CA Paris, 5e ch. A, 16 avril 1991, n° 7693-89
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Picquart, Espace Amélie (SARL)
Défendeur :
Aspac (SA), Soface (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chavanac
Conseillers :
M. Chardon, Mme Briottet
Avoués :
SCP Bernabé, Bernabé, SCP Duboscq Pellerin
Avocats :
Mes Auperin Moreau, Azam.
LA COUR statue sur l'appel interjeté par M. Christian Picquart et par la Société Espace Amélie du jugement du 23 janvier 1989, par lequel le Tribunal de Commerce de Paris a donné acte à M. Lagardelle et à la Société Cegac de leur désistement et a débouté les autres parties de leurs demandes.
Courant 1985, la société Aspac a entrepris de mettre en place un réseau de franchise portant sur les prestations de service liées à la création d'entreprises, sa filiale, la société Soface, gérant spécifiquement les contrats de franchise.
Le 21 août 1985, Monsieur Picquart agissant pour le compte de la société Espace Amélie en formation, a conclu un contrat de franchise portant sur le département de la Haute-Garonne.
Après avoir passé diverses autres conventions secondaires avec les sociétés franchiseurs, Monsieur Picquart a conclu, le 6 mars 1986, un nouveau contrat dénommé " Master Régional " lui conférant l'animation de la franchise dans la région du sud-ouest moyennant la perception d'une partie des redevances versées par les nouveaux franchisés du secteur.
A titre de droit d'entrée, Monsieur Picquart a versé au franchiseur une redevance de 35 000 F lors de la signature du premier contrat et une nouvelle " royaltie " de 26 000 F lors de la conclusion du contrat de " master ". En outre, une redevance mensuelle de 5 % du chiffre d'affaires était prévue.
De son coté, le franchiseur s'engageait à mettre à la disposition des cocontractants un " savoir-faire " condensé dans un document dénommé " Bible " avec une formation pratique sous forme de stages, ainsi que l'usage de la marque qu'il s'employait à faire connaître par des publicités dans la presse spécialisée.
Le 30 octobre 1986, le franchiseur résiliait le contrat de " master " et, par acte des 15 et 18 décembre 1986, Monsieur Picquart et la société Espace Amélie ainsi qu'un certain nombre d'autres franchisés, ont fait assigner, les sociétés Aspac et Soface devant le Tribunal de commerce de Paris en nullité des conventions passées et en paiement de dommages-intérêts.
Monsieur Picquart et la société Espace Amélie, appelante du jugement rendu, concluent dans les motifs de leurs écritures à l'annulation des contrats signés les 21 août 1985 et 6 mars 1986 et dans le dispositif des conclusions à leur résiliation aux torts exclusifs des sociétés Aspac et Soface ; ils sollicitent la condamnation de ces dernières au paiement : à Monsieur Picquart des sommes de 35 000 F, 26 360 F et 50 000 F à titre de dommages-intérêts et restitution des droits d'entrée perçus, à la société Espace Amélie, de la somme de 600 000 F à titre de dommages-intérêts ;
Ils demandent en outre l'allocation de la somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Les sociétés Aspac et Soface, intimées, concluent à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement entrepris et à la condamnation de Monsieur Picquart et d'Espace Amélie au paiement de la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts ainsi que de la somme de 20 000 F en remboursement des frais non compris dans les dépens.
Sur quoi, LA COUR :
Considérant que Monsieur Picquart et la société Espace Amélie soutiennent que les contrats conclus ne comporteraient pas de contrepartie de la part du franchiseur, la marque Espace ne bénéficiant d'aucune notoriété auprès du public, tout au moins en province, que la publicité faite pour sa diffusion serait confidentielle et ambiguë (davantage orientée vers la promotion de son initiateur que de la marque elle-même) ; qu'enfin le " savoir-faire " concédé serait sans originalité, voire même inexistant, le document le condensant n'étant que le plagiat d'ouvrages juridiques à la disposition de tous ;
Qu'ils font valoir en outre qu'ils auraient été victimes d'un véritable dol, le franchiseur leur ayant prodigué des promesses de rentabilité sans rapports avec la réalité, leur ayant en outre dissimulé les conséquences onéreuses de l'activité préconisée sur leur bail commercial, et ayant ainsi créé l'illusion d'une véritable franchise, afin de les déterminer à contracter ;
Considérant tout d'abord qu'il échet de constater que, lors de la conclusion des contrats litigieux, la marque Aspac jouissait d'une notoriété certaine dans la région parisienne, son extension à la province étant précisément entreprise par la série de contrats de franchise conclus durant l'année 1985;
Que, dès cette année là et en 1986, des publicités ont effectivement été insérées dans les journaux spécialisés (" Créez "), mêlant à la fois le nom de l'initiateur du procédé (connu à Paris) et le nom de la marque en cours de diffusion sur l'ensemble du territoire;
