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Décisions

CA Dijon, 1re ch. sect. 1, 28 mai 1991, n° 707-91

DIJON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Beylstein Rousselet Michel et Compagnie (SARL), Mag'Inter (SA)

Défendeur :

Reig (ès qual.), CPFL (SA), Plantagenet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Combes

Conseillers :

MM. Veille, Jacquin

Avoués :

Me Gerbay, SCP Fontaine Tronchand, SCP André Gillis

Avocats :

Mes Poncet, SCP Berland Lallemant Rigaudière, Reig.

T. com. Dijon, du 23 oct. 1990

23 octobre 1990

Faits, procédure et prétentions des parties :

A la fin de l'année 1988 les époux Plantegenet qui souhaitaient acquérir une grande surface de distribution se sont adressés à la centrale d'achats Beylstein Rousselot Michel et Cie, en abrégé BRMC, qui leur a fait souscrire le 8 février 1989 un contrat d'affiliation (franchise) et les a mis en rapport avec la société Mag'Inter, venderesse d'un fonds de commerce de supermarché situé à Is-sur-Tille.

En effet le 13 janvier 1989 la société Mag'Inter et M. Plantegenet ou toute personne physique ou morale qu'il pourrait se substituer ont signé un compromis de vente de ce fonds de commerce pour le prix de 700 000 F sous condition suspensive de l'obtention par l'acquéreur d'un prêt de 600 000 F dans le délai de trois mois ; l'entrée en jouissance a cependant été fixée au 14 février 1989, donc antérieurement à la régularisation de la vente par acte authentique, laquelle n'a jamais eu lieu, faute de réalisation de la condition suspensive.

Par l'entreprise de la société BRMC, une société anonyme dénommée CPFL a été constituée pour prendre en charge l'exploitation du fonds de commerce précité et M. Plantegenet en a été nommé président directeur général.

Après six mois d'activité la société CPFL a été déclarée en redressement puis en liquidation judiciaire par deux jugements successifs du tribunal de commerce de Dijon du 22 août 1989.

Statuant sur requête en comblement du passif social diligentée par Me Reig liquidateur de la société CPFL à l'encontre de M. Plantegenet et des sociétés BRMC et CPFL, le tribunal de commerce de Dijon, par jugement du 23 octobre 1990, a condamné les défendeurs à lui payer les sommes suivantes dans les six mois du prononcé de la décision :

- M. Plantegenet, dirigeant de droit, la somme de 20 000 F,

- Les sociétés BRMC et CPFL déclarées dirigeantes de fait, solidairement le surplus de l'insuffisance d'actif, le tout avec exécution provisoire.

Les sociétés BRMC et Mag'Inter ont interjeté appel de cette décision en demandant à la Cour de les décharger de toute contribution au règlement du passif social aux motifs qu'elles n'auraient pas eu la qualité de dirigeantes de fait de la société CPFL et qu'en toute hypothèse aucune faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif ne pourrait leur être imputée.

Me Reig ès qualités conclut à la confirmation intégrale du jugement entrepris en faisant valoir que la société BRMC aurait outrepassé la mission d'assistance du franchiseur à l'égard du franchisé pour devenir le dirigeant de fait de la société CPFL ; s'agissant de la société Mag'Inter, l'intimé soutient que celle-ci aurait consenti une location-gérance de fait de son fonds de commerce et qu'elle serait solidairement responsable des dettes d'exploitation par application de l'article 8 de la loi du 20 mars 1956.

M. Plantegenet réassigné le 2 avril 1991 à la personne de son épouse n'ayant pas constitué avoué, le présent arrêt sera réputé contradictoire par application de l'article 474 du nouveau code de procédure civile.

