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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch., 7 mai 1991, n° 688-91

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Marquais (Époux)

Défendeur :

Sarrazin

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Martin

Conseillers :

Mlle Courbin, M. Ors

Avoués :

SCP Lacampagne-Puybaraud, Me Fournier

Avocats :

Mes Dahan, Kappelhoff-Lancon

T. com. Bordeaux, du 20 déc. 1990

20 décembre 1990

Vu le jugement rendu le 20 décembre 1990 par le Tribunal de commerce de Bordeaux et dont les époux Marquais ont relevé appel le 29 janvier 1991 dans des conditions de recevabilité non discutées,

Vu les conclusions déposées le 22 février 1991 pour les appelants et le 26 mars 1991 pour l'intimée ;

Attendu que la Cour se réfère pour l'exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties au jugement déféré et aux conclusions déposées, certains éléments étant seulement rappelés ;

Que par un acte sous seing privé du 20 avril 1989, réitéré devant notaire le 6 juin 1989, les époux Marquais vendaient à Mme Sarrazin un fonds de commerce de vente de parfumerie " Parfumerie d'Orian " exploité 16 Cours Victor Hugo à Bègles, moyennant le prix de 540 000 F, les marchandises faisant l'objet d'une vente séparée pour 266 975,94 F, que le contrat sous seing privé comportait la mention suivante : " le vendeur déclare qu'il bénéficie de contrats de distributeur agréé avec les maisons suivantes : Loris Azzaro, Christian Dior, Givenchy, Yves Saint Laurent, Lancôme, Guy Laroche " ;

Que par acte du 20 juillet 1989 Mme Sarrazin assignait les époux Marquais en annulation de cette vente par application des articles 1116 du Code civil, 14 de la loi du 29 juin 1935 et 1641 et suivants du Code civil, et réparation de son préjudice ;

Que le tribunal, par la décision déférée, a prononcé l'annulation de la vente du fonds de commerce et du stock correspondant, condamné les époux Marquais à payer à Mme Sarrazin en deniers ou quittances 540 000 F, prix du fonds, et 266 975,94 F prix des marchandises, outre 100 000 F à titre de dommages-intérêts et 25 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, décision assortie de l'exécution provisoire moyennant un engagement de caution bancaire fourni par Mme Sarrazin à hauteur de 900 000 F ;

Attendu que les appelants critiquent cette décision soutenant que Mme Sarrazin avait une connaissance parfaite du domaine de la parfumerie et de l'existence des contrats de " distributeur agréé ", visés par l'acte sous seing privé et non l'acte authentique, aucune formalité de cession, voire de présentation pour agrément sur présentation du prédécesseur n'était envisageable ;

Qu'invoquant la mauvaise foi de Mme Sarrazin, ils demandent 300 000 F à titre de dommages-intérêts et 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi que la remise par le séquestre des fonds versés en application de l'exécution provisoire du jugement ;

Que l'intimée conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions sur le fondement de l'article 1116 du Code civil ;

Attendu que le litige a pour origine le non renouvellement au profit de Mme Sarrazin des principaux contrats de distributeur agréé, objet d'une mention dans l'acte sous seing privé de vente du 20 avril 1989, et dont bénéficiaient les vendeurs ;

Que Mme Sarrazin a demandé et obtenu du tribunal l'annulation de la vente pour réticence dolosive des vendeurs, qui ne lui ont pas révélé le caractère incessible de ces contrats, ni les exigences des fournisseurs en matière " d'environnement de marques ", et qui ne lui ont pas remis les contrats en cause qu'elle n'a obtenus que postérieurement à la vente des parfumeurs eux-mêmes ou dans le cadre de la procédure qu'elle a engagée et qui lui ont permis de découvrir la vraie nature de ces contrats ;

Attendu que les parties sont d'accord pour considérer, ainsi que l'a dit le tribunal, dans une motivation entièrement adoptée par la Cour, que dans un fonds de parfumerie, les contrats de distributeurs agréés constituent bien un élément essentiel de la valeur de ce fonds ; que les parfumeurs, pour protéger la qualité de leur distribution, exigent que leurs produits de luxe soient vendus dans un cadre élégant et dans un magasin approvisionné en produits " hauts de gamme " en quantité importante ; qu'à cette fin, ils ont mis au point des contrats déclarés incessibles, qui sont conclus personnellement avec un commerçant et non transmissibles à son successeur ;

