Cass. com., 25 mars 1991, n° 88-19.546
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Mercedes Benz France (SA)
Défendeur :
Garage Michel (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Defontaine
Rapporteur :
M. Bézard
Avocat général :
M. Jeol
Conseiller :
M. Hatoux
Avocats :
Me Ryziger, SCP Lesourd, Baudin.
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 12 septembre 1988), que la société Mercedes Benz France (société Mercedes) qui avait renouvelé jusqu'au 31 décembre 1984 la concession exclusive de vente qu'elle accordait depuis de nombreuses années à la société Garage Michel (société Michel), a résilié ce contrat par lettre du 7 aout 1984 avec effet au 30 septembre, invoquant l'insuffisance de la trésorerie de cette dernière et le montant excessif de ses dettes à son égard ; que la société Michel, soutenant que cette résiliation était injustifiée, a assigné la société Mercedes en dommages-intérêts pour obtenir réparation du préjudice qu'elle prétendait avoir subi de ce fait ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que la société Mercedes fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à verser des dommages-intérêts pour avoir résilié abusivement le contrat de concession de la société Michel, alors, selon le pourvoi, d'une part que la cour d'appel énonce que le nombre des impayés a dépassé la quotité habituellement admise ou tolérée par la société Mercédès après les grèves de l'industrie de production en Allemagne courant mai 1984 qui ont gêné l'approvisionnement des concessionnaires et, que d'une manière quasi simultanée la société Mercedes notifiait à la société Michel qu'elle exigeait le paiement comptant avant enlèvement, et que cette suppression de tout crédit, contrairement à la pratique suivie pendant des années ne pouvait qu'entraîner pour la société Michel des difficultés à l'origine des impayés dont Mercedes s'est ensuite prévalue pour résilier le contrat ; que la cour d'appel ne pouvait, sans contradictio , énoncer qu'il existait des impayés en mai 1984 dépassant ceux habituellement admis par la société Mercedès et que c'est la suppression de tout crédit par lettre du 16 juillet qui a entraîné des difficultés à l'origine des impayés dont la société Mercédès s'est ensuite prévalue pour résilier le contrat ; que la décision attaquée est donc entachée de contradiction et par là même de violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, qu'il résulte de la lettre du 16 juillet 1984, que la société Mercedes se prévalait d'un montant d'impayés de 879 187,19 francs et confirmait à la société Michel que si, au 31 juillet 1984, elle n'avait pas rétabli l'équilibre financier de sa société elle cesserait toute relation contractuelle, et que dans l'immédiat, elle devrait régler au comptant avant enlèvement des marchandises ; que la cour d'appel n'a pu, sans dénaturation de la lettre du 16 juillet 1984 affirmer que les impayés étaient la conséquence de la suppression des crédits par la lettre du 16 juillet 1979 sans rechercher si cette lettre n'était pas elle-même la conséquence d'impayés qui existaient à la date d'envoi ; que la décision attaquée est entachée d'un défaut de base légale, au regard des articles 1184 du Code civil et 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, que la novation ne se présume pas ; que le fait d'admettre ou de tolérer des impayés, pendant un certain nombre d'années n'impliquait pas la renonciation de la société Mercedes à exiger le respect du contrat et notamment en ce qui concerne les paiements comptants ; qu'en refusant d'appliquer le contrat, aux motifs que c'est à bon droit que les premiers juges ont, sans s'attacher à la lettre du contrat, estimé que la résiliation était fautive, en raison du principe exigeant la bonne foi dans l'exécution des conventions, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1273 du Code civil ;