Discussion :

Attendu que la décision entreprise est définitive en ce qu'elle a fixé à 20 000 F la part du passif social mis à la charge de Claude Plantegenet qui n'a pas interjeté appel et n'a pas fait l'objet d'un recours incident de la part du liquidateur ;

I- Sur le bien fondé de l'action dirigée contre la BRMC :

Attendu que la société BRMC soutient que dans le cadre de l'exécution du contrat de franchise qui la liait avec la société CPFL, elle n'aurait fait que mettre à la disposition de cette dernière de nombreux services obligatoires ou facultatifs caractérisant une mission d'assistance technique, mais non pas une immixtion dans la gestion sociale ;

Mais attendu que les documents de la cause révèlent que la société BRMC a outrepassé ses attributions licites de franchiseur et s'est comportée comme un dirigeant de fait de l'entreprise;

Attendu en effet que c'est elle qui a tout d'abord servi d'intermédiaire dans la négociation du compromis de vente du fonds de commerce entre la société Mag'Inter et M. Plantegenet, préparé les statuts de la société CPFL, effectué les démarches nécessaires à l'immatriculation de celle-ci au registre du commerce et proposé le choix de son propre notaire;

Attendu surtoutque c'est elle qui détenait à Moncel-les-Lunéville tous les documents comptables, sociaux et bancaires nécessaires à la gestion de la société CPFL dont le siège social et le dirigeant de droit se trouvaient pourtant à Is-sur-Tille;

Attendu que si M. Plantegenet avait conservé la signature bancaire et sociale, tous les documents administratifs et les titres de paiement étaient préparés par les cadres de la société BRMC avant de lui être adressés pour signature, ce qui démontre l'emprise du franchiseur sur la gestion du franchisé;

Attendu que cette ingérence est encore caractérisée par le fait que la société BRMC, au mépris de l'article 6 du contrat d'affiliation, établissait les déclarations fiscales et sociales (TVA et URSSAF) et imposait les prix de vente, suivant la déclaration faite par Mme Cretet Mireille, caissière du magasin, aux enquêteurs de la police judiciaire ;

Attendu que l'immixtion de la société BRMC était également manifeste en ce qui concerne la gestion du personnel, dès lors que les fiches individuelles d'embauche du supermarché d'Is-sur-Tille comportaient le visa de M. Beylstein, l'un des dirigeants de cette société, et que les procédures prud'homales intéressant ledit personnel étaient confiées au conseil de la même société par M. Krawczyk, son directeur administratif et financier;

Attendu que le fait que la société BRMC, soit elle-même créancière de la société CPFL pour un montant déclaré de 148 269 F ne signifie pas pour autant qu'elle n'a pas accompli des actes de gestion de ce supermarché qu'elle approvisionnait presque exclusivement, ce qui a généré pour elle des bénéfices commerciaux supérieurs aux impayés qui sont apparus à partir de juin 1989 ;

Attendu que, précisément, en cette double qualité de dirigeante de fait et de principal fournisseur de la société débitrice, il lui est justement reproché par le liquidateur d'avoir participé à la poursuite d'une activité devenue fortement déficitaire à partir de juin 1989, ainsi que le révèle notamment le rapport de synthèse de la police judiciaire ;

Attendu, à cet égard que si elle est à l'initiative de la lettre du 29 mai 1989 dans laquelle M. Plantegenet informait la société Mag'Inter de son intention de cesser l'exploitation au 30 juin 1989, à défaut par lui d'avoir obtenu les concours bancaires nécessaires à l'acquisition du fonds de commerce, il est non moins certain que la décision de poursuivre l'exploitation jusqu'à la découverte d'un nouvel acquéreur a cependant été prise " conformément aux accords passés entre M. Plantegenet, M. Krawczyk de la société BRMC et la société Mag'Inter ", selon les termes du courrier de cette dernière à M. Plantegenet en date du 28 juin 1989 ;

Attendu qu'en acceptant de poursuivre jusqu'en août 1989 sa participation à l'exploitation et à l'approvisionnement du supermarché d'Is-sur-Tille dont elle connaissait le défaut de trésorerie par l'ensemble des relevés comptables qui étaient en sa possession et par ses propres impayés, la société BRMC a commis une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif ;

Attendu que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont mis à sa charge l'insuffisance d'actif de la société CPFL, déduction faite de la participation minime de 20 000 F que devra supporter M. Plantegenet ;

Attendu, cependant, que l'arrêté définitif des créances n'étant pas encore intervenu le montant exact de cette insuffisance d'actif ne peut être fixé à ce jour ;