Attendu que l'acte sous seing privé du 20 avril 1989 concrétise l'accord du vendeur et de l'acquéreur sur la chose vendue et le prix; que la vente était parfaite entre les parties à cette date en application de l'article 1153 du Code civil; qu'aux termes de cet acte le fonds est vendu tel qu'il existe avec tous les éléments qui le composent sans exception, ni réserve, étant ajouté en marge de façon manuscrite : " le vendeur déclare qu'il bénéficie de contrats de distributeur agréé avec les maisons suivantes : Loris Azzaro - Christian Dior - Givenchy - Yves Saint Laurent - Lancôme - Guy Laroche ", mention paraphée;

Que pour conclure valablement ce contrat, l'acquéreur devait avoir connaissance du contenu de ces contrats, élément jugé essentiel par les parties qui les ont fait figurer dans l'acte;

Attendu que les appelants soutiennent que Mme Sarrazin en avait connaissance car elle avait démarché Mme Marquais longtemps avant la vente et d'autres parfumeurs, confortant ainsi " son savoir de la profession qu'elle connaissait déjà ", qu'elle s'est fait assister de son propre notaire, Me Baziadoly, faisant ajouter dans l'acte sous seing privé la mention des contrats de distributeur agréé, dont elle a reçu un double ; qu'ils produisent une attestation de Mme Basinko disant que, contactée en 1988 par les époux Sarrazin pour l'achat de sa parfumerie au Bouscat, elle leur avait signalé le caractère " nominatif (incessible) " des contrats de distribution des grandes marques, mais que, ayant visité déjà plusieurs parfumerie de Bordeaux, ils connaissaient cette particularité ; que Mme Sarrazin nie avoir tenu de tels propos, qui ne sont confortés par aucun autre élément ; qu'il n'est pas davantage prouvé qu'elle ait tenu antérieurement une parfumerie et eu connaissance de ces contrats particuliers que sont les contrats de distributeurs agréés des grandes marques de parfumeur et de leurs exigences, qu'elle pouvait donc penser que ces contrats seraient renouvelés à son profit dès lors que les conditions restaient inchangées ;

Que les époux Marquais n'établissent pas davantage que Mme Sarrazin ait travaillé dans leur fonds antérieurement à l'acte de vente du 20 avril 1989, et qu'elle ait eu accès aux contrats en cause ;

Que de la mention de ces contrats à l'acte sous seing privé, puis de sa non reproduction dans l'acte authentique, il ne saurait être déduit que Mme Sarrazin en a eu connaissance, alors que le 30 mai 1989 elle a assigné en référé les époux Marquais en communication, sous peine d'astreinte, de certaines pièces, dont les contrats, qui ne lui avaient donc toujours pas été remis plus d'un mois après la signature du sous seing privé ;

Attendu que les documents versé aux débats établissent que dès le 20 avril 1989, soit quelques jours après la signature du sous seing privé, Mme Marquais a écrit aux divers parfumeurs les informant de la vente de son fonds aux époux Sarrazin ; que si " Léonard " répondait entendre poursuivre avec le successeur les excellentes relations qu'il entretenait avec elle, " Azzaro ", " Dior " et " Givenchy " réservaient leur décision suspendue à certaines vérifications et rappelaient les exigences contractuelles ;

Que le 4 juillet 1989, faisant suite à un appel téléphonique de Mme Sarrazin, Dior lui envoyait le contrat joint à une lettre par laquelle il lui rappelait qu'aux termes des conditions générales de vente 1989 elle devait être dépositaire de 3 marques figurant parmi les 9 premières du classement établi par European Forecast, l'une de ces 3 marques devant être une des 3 premières (Yves Saint Laurent - Chanel - Guerlain - Nina Ricci - Cacharel - Rochas - Lancôme - Givenchy - Hermès) et, à défaut, lui accordait un délai prenant fin le 30 mai 1990 " afin de compléter votre environnement de marque ", sous peine de mettre fin à leurs relations ;

Que ce courrier explicite parfaitement " l'environnement de marques " ;

Que par un courrier du 6 juillet 1989, faisant suite également à un appel téléphonique de Mme Sarrazin, s'inquiétant manifestement du sort de ces contrats, Yves Saint Laurent envoyait une copie du contrat de distribution et des conditions générales de vente signées par Mme Marquais ; qu'il rappelait l'incessibilité prévue au contrat, la nécessité pour le nouvel exploitant de remplir toutes les conditions pour devenir " distributeur agréé ", la visite à Bègles le 17 mai de son attaché commercial, que n'avait pas reçu Mme Marquais ; qu'il confirmait à Mme Sarrazin sa décision après la visualisation du point de vente finalement effectuée le 28 juin par M. Lafitte, qui lui avait fait part de leur " décision de ne pas reconduire le contrat puisque les critères qualitatifs de cette affaire sont insuffisants " ; qu'en conclusion il l'informait de ce que son représentant était chargé de procéder à la reprise des produits et du matériel confiés à Mme Marquais ;

Qu'ainsi, le départ de Yves Saint Laurent est certain 1 mois seulement après la signature de l'acte authentique pour des motifs qui ne peuvent être imputables à Mme Sarrazin, dont il n'est pas établie que dans ce bref délai elle aurait modifié les conditions d'exploitation du fonds, et qui prouve avoir suivi les cessions de formations des différents parfumeurs ;

Que les époux Marquais objectent que les conditions d'exploitation étaient conformes aux exigences de Yves Saint Laurent ; que ce parfumeur avait exigé le 23 juin 1987 l'exécution dans un délai de 6 mois de travaux afin de rétablir au magasin le " standing correspondant au prestige et à la notoriété de (sa) marque " sous peine d'interrompre leurs relations commerciales ou bien, en cas de vente sans accomplissement préalable des travaux, de ne pas engager de relations commerciales avec le nouveau propriétaire puis avait décidé par courrier du 19 avril 1988 de procéder à la " réouverture du compte " de Mme Marquais puisque les travaux demandés étaient achevés ; que les époux Marquais ont effectué du 28 février au 13 juillet 1988 des travaux pour la somme totale de 39 017,28 F ; que cependant, c'est après une " nouvelle visualisation " en juin 1989, en l'absence de tout autre motif invoqué et qui serait imputable à Mme Sarrazin, qu'Yves Saint Laurent a refusé de conclure un nouveau contrat avec cette dernière ;

Que cette décision de retrait du n° 1 de la parfumerie a eu pour conséquence la perte d'un chiffre d'affaires important, mais aussi et surtout, en application de la clause concernant " l'environnement de marques " figurant aux divers contrats des grands parfumeurs, de provoquer le départ des autres grandes marques, notamment de Dior et de Lancôme, les époux Marquais n'ayant de contrat ni avec Chanel ni avec Guerlain, numéros 2 et 3 du classement ; qu'ainsi Lancôme donnait également le 6 septembre 1989 un délai de 6 mois pour prendre les mesures nécessaires à la reprise du contrat, et le 19 juin 1990 manifestait son intention de mettre fin à leurs relations commerciales pour non conformité aux conditions générales de vente ;

Attendu au vu de ces éléments que les premiers juges ont dit à bon droit que l'accord de Mme Sarrazin à la vente a été surpris de façon dolosive, car lui ont été délibérément cachés la fragilité " des contrat de distributeur agréé "que seuls les contrats dont elle a réclamé en vain la remise pouvaient lui révéler, ainsi que l'interdépendance existant en fait entre ces contrats, la perte de Yves Saint Laurent, en l'espèce, n° 1 de la parfumerie, ayant pour conséquence le départ des autres grandes marques, élément essentiel du fonds; que Mme Sarrazin les connaissant n'aurait pas contracté ;

Attendu ainsi, que la décision déférée doit être confirmée en ce qu'elle a annulé la vente pour dol sur le fondement de l'article 1116 du Code civil et en a tiré toutes conséquences qui sont confirmées en l'absence de toute critique ;

Attendu que les époux Marquais, qui succombent totalement en leur thèse, doivent supporter les entiers dépens ;

Par ces motifs, LA COUR, Déclare les époux Marquais recevables mais non fondés en leur appel ; En conséquence, confirme la décision déférée en toutes ses dispositions ; Condamne les époux Marquais aux entiers dépens, application étant faite des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.