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Décisions

CA Poitiers, ch. civ. sect. 1, 24 avril 1991, n° 3225-89

POITIERS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Fantini

Défendeur :

Entretube Ostréicole (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Egal

Conseillers :

Mmes Baudon, Braud

Avoués :

SCP Musereau-Drouineau Rosaz, SCP Landry-Tapon

Avocats :

Mes Pascot, Bonnin.

T. com. Rochefort-sur-mer, du 27 oct. 19…

27 octobre 1989

Suivant contrat en date du 2 janvier 1988 M. Fantini, inventeur d'un sac " porteur tout ", a concédé à la SARL Entretube Ostréicole l'exclusivité de la vente de ce produit sur tout le territoire français dans le secteur particulier de l'ostréiculture.

Aux termes de cette convention prévue pour une durée de 2 ans avec possibilité de renégociation après, la Sté Entretube s'engageait en contrepartie de l'exclusivité dont elle bénéficiait à vendre un minimum de sacs et à verser une royaltie sur chaque unité vendue.

La Sté Entretube ayant fait savoir le 29 septembre 1988 qu'elle résiliait le contrat, M. Fantini lui réclamait les redevances correspondant au nombre minimum d'articles qu'il s'était engagé à vendre pendant les deux ans que devait durer normalement le contrat.

La Sté Entretube résistait et soutenait que la convention passée avec Fantini était nulle ; qu'en effet elle s'était engagée en pensant pouvoir placer les sacs auprès de ses clients ; que ceux-ci étant pour la majorité des ostréiculteurs non-commerçants il s'était avéré que ces derniers ne pouvaient revendre le produit litigieux ; que par ailleurs Fantini avait usé de manœuvres pour obtenir l'adhésion d'Entretube ;

Par jugement du 27 octobre 1989 le Tribunal de Commerce de Rochefort-Sur-Mer considérant que la Sté Entretube Ostréicole n'aurait pas contracté si elle avait su avant la signature que la vente des sacs n'était pas possible a :

- débouté M. Fantini de toutes ses demandes,

- prononcé la nullité du contrat passé le 2 janvier 1988,

- condamné M. Fantini à rembourser à Entretube Ostréicole les sacs repris le 10 octobre 1988,

- dit n'y avoir lieu à dommages-intérêts pour préjudice subi,

- condamné M. Fantini à 500 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

M. Fantini a interjeté appel de cette décision.

Il maintient que l'erreur alléguée par la Sté Entretube n'est pas de nature à entraîner la nullité du contrat ; que c'est à tort que le Tribunal a considéré qu'en l'espèce la substance même de la chose objet du contrat était le fait de pouvoir vendre aux ostréiculteurs ; qu'il ne saurait être considéré comme responsable de l'impossibilité voire de l'incapacité de la Sté Entretube de vendre le sac aux professionnels de l'ostréiculture ; qu'il appartenait à cette Sté de prendre tout renseignement sur les débouchés possibles et le profit à escompter ; que pas plus il ne saurait lui être reproché d'avoir extorqué le consentement de son cocontractant ; qu'en mettant fin unilatéralement aux relations qui les unissaient, la Sté Entretube lui a causé un préjudice important dont il est en droit d'être indemnisé.

M. Fantini demande en conséquence à la Cour de :

- constater, dire et juger que ne peut être prononcée la nullité du contrat ayant lié M. Fantini à la Sté Entretube Ostréicole notamment par application des articles 1110 et 1116 du Code Civil,

- constater, dire et juger que la Sté Entretube Ostréicole n'apporte pas la preuve du dol dont elle se prévaut de même que d'une erreur sur la substance de la chose objet du contrat ou sur ses qualités substantielles.

- constater, dire et juger que la Sté Entretube Ostréicole a résilié unilatéralement et de façon particulièrement abusive le contrat de commercialisation litigieux,

- constater, dire et juger que par application du contrat et à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices commerciale et financier subis par M. Fantini, la Sté Entretube Ostréicole lui règlera les sommes de 59 300F avec intérêts de droit et 6 000 F,

- condamner enfin la Sté Entretube Ostréicole au paiement d'une somme de 6 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- condamner la Sté Entretube Ostréicole aux entiers dépens de première instance que d'appel.

La SARL Entretube Ostréicole rétorque que non seulement il y a eu erreur sur la cause à savoir le lancement du sac sur le marché ostréicole mais qu'à partir du moment où cette possibilité ne pouvait objectivement exister le contrat se trouvait dépourvu de toute cause ; que par ailleurs M. Fantini a obtenu la signature rapide du contrat en se présentant un jour de fermeture de l'entreprise et en faisant croire à la Sté Entretube qu'elle se trouvait en concurrence avec une autre susceptible d'emporter le marché ; que même si le contrat devait être jugé valide aucune redevance ne serait due à M. Fantini puisque sa rémunération était prévue en fonction du nombre d'unités vendues. La SARL Entretube Ostréicole conclut en conséquence à la confirmation du jugement et à la condamnation de l'appelant à lui payer 5 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et 3 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 janvier 1991.

