité et que même l'avenant du 2 mars 1987, tout en justifiant par avance la rupture pour le cas où ne serait pas atteint l'objectif fixé, ne précisait pas les fautes éventuellement commises par lui.

Considérant d'autre part que la procédure de première instance s'est déroulée sans qu'à aucun moment le mandant ait esquissé une démonstration d'un lien entre des erreurs ou des insuffisances du mandataire et le chiffre d'affaires en 1987, observation faite que celui-ci correspond à environ 85 % du quota.

Considérant que si les écritures de l'intimée affirment que les objectifs étaient parfaitement réalisables, elles n'offrent aucune comparaison avec le rendement qu'aurait pu avoir un quelconque prédécesseur de Mengual ; qu'elles allèguent par ailleurs que Monsieur Moret avec le cinquième ou le quart du temps passé par l'agent commercial est parvenu à effectuer en 88-89 environ 80 % des ventes réalisées par ce dernier ; qu'à admettre pour exacte cette affirmation il faut en tout cas retenir que l'intimée n'a pas remplacé Mengual par un autre agent commercial et se satisfait d'un chiffre d'affaires plus faible mais obtenu à moindres frais ; qu'à défaut de certitude de l'imposition de quotas a été préméditée en vue d'une rupture ramenant la société Moret à une gestion moins coûteuse, il y a lieu de noter qu'elle ne fournit pas les éléments de nature à établir que les quotas étaient raisonnables et que des diligences normales auraient conduit Mengual à les atteindre, qu'une faute de Mengual n'est donc pas démontrée ;

Considérant que pour remplir ses obligations, l'agent commercial doit assumer des investissements à la rentabilisation de laquelle porte atteinte la perte soudaine d'une carte.

Qu'en l'espèce Mengual, s'il ne justifie pas avoir dû licencier trois salariés en raison de la rupture du contrat, met aux débats un certificat de radiation de l'immatriculation au Registre Spécial des Agents Commerciaux sur lequel il s'était inscrit en 1985.

Quetoutefois, compte tenu de la faible durée des relations contractuelles et, en l'état des renseignements fournis, de la modestie de son apport de clientèle, le préjudice résultant de la résiliation brutale, s'il n'est pas seulement symbolique, ne justifie pas les dommages-intérêts réclamés et notamment une somme équivalant à deux années de commissions ; qu'il trouvera une réparation équitable dans l'indemnité fixée au dispositif.

Que la demande de Mengual en paiement d'un arriéré de commissions concerne les affaires indirectes dont aucune pièce n'indique le montant ; qu'elle ne peut donc être accueillie.

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'appelant les frais non taxables exposés dans la procédure ; que l'intimée sera condamnée à lui payer le montant justifié précisé au dispositif.

Par ces motifs, Infirmant sur l'appel de Mengual, Condamne la société d'Exploitation des Etablissements Moret à payer à Mengual en réparation des préjudices résultant de la résiliation du contrat 150 000 F de dommages-intérêts, Rejette la demande de Mengual en paiement d'un arriéré de commissions, Condamne la société d'Exploitation des Etablissements Moret à payer à Mengual au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile la somme de 10 000 F, Dit que l'intimée supportera les dépens de première instance et d'appel.