Cass. com., 26 février 1991, n° 89-12.808
COUR DE CASSATION
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Total (SA)
Défendeur :
Fagega (Sté), Diaz (Époux), Astier (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Defontaine
Rapporteur :
M. Grimaldi
Avocat général :
M. Jéol
Avocats :
SCP Peignot, Garreau, SCP Boré, Xavier.
LA COUR : - Attendu selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 11 janvier 1989), que, le 19 mars 1984, la société Total Compagnie française de distribution (société Total) a conclu avec M. et Mme Diaz, ès qualités de gérants de la société à responsabilité limitée Fagega (société Fagega), un contrat dit " d'exploitation de station service ", comprenant un contrat de location-gérance pour la revente des lubrifiants et un contrat de mandat pour la distribution des hydrocarbures ; que, par acte sous seing privé du même jour, M. et Mme Diaz se sont portés cautions, envers la société Total, à concurrence de 217 000 F, des dettes de la société Fagega ; que le 21 mai 1984, la société Total a consenti un prêt de 60 000 F à la société Fagega ; que, le 28 janvier 1985, cette dernière a mis fin aux rapports contractuels la liant à la société Total, laquelle a réclamé à son ancien exploitant le paiement du solde débiteur, en même temps qu'elle demandait aux cautions d'honorer leurs engagements ;
Sur le premier moyen, pris en ses cinq branches ; - Attendu que la société Total reproche à l'arrêt d'avoir déclaré nul le contrat d'exploitation alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en stipulant dans le contrat que la société Fagega paiera les lubrifiants au prix de cession du tarif revendeur en vigueur au jour de la signature du contrat et aux conditions générales de vente qu'elle déclare connaître, ce tarif étant actuellement applicable, approuvé par les parties et annexé à chacun des exemplaires du contrat, les parties ont bien entendu prendre pour base le tarif de la société Total applicable à tout acheteur qu'il soit ou non lié par une convention d'exclusivité ; qu'ainsi la détermination du prix ne dépendait pas de la volonté unique de l'une ou de l'autre des parties ; que dès lors en se déterminant comme elle a fait, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1129 et 1591 du Code civil ; alors, d'autre part, que la clause insérée dans le contrat d'approvisionnement en lubrifiants, relative au prix de cession, donnait au locataire gérant la possibilité de se dégager de son obligation d'acheter s'il n'acceptait pas le prix ; qu'ainsi, la clause susvisée respectait le principe de la détermination de l'objet posé par l'article 1129 du Code civil ; que de ce chef également, en statuant comme elle a fait, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de ce dernier texte et des articles 1134 et 1591 du Code civil ; alors, de troisième part, qu'en l'état d'un contrat-cadre, constitué d'une succession de ventes, et d'une vente initiale conclue au vu d'un prix librement accepté, et non remis en cause par l'acheteur, la cour d'appel, en prononçant l'annulation du contrat de vente des lubrifiants " ab initio ", n'a pas, de ce chef également, donné une base légale à sa décision au regard des articles 1134, 1129 et 1591 du Code civil ; alors, de quatrième part, que le contrat d'exploitation de station service signé entre les parties avait une double nature comportant un mandat pour l'activité de distribution au détail des hydrocarbures, et une location-gérance pour l'activité de revente des produits autres que les hydrocarbures ; que la nullité invoquée étant tirée des seules dispositions légales régissant la revente des lubrifiants, ne pouvait en aucune mesure concerner le mandat ; que l'indivisibilité existant entre les deux activités ne concernait que l'exploitation du fonds de commerce ; que dès lors, en statuant comme elle a fait, et en annulant le contrat du 19 mars 1984 dans son ensemble, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1134, 1129 et 1591 du Code civil ; et alors enfin, qu'en statuant encore comme elle a fait, la cour d'appel a dénaturé l'article 7 du titre IV du contrat, au mépris de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt relève que " le contrat de location-gérance pour la revente des lubrifiants impose à la société Fagega de s'approvisionner exclusivement pour ces produits auprès de la société Total ", " au prix de cession du tarif " Revendeurs Total " en vigueur au jour de la livraison "; qu'il en déduit exactement que " de telles clauses confèrent à la société Total la possibilité de fixer unilatéralement le prix, sans aucune référence à des éléments extérieurs "et que le caractère potestatif de la stipulation du prix des lubrifiants entraîne la nullité de toutes les dispositions du contrat relatives à ces produits, " sans qu'une quelconque régularisation puisse ultérieurement " les valider;
Attendu, en second lieu, que l'arrêt relève, en dépit d'une erreur matérielle de référence mais hors toute dénaturation du contrat qui est produit, que celui-ci forme " un tout indivisible "et en déduit à juste titre que la nullité des stipulations relatives aux lubrifiants entraîne celle des clauses relatives aux hydrocarbures; D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le second moyen ; - Vu l'article 2012 du Code civil ; - Attendu, selon ce texte, que si le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable, en cas d'annulation d'un contrat successif, seule la disparition des obligations nées de ce contrat peut entraîner la disparition du cautionnement, lequel conserve son efficacité à l'égard des obligations subsistantes ;
Attendu que, pour déclarer le contrat de cautionnement entaché de nullité, l'arrêt, après avoir exactement décidé que la nullité du contrat d'exploitation conduit à ce que " les choses soient remises en leur état initial ", retient que le cautionnement est " indissociable de l'ensemble du montage juridique imposé par la société Total " et ne peut exister " que sur une obligation valable " ;
Attendu qu'en se déterminant par ces motifs, alors qu'elle énonçait que l'annulation du contrat d'exploitation n'avait pas éteint l'obligation, pour la société Fagega, de payer les livraisons effectuées et de rembourser les sommes empruntées, la cour d'appel, n'a pas tiré de ses énonciations les conséquences légales qui en résultaient ;
Par ces motifs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il a débouté la société Total de sa demande en paiement au titre du cautionnement, dirigée contre M. et Mme Diaz, l'arrêt rendu le 11 janvier 1989, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble.