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Décisions

CA Rouen, 2e ch. civ., 21 mars 1991, n° 2322-89

ROUEN

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Labru

Défendeur :

Entrepôt Colas Bernay Distribution (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Magendie

Conseillers :

MM. Bouche, Grégoire

Avoués :

SCP Colin Voinchet Radiguet, Me Reybel

Avocats :

Mes Pointel, Bril.

T. com. Bernay, du 2 juin 1989

2 juin 1989

LA COUR est saisie de l'appel régulièrement interjeté par Madame Labru d'un jugement prononcé le 2 juin 1989 par le Tribunal de Commerce de Bernay qui l'a condamnée à verser à la Société Entrepôts Colas Bernay Distribution la somme de 63 027,72 F à titre d'indemnité pour non-respect des obligations découlant d'une convention d'achat exclusif de bière signée le 2 mars 1987, outre 5 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Il suffit de rappeler pour la bonne compréhension du litige que Madame Labru, qui exploite à Bernay un commerce de café-brasserie-jeux sous l'enseigne " A l'agriculture ", a passé un contrat d'exclusivité le 18 février 1987 avec les Sociétés Heineken et Pelforth, les Ets Colas étant, aux termes de l'article 4, désignés en qualité de distributeur. Par acte sous seing privé passé avec ces établissements, le 2 mars 1987, Madame Labru s'est engagée à leur acheter les produits spécifiés en annexe, pendant une durée de cinq ans à compter du 1er mars 1987, la convention prévoyait notamment que la violation par l'acheteur de l'une quelconque des obligations mises à sa charge par la convention d'achat exclusive entraînera une pénalité établie sur la base des quantités de bières et boissons manquantes, dont la livraison aurait dû intervenir après l'interruption de la fourniture, ladite indemnité étant fixé irrévocablement et forfaitairement à 20 % du prix des boissons manquantes.

Madame Labru ayant cessé tout approvisionnement depuis le 1er mars 1988, la Société Entrepôts Colas Bernay Distribution invoquant la clause précitée, l'a assignée devant le Tribunal de Commerce dont la décision est déférée à la Cour.

Madame Labru, appelante, reprenant l'essentiel de son argumentation développée devant les premiers juges, fait essentiellement valoir, d'une part, que le contrat est nul pour absence de cause faute de contrepartie sérieuse à la charge de la Société Entrepôts Colas, d'autre part, que le contrat est nul pour indétermination du prix l'intervention d'un arbitre ne modifiant en rien ce caractère indéterminable.

Elle sollicite la réformation du jugement entrepris, l'annulation de la convention du 2 mars 1987 et la condamnation de la société intimée à lui payer 5 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

La Société Entrepôts Colas Bernay Distribution, s'attache à réfuter l'argumentation de Madame Labru, sollicite la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de cette dernière à lui payer 7 000 F au titre de l'article 700 du NCPC, pour les frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en appel.

Sur ce, LA COUR,

Attendu que la convention d'achat exclusif passée le 2 mars 1987 entre la Société Entrepôts Colas Bernay Distribution et Madame Labru dispose à l'article 1er : " Il est constaté que le débitant détient un avantage économique ou financier, reçu à titre particulier de l'entrepositaire-grossiste et décrit par un document indissociable des présentes intitulé intercalaire avantage CHR. L'avantage consenti est un élément essentiel du contrat sans lequel il n'aurait pas été conclu " ; que selon l'article 2, " l'acheteur... s'engage à s'approvisionner exclusivement auprès du fournisseur pour les bières et boissons ci-après désignées par leurs dénomination d'usage à l'annexe 2, intitulé produits ", ... l'approvisionnement étant conclu en considération de l'avantage économique ou financier qu'il a reçu de l'entrepositaire grossiste ; qu'enfin, l'article 3 prévoit que le débitant " achètera exclusivement au fournisseur les produits spécifiés pendant une durée de cinq années à compter du 1er mars 1987 " ;

Attendu que l'annexe 2 de la convention précitée, prévoit les quantités minimales annuelles des diverses boissons fournies par l'entrepositaire grossiste à Madame Labru qui s'engage, de la sorte, à acheter 21 150 litres par an pendant cinq ans, en sorte que la nature et l'étendue de l'obligation de l'acheteur se trouvent nettement définies ;

Attendu par contre que l' " intercalaire avantage CHR ", censé décrire l'avantage économique ou financier détenu par le débitant dont fait état l'article 1er du contrat, n'est pas produit ; qu'il n'est d'ailleurs pas allégué qu'il ait existé ; que le seul avantage que les Ets Colas prouvent avoir consenti à Madame Labru réside en une subvention publicitaire de 5 000 F qu'ils lui ont consentie; que le distributeur n'établit pas en effet la réalité des autres avantages qu'il invoque (ponctualité des livraisons, dépannage, fraîcheur des produits, remise gratuite de verrerie, installation de groupes de froid, installation de la tireuse, pose d'enseigne gratuite) lesquels apparaissent d'ailleurs, en tout état de cause, moins comme un avantage particulier consenti à l'acheteur que comme la conséquence normale de l'exécution du contrat de distribution; que de surcroît, il n'est pas permis de savoir, faute de précisions données à cet égard par la Société intimée, si les avantages dont s'agit seraient distincts de ceux fournis par la Société Heineken, laquelle a fourni contrairement aux allégations de l'intimée, les enseignes du commerce de Madame Labru.

Attendu dès lors que les obligations pesant sur Madame Labru apparaissent sans contrepartie sérieuse, qui doit être assimilée à une absence totale de contrepartie; que l'absence partielle de cause au moment de la formation de ce contrat synallagmatique entraîne sa nullité;

Attendu qu'il apparaît équitable de ne pas laisser à la charge de Madame Labru les frais exposés en appel ;

Par ces motifs : Dit Madame Labru recevable et fondée en son appel, Infirme le jugement entrepris, Dit que la convention du 2 mars 1987 est nulle au regard de l'article 1131 du Code civil, Déboute en conséquence la Société Colas Bernay Distribution de l'ensemble de ses demandes, La condamne à une indemnité de trois mille francs (3000 F) au titre de l'article 700 du NCPC ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés directement contre elle au profit de la SCP d'avoués Colin Voinchet Radiguet selon l'articles 699 du NCPC.