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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 29 mai 1991, n° 20813-89

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Japyl (SARL)

Défendeur :

Étienne Aigner France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chavanac

Conseillers :

Mmes Briottet, Garnier

Avoués :

Mes Huyghe, Valdelièvre

Avocats :

Mes Baudel, Guilloteau.

T. com. Paris, du 4 oct. 1989

4 octobre 1989

LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Japyl du jugement du 4 octobre 1989, par lequel le Tribunal de Commerce de Paris a débouté cette société de la demande en paiement formée contre la société Etienne Aigner et l'a condamnée à verser à cette dernière la somme de 3 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Par acte sous seing privé du 20 juillet 1985, Etienne Aigner a concédé à Japyl pour une durée de cinq ans, la distribution à Lyon par voie de franchise de l'ensemble des produits de luxe portant sa marque.

Ce contrat stipulait à la charge du franchisé l'obligation d'agencer à ses frais le local de vente selon les normes définies par Etienne Aigner, ainsi que celle de disposer en permanence d'un stock de produits d'une valeur de 365 000 F HT et de ne distribuer dans sa boutique que des produits de la marque.

Outre la concession de celle-ci, le franchiseur s'obligeait à effectuer diverses présentations de ses collections et d'appuyer Japyl par des mesures de promotion et de publicité ainsi que par les actions de formation de ses collaborateurs.

Des correspondances échangées avant la conclusion du contrat, il résulte que Japyl était la première franchise Etienne Aigner en France et que, pour son lancement, le franchiseur avait établi un compte prévisionnel faisant apparaître un chiffre d'affaires de 3 000 000 F et un bénéfice de 400 000 F.

Les 20 et 22 février 1988, les deux sociétés mettaient fin prématurément à leurs rapports.

Par acte du 27 juillet 1988, la société Japyl a fait assigner Etienne Aigner devant le Tribunal de commerce de Paris en nullité et résiliation du contrat de franchise et en paiement de dommages-intérêts.

Les premiers juges ont estimé que le contrat ayant été résilié par les parties, l'action en nullité ne pouvait être accueillie ; par ailleurs, Japyl n'apporterait pas la preuve du non respect de ses obligations par la société franchiseur.

La société Japyl, appelante du jugement rendu, conclut à son infirmation et demande que le contrat litigieux soit déclaré nul pour manœuvres dolosives dans sa conclusion et indétermination du prix ; elle sollicite la condamnation d'Etienne Aigner au paiement de la somme de 2 500 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par les manœuvres dolosives et par l'inexécution de ses obligations par le franchiseur jusqu'à la résiliation amiable de la convention ; elle demande en outre l'octroi d'une somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC ;

La société Etienne Aigner, intimée, conclut à la confirmation de la décision déférée et à la condamnation de Japyl au paiement de la somme de 10 000 F, en remboursement des frais non compris dans les dépens.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant que Japyl ayant déposé des conclusions le jour de l'audience des plaidoiries, Etienne Aigner en demande le rejet en raison de leur tardiveté ;

Considérant que dans ses écritures Japyl invoque un moyen supplémentaire de nullité de la convention tiré de l'absence de cause ;

Qu'Etienne Aigner n'ayant pu utilement répondre à ce nouveau moyen, il échet, pour assurer le respect du contradictoire, d'écarter des débats ces écritures tardives ;

Considérant qu'à l'appui de sa demande en nullité de la convention Japyl soutient, tout d'abord que son consentement aurait été vicié par les manœuvres frauduleuses d'Etienne Aigner, manœuvres ayant consisté dans l'établissement d'un compte prévisionnel fallacieux et dans la promesse également trompeuse, de constitution d'un important réseau de franchise dont Japyl aurait été le premier maillon ;

Qu'elle fait valoir en outre que le contrat ne contenant pas de prix ni de moyen de le déterminer alors que par ailleurs il renfermerait une clause d'approvisionnement exclusif auprès du franchiseur, aboutirait à abandonner la détermination du prix au seul gré du vendeur, ce qui constituerait une nouvelle cause de nullité ;

Mais considérant que si l'action en nullité d'une convention peut être valablement exercée même après une résiliation amiable par celle-ci, encore faut-il que les moyens invoqués soient pertinents et démontrés ;

Considérant sur le dol, que le compte prévisionnel - qui n'est pas inclus dans le contrat - a été établi à titre indicatif sur la demande de Japyl et ne comporte aucune promesse de réalisation de la part d'Etienne Aigner ;

Qu'il appartenait aux dirigeants de Japyl, commerçants nécessairement au fait des contingences commerciales locales et de l'aléa inhérent à cette activité, d'apprécier le réalisme des estimations du franchiseur, estimations au demeurant non assorties d'éléments de calcul fallacieux et encore moins frauduleux ;