Considérant sur le contenu du " savoir-faire " mis à la disposition du franchisé, que le document dénommé " Bible " renfermant les éléments de technique juridique objet de la franchise, n'a pas été versé aux débats de par la volonté expresse des parties (afin de préserver son caractère confidentiel), Christian Picquart et Espace Amélie s'abstenant sciemment de requérir sa communication à la procédure ou l'instauration d'une mesure d'instruction portant sur lui ; qu'ainsi sa portée ne peut être utilement appréciée par la Cour ;
Que, dès lors, les allégations des appelants quant au caractère banal, compilateur, plagiaire même et, en définitive, illusoire de la technique juridique franchisée, ne sont ni démontrées ni vérifiables ;
Qu'au surplus, s'agissant d'une franchise de service dans un domaine où les connaissances utilisables sont à la portée de tous, c'est moins l'originalité et l'exclusivité des notions applicables aux situations étudiées qui constituent le savoir-faire concédé que l'expérience du franchiseur dans l'assemblage et l'exploitation des connaissances et des techniques à mettre en œuvre pour résoudre les difficultés rencontrées dans le service de la clientèle;
Qu'en l'espèce, cette technique était en fait davantage apportée, cette expérience était plus effectivement communiquée par les stages de formation pratique dispensés aux franchisés que par la communication de documents d'appréhension intellectuellement malaisée ;
Considérant sur les allégations de dol ; que, conclues entre commerçants dans un but commercial, les conventions litigieuses comportent une marge d'appréciation économique que chacun des contractants intègre dans ses prévisions de profits en fonction de ses capacités et de sa connaissance du milieu financier où il va implanter son entreprise ;
Qu'il lui appartient, en sa qualité de professionnel averti du commerce d'apprécier la valeur et la faisabilité des promesses de rentabilité qui lui sont faites dans la mesure où celles-ci comme c'est le cas en l'espèce, ne comportent pas de la part du promettant une obligation de résultat;
Que, de même, il appartenait de vérifier, lors de la conclusion du contrat la nature du bail commercial dont il était personnellement titulaire et sa comptabilité avec l'activité à laquelle il adhérait que le fait que celle-ci comportait dans un premier temps l'hébergement (sous forme de sous-location de locaux) des sociétés en cours de création, ne saurait constituer une dissimulation frauduleuse de la part du franchiseur dans l'étendue des obligations contractées par le franchisé, celui-ci devant, en sa qualité de commerçant, être à même d'apprécier les conséquences de ses engagements au regard de son propre bail ;
Considérant enfin, qu'il échet de relever que, s'affirmant lui-même spécialiste des affaires et de la gestion ainsi que conseil en franchise, Monsieur Picquart apparaît comme un commerçant particulièrement averti aussi bien de la pratique commerciale en général que des spécificités des conventions de franchise ;
Que ses critiques (de même que celles de la Société Espace Amélie dont il est le gérant et l'associé majoritaire) tant sur le contenu de la franchise concédée que sur les conditions de son adhésion, apparaissent particulièrement infondées dans la mesure où lui-même a, le 6 mars 1986, - soit six mois après la conclusion du contrat de franchise du 21 août 1985 - accepté de passer avec les sociétés Aspac et Soface une nouvelle convention de " Master Régional " par laquelle il s'engageait à diffuser et à animer dans la région du sud-ouest la franchise litigieuse démontrant par là même la réalité certaine de celle-ci et la sincérité du consentement donné lors de son adhésion ;
Considérant que dès lors c'est à bon droit que le premier juge a rejeté aussi bien la demande en nullité des contrats que la demande tendant à leur résiliation aux torts des sociétés franchiseurs, les motifs de cette dernière prétention se confondant en fait avec ceux avancés pour justifier l'anéantissement des conventions ;
Considérant qu'en raison de la présente décision, les demandes en dommages-intérêts présentée par M. Picquart et la société Espace Amélie sont sans fondement et doivent être rejetées ;
Considérant sur la demande formée par les sociétés intimées du même chef que ces sociétés ne démontrent pas qu'en exerçant la voie du recours non plus qu'en saisissant le Tribunal de commerce, M. Picquart et Espace Amélie aient agi à leur égard avec intention de nuire ou légèreté blâmable que, non fondée, cette demande doit être rejetée ;
Considérant qu'au vu des faits de la cause, il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais non compris dans les dépens exposés par elle en cause d'appel ;
Par ces motifs : Confirme le jugement déféré; Rejette les demandes en dommages-intérêts et en remboursement de frais irrépétibles présentées par chacune des parties; Condamne Monsieur Picquart et la société Espace Amélie aux dépens, Autorise la SCP Bernabé avoué au bénéfice de l'article 699 du NCPC.