Sur la nullité du contrat invoquée par la SARL Entretube Ostréicole :

Attendu tout d'abord qu'il convient de réfuter le moyen soulevé devant la Cour par la SARL Entretube et tenant à la nullité du contrat pour absence de cause ; que la convention signée le 2 janvier 1988 avait pour but de conférer à la SARL Entretube Ostréicole l'exclusivité de la vente du sac " porte tout " inventé par M. Fantini ; que cette exclusivité lui a effectivement été concédée auprès de tous les professionnels de l'ostréiculture ; que la Sté Entretube a contracté aux fins d'être seule à pouvoir effectuer la commercialisation de ce produit dans une branche professionnelle déterminée ; que c'est bien l'objectif qu'elle poursuivait en s'engageant puisqu'elle reproche à M. Fantini de lui avoir en quelque sorte forcé la main en lui faisant valoir que si elle différait sa réponse, ce marché risquerait de lui échapper au profit d'une entreprise concurrente ; que les obligations souscrites de part et d'autre n'étaient donc nullement dénuées de cause ;

Que même à supposer, comme la Sté Entretube le prétend maintenant que la cause déterminante de son engagement était qu'elle puisse placer auprès des ostréiculteurs le sac pour qu'à leur tour ceux-ci le revendent à leurs propres clients, il n'y a pas lieu pour autant à annulation dans la mesure où il n'est nullement établi que M. Fantini ait su qu'il était essentiel pour son cocontractant que les ostréiculteurs puissent rétrocéder la marchandise; qu'en effet la nullité n'est encourue que lorsque l'erreur a porté sur une qualité convenue et dont chacune des parties avait conscience qu'elle était substantielle pour l'autre; qu'au surplus l'erreur alléguée est inexcusable de la part de la Sté Entretube Ostréicole qui compte tenu de ses activités était censée connaître parfaitement le milieu professionnel qu'elle côtoyait régulièrement et notamment le statut des ostréiculteurs ; qu'à tout le moins, il lui appartenait de se renseigner avant de s'engager pour savoir, si comme elle le croyait, ceux-ci pouvaient revendre le sac; que M. Fantini n'est nullement responsable des raisons pour lesquelles les espérances que la SARL Entretube Ostréicole avait placées dans l'exclusivité recherchée ne se sont pas concrétisées ;

Attendu en conséquence que c'est à tort que les premiers juges ont prononcé la nullité du contrat en se fondant sur l'article 1110 du Code Civil dont les conditions d'application ne sont pas réunies en l'espèce;

Attendu que pas plus il y a lieu à annulation pour cause de dol ; que ce n'est pas parce que M. Fantini serait venu un jour de fermeture de l'entreprise pour faire signer le contrat que pour autant le gérant de la Sté n'avait pas la possibilité d'apprécier exactement l'intérêt qu'il pouvait retirer de la proposition qui lui était présentée ; qu'étant un professionnel il était en mesure de résister et de demander un temps de réflexion pour éventuellement solliciter les avis soi-disant lui auraient manqués pour se décider en connaissance de cause ;

Attendu que le consentement de la Sté Entretube Ostréicole ayant été valablement donné, le contrat signé le 2 janvier 1988 doit recevoir application ;

Sur les engagements souscrits :

Attendu que l'article 3 du contrat prévoyait " en contrepartie de l'exclusivité qui lui est accordée, le concessionnaire s'engage à vendre un minimum de quatre mille unités la première année et six mille unités la deuxième année " ;

Que l'article 5 stipulait " en considération des obligations du concédant, le concessionnaire s'engage à verser au concédant en rémunération une royaltie fixée forfaitairement à 5 F hors taxe par unité vendue " ;

Qu'enfin l'article 6 précisait " le concessionnaire s'engage à verser au concédant un montant de redevance égal au résultat du calcul suivant : une royaltie article 5 multipliée par le nombre d'unités minima article 3 " ;

Attendu qu'il résulte de la combinaison des articles 3 et 6 que quels que soient les résultats obtenus la SARL Entretube Ostréicole était tenue en contrepartie de l'exclusivité concédée de verser à M. Fantini une redevance de 5 F HT x par le nombre minimum d'unités qu'elle s'était engagée à vendre ; que M. Fantini a droit à cette rémunération minimum même en dehors de toute vente réalisée ;

Que le contrat ayant été conclu pour une durée de 2 ans M. Fantini a droit à la somme de 59 300 F (4 000 + 6 000 unités = 10 000 x 5 HT + 18,60 % de TVA = 59 300) en réparation du préjudice que lui a causé la résiliation abusive du contrat décidée unilatéralement par la Sté Entretube Ostréicole ; que la SARL Entretube Ostréicole doit être condamnée au versement de cette somme ; qu'il n'y a pas lieu à autres dommages-intérêts dans la mesure où M. Fantini ne justifie pas de ce qu'ayant réservé l'exclusivité dans le secteur de l'ostréiculture à la Sté Entretube, il a été contraint de négocier à moindre prix l'exclusivité accordée à la Sté Nouel pour tous les secteurs autres que celui de l'ostréiculture ;

Attendu enfin qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'appelant la totalité des dépens par lui exposés pour faire valoir jusque devant la Cour le bien fondé de ses prétentions ; qu'il lui sera alloué la somme de 3 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Par ces motifs : LA COUR, Reçoit l'appel de M. Fantini régulier en la forme, le dit bien fondé ; En conséquence, Infirme le jugement rendu le 27 octobre 1989 par le Tribunal de Commerce de Rochefort-Sur-Mer ; Dit n'y avoir lieu à annulation du contrat signé le 2 janvier 1988 par M. Fantini et la SARL Entretube Ostréicole ; Dit que la Sté Entretube Ostréicole a abusivement résilié la convention la liant à M. Fantini ; Condamne en conséquence la SARL Entretube Ostréicole à payer à M. Fantini en application des dispositions contractuelles la somme de 59 300 F avec intérêts de droit ; Déboute la SARL Entretube Ostréicole de sa demande de dommages-intérêts complémentaires ; Condamne la SARL Entretube Ostréicole à payer à M. Fantini la somme de 3 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne la SARL Entretube Ostréicole en tous les dépens tant de première instance que d'appel et Autorise la société d'avoués Musereau-Drouineau Rosaz à recouvrer ceux dont elle aura fait l'avance sans avoir reçu provision.