Mais attendu, que l'arrêt a constaté par motifs propres et adoptés, que contrairement à une pratique de crédit fournisseur établie depuis des années, la société Mercedes, sans mise en garde préalable, a exigé de la société Michel, par sa lettre du 16 juillet 1984, le paiement comptant des marchandises avant enlèvement et ce à un moment où, par suite de la carence du fournisseur allemand à assurer les livraisons en raison de grèves ayant perturbé la production en mai 1984, la société concédante reconnaissait à l'égard des autres membres de son réseau la nécessité d'allonger les délais de paiement habituels ; qu'ayant, en l'état de ces constatations, considéré qu'elles révélaient une violation par la société Mercedès de son obligation d'exécuter le contrat de bonne foi, la cour d'appel, sans retenir une novation, ne s'est pas contredite et n'a pas dénaturé les documents invoqués; que le moyen n'est donc fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Mercedes, reproche à l'arrêt d'avoir considéré qu'elle avait résilié de façon abusive le contrat de concession de la société Michel, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la société Mercedes avait fait valoir dans un chef de ses conclusions demeuré sans réponse que la société Michel avait une situation financière obérée, notamment en raison de la création d'une station de freinage à Vire qui avait entraîné une installation de l'ordre de 400 000 francs ne présentant pas les caractères nécessaires de rentabilité et qui avait fragilisé la société Michel ; qu'en se contentant d'affirmer que la création d'une station de freinage à Vire était une manifestation de dynamisme commercial, sans examiner si cet investissement était proportionné aux disponibilités de la société Michel et s'il était rentable, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au vu des articles 1184 du Code civil et 455 du nouveau Code de pocédure civile, et alors, d'autre part, que la société Mercedes avait fait valoir qu'en ce qui concerne le Mali, la société Michel en ne se contentant pas de revendre son propre stock mais qu'elle achetait en plus des véhicules d'occasion à des marchands ou à des concessionnaires de Mercedez Benz France, mais que ces véhicules d'occasion devaient être réglés au comptant, cependant que les conditions de règlement accordées pour les achats s'échelonnaient sur plus de douze mois, et que l'opération était donc dangereuse, qu'elle avait entraîné la crise de trésorerie de la société Michel, ainsi que cela résultait d'une attestation versée au débat ; qu'en ne s'expliquant pas sur les risques de l'opération malienne, et ses relations avec la crise de trésorerie du garage Michel, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1184 et 1185 du Code civil ;
Mais attendu qu'en retenant que la création d'une station de freinage à Vire, ville voisine, était destinée à attirer vers le garage Michel de nouveaux clients et que le fait de vendre au Mali des véhicules d'occasion repris par le concessionnaire à la suite de l'achat, par leur propriétaire, de camions neufs dont le garage Michel avait l'entière propriété et la libre disposition et ce afin d'écouler ses stocks de matériels improductifs en échange de moyens de trésorerie, la cour d'appel, qui a estimé que les erreurs alléguées, n'étaient que des manifestations du dynamisme commercial de ce concessionnaire, a effectué la recherche prétendument omise ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le quatrième moyen : - Attendu que la société Mercedes fait grief à l'arrêt d'avoir alloué une somme à la société Michel avec intérêt au taux légal à compter du 4 octobre 1984, date de l'assignation, alors, selon le pourvoi que les décisions allouant des dommages-intérêts sont constitutives et non déclaratives de droit et que dès lors les juges du fond ne pouvaient assortir la condamnation à des dommages-intérêts des intérêts au taux légal ;
Mais attendu que l'article 1153-1 du Code civil permet au juge de fixer le point de départ des intérêts à une date antérieure au prononcé du jugement ; que le moyen n'est donc pas fondé ;
Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche : - Vu l'article 1147 du Code civil ; - Attendu que la cour d'appel a retenu que la société Mercedes devait être condamnée à payer une indemnité à la société Michel en compensation de la perte pure et simple de la concession des profits futurs que cette société était en droit d'escompter compte tenu d'une jurisprudence qui peut reconnaître jusqu'à une année de marge brute pour permettre au concessionnaire victime des agissements du fabricant automobile de se retourner ;
Attendu qu'en statuant ainsi alors qu'il résultait de ses propres constatations que la concession se terminait le 31 décembre 1984 avec exclusion de toute tacite reconduction, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du troisième moyen : casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 septembre 1988, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.