Qu'en ce qui concerne la mise en place d'un réseau de franchise, il est constant (lettre du 26 février 1985 d'Etienne Aigner) que, lors de la conclusion du contrat, Japyl n'ignorait pas que le réseau n'existait pas, la société Lyonnaise étant " la première franchise E. Aigner en France ";

Considérant, sur le second moyen que, contrairement aux affirmations de Japyl, la convention de juillet 1985 ne contient pas de clause d'approvisionnement exclusif (mais une stipulation de distribution exclusive laissant au franchisé la possibilité de s'approvisionner au meilleur prix auprès du réseau de distribution sélective), de sorte que la non détermination du prix dans le contrat ne porte atteinte ni à la liberté de négociation des prix entre franchisé et franchiseur à l'occasion de l'achat de chaque collection ni aux règles d'ordre public de la concurrence ;

Que les moyens tirés de la nullité de la convention ne peuvent donc être accueillis ;

Considérant que Japyl soutient aussi que des dommages-intérêts lui seraient dus sur le fondement des dispositions de l'article 1147 du Code Civil à raison de l'inexécution par Etienne Aigner de ses obligations ;

Considérant qu'il échet tout d'abord de relever que cette demande ne peut être regardée comme contraire à la résiliation convenue entre les parties courant février 1988, la lettre de Japyl du 20 février faisant état de réserves quant au recours à justice pour obtenir réparation du préjudice si celui-ci n'était pas immédiatement admis par E. Aigner ;

Que, dans sa réponse du 22 février, le franchiseur tout en confirmant la cessation des relations commerciales pour l'avenir, ne fait aucune allusion aux revendications de Japyl laissant ainsi à ce dernier la possibilité d'exercer l'action réservée ;

Considérant que parmi les multiples griefs articulés par Japyl, il échet de retenir que, lors de l'agencement de la boutique, Etienne Aigner a exigé de son franchisé qu'il effectue des travaux somptuaires s'élevant à 900 000 F coût qui, malgré l'avance faite par le franchiseur, a grevé lourdement la trésorerie de Japyl ;

Que, de même, l'exigence d'un stock permanent de plus de 600 000 F de produits à contribué à charger de manière excessive cette trésorerie ;

Considérant par ailleurs, que l'élément essentiel de toute franchise en matière de produits de luxe est moins le savoir-faire que la marque concédée qui, par sa notoriété, assure au franchisé un minimum de clientèle fidèle à l'enseigne ou attirée par elle, et, partant, un certain chiffre d'affaires permettant de surmonter les difficultés financières ci-dessus évoquées;

Considérant que lors du lancement d'un réseau de franchise, la notoriété de la marque est nécessairement faible (quelle que soit par ailleurs la densité du réseau de distribution sélective déjà en place), ce qui nécessite de la part du franchiseur un effort accru sur le plan promotionnel et publicitaire afin de pallier l'absence de notoriété;

Considérant qu'en l'espèce, il n'apparaît pas, au vu des documents soumis à l'appréciation de la cour, qu'Etienne Aigner ait, au cours de l'exécution du contrat, apporté à son unique franchisé en France (après la défection de l'établissement ouvert durant quelque mois à Cannes), le soutien publicitaire que requérait tant la faible notoriété de la marque que l'amortissement des frais excessifs d'installation et d'approvisionnement, exigés par Japyl;

Que pour ce motif il y a lieu de mettre à la charge d'Etienne Aigner la réparation d'une partie du préjudice subi par Japyl à hauteur de 500 000 F;

Que le jugement ayant débouté la société franchisée de sa demande doit donc être réformé ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Japyl les frais non compris dans les dépens exposés par cette société et que la cour est en mesure de fixer à 10 000 F ;

Considérant que tenue de supporter les dépens, la société E. Aigner ne peut voir accueillie sa demande en remboursement de frais irrépétibles ;

Par ces motifs : Rejette des débats comme tardives les conclusions signifiées par la société Japyl le 10 avril 1991 ; Réforme le jugement déféré ; Et statuant à nouveau : Dit n'y avoir lieu à prononcer la nullité de la convention du 20 juillet 1985 ; Condamne la société Etienne Aigner France à payer à la société Japyl la somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts ainsi que celle de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC ; Rejette toutes autres demandes des parties plus amples ou contraires à la motivation retenue et notamment la demande en remboursement de frais irrépétibles formée par la société E. Aigner. Condamne cette société aux dépens de première instance et d'appel; Autorise Maître Huyghe avoué au bénéfice de l'article 699 du NCPC.