Attendu qu'en l'état des déclarations de créances, le passif global, à l'exclusion des frais de justice, s'élève à 1 152 338,10 F desquels doit être défalquée la créance de la société BRMC pour un montant de 148 269,41 F, tandis que les réalisations d'actif n'ont laissé qu'un disponible de 69 215,50 F ;

Attendu que compte tenu de ces éléments Me Reig ès qualités est fondé à obtenir une provision de 800 000 F à valoir sur l'insuffisance d'actif d'ores et déjà incontestable, cette provision devant être versée dans un délai de trois mois à compter de ce jour ;

II- Sur le bien fondé de l'action dirigée contre la société Mag'Inter :

Attendu qu'il n'est pas démontré ni même allégué que la société Mag'Inter, en sa qualité de propriétaire du fonds de commerce, se soit immiscée dans la gestion de celui-ci par la société CPFL ;

Attendu, certes, qu'elle a autorisé cette dernière à entrer en possession du fonds au 14 février 1989, donc avant l'expiration du délai de réalisation de la condition suspensive affectant la vente, puis a " pris acte " le 28 juin 1989 de l'engagement de M. Plantegenet de poursuivre l'exploitation litigieuse jusqu'à reprise de l'activité par un autre acquéreur ;

Mais attendu que si la société Mag'Inter a pris le risque de laisser exploiter son fonds de commerce par un acquéreur éventuel qui n'a finalement pas été en mesure de réaliser l'opération, elle n'a pas pour autant participé à la gestion temporaire de ce fonds par la CPFL, ce qui exclut l'application à son encontre des dispositions de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Attendu certes qu'en cause d'appel Me Reig invoque principalement le moyen tiré de l'application de l'article 8 de la loi du 20 mars 1956 aux termes duquel 'jusqu'à la publication du contrat de location-gérance et pendant un délai de six mois à compter de cette publication, le loueur du fonds est solidairement responsable avec le locataire-gérant des dettes contractées par celui-ci à l'occasion de l'exploitation du fonds " ;

Mais attendu que si la société Mag'Inter a laissé à la société CPFL la gestion de fait de son fonds de commerce du 14 février au 22 août 1989, aucun élément du dossier ne permet de démontrer ni même supposer que les parties ont entendu souscrire une convention de location-gérance soumise aux dispositions de la loi du 20 mars 1956 ;

Attendu, en effet, que dans le compromis de vente du 13 janvier 1989, il était stipulé que la société Mag'Inter consentait à M. Plantegenet une promesse de bail portant sur les locaux abritant le fonds de commerce, à compter du 14 février 1989, moyennant un loyer annuel de 204 000 F HT, mais il n'était nullement imposé au preneur le paiement d'une redevance, afférente à l'exploitation du fonds, alors que l'existence de celle-ci est une condition essentielle de la location-gérance ;

Attendu que la preuve de l'existence d'un contrat de location-gérance conclu entre les sociétés Mag'Inter et CPFL n'étant pas rapportée, Me Reig ès qualités n'est pas fondé en sa demande d'application de l'article 8 de la loi du 20 mars 1956 ; que le jugement entrepris sera donc réformé en ce qu'il a fait supporter à la société Mag'Inter partie de l'insuffisance d'actif de la société CPFL ;

Décision :

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement en ce qu'il a dit que la société BRMC était dirigeante de fait de la société CPFL, qu'elle s'était immiscée dans la gestion de celle-ci et avait commis des fautes graves de gestion entraînant sa responsabilité ; Le confirme également en ce qu'il a condamné M. Plantegenet à payer entre les mains de Me Reig ès qualités la somme de 20 000 F dans les six mois du jugement et mis à la charge de la société BRMC le surplus de l'insuffisance d'actif de la société CPFL ; Le réformant pour le surplus, met hors de cause la société Mag'Inter ; Avant dire droit sur le montant de l'insuffisance d'actif susvisée, lequel ne pourra être fixé qu'après arrêté définitif des créances, condamne la société BRMC à payer à Me Reig ès qualités une provision de 800 000 F dans le délai de trois mois à compter de ce jour ; Ordonne les mesures de publicité prévues par l'article 167 du décret du 27 décembre 1985 ; Ordonne l'emploi des dépens d'instance et d'appel en frais privilégiés de liquidation judiciaire.