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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 27 juin 1991, n° 292-90

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Parfumerie Plus (SARL)

Défendeur :

Chanel (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Forget

Conseillers :

Mme Chagny, M. Frank

Avoués :

SCP Lissarrague-Dupuis, Me Robert

Avocats :

Mes Duby, Rosenfeld.

T. com. Nanterre, du 17 oct. 1989

17 octobre 1989

Faits et procédure

La SARL " Parfumerie Plus ", qui se dit bénéficiaire d'un contrat de distributeur agréé que lui aurait consenti la société Chanel, s'est prétendue victime d'une rupture abusive de ce contrat par Chanel et a assigné celle-ci pour qu'elle soit condamnée à honorer ses commandes passées et futures et à lui verser des dommages et intérêts.

Par jugement du 17 octobre 1989, le Tribunal de commerce de Nanterre a constaté que Parfumerie Plus ne rapportait pas la preuve de l'existence à son profit d'un contrat de distributeur agréé, et l'a en conséquence déboutée des fins de son action.

Parfumerie Plus a interjeté appel de cette décision.

Elle affirme que le contrat de distributeur agréé, valablement conclu avec Chanel en mai 1988, ne pouvait être rompu au seul motif que Chanel reprochait à une autre SARL, La Nouvelle Orléans, une violation de ses obligations contractuelles vis à vis de Chanel, sous prétexte que les deux SARL avaient le même gérant, M. Pisanti. Elle demande donc à la Cour de contraindre sous astreinte Chanel à honorer ses commandes, et de condamner Chanel à lui payer une somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts, outre une indemnité de procédure de 5 000 F.

Chanel prétend n'avoir pas signé le nouveau contrat de distributeur agréé qu'elle se proposait de conclure avec Parfumerie Plus, parce qu'elle avait appris entre temps que la SARL La Nouvelle Orléans, qui a le même gérant que la société Parfumerie Plus, avait violé le contrat de distributeur que lui avait consenti Chanel. Cette mauvaise foi alléguée de M. Pisanti, gérant des deux SARL, autorisait selon elle Chanel à refuser d'honorer les commandes de Parfumerie Plus en application de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Elle justifierait encore, selon Chanel, la demande de résiliation judiciaire qu'elle forme à titre subsidiaire et pour le cas où la Cour estimerait constante la conclusion entre les parties d'un contrat de distributeur agréé. Chanel réclame en tout état de cause une indemnité de procédure de 5 000 F.

Discussion

Considérant que Chanel a, le 18 mai 1988, adressé à Parfumerie Plus une lettre par laquelle elle lui faisait parvenir quatre exemplaires d'un contrat de distributeur agréé pour 1988 (faisant suite à une convention de même nature conclue pour 1987) en demandant à Parfumerie Plus de signer ces exemplaires " qu'elle n'avait pas pu signer lors du récent passage du représentant Chanel " ; que Parfumerie Plus y a apposé sa signature le 25 mai 1988, date qui figure sur l'exemplaire communiqué par Chanel ;

Considérant que Chanel soutient n'avoir pas signé les actes qui lui ont été renvoyés par Parfumerie Plus après signature, et en déduit que le contrat de distribution sélective n'a pas été conclu ;

Mais considérant que la lettre de Chanel à Parfumerie Plus datée du 18 mai 1988, accompagnée d'un contrat, reprenant du reste les clauses du précédent pour 1987, soumis à l'acceptation du distributeur, constituait une offre précise, complète et ferme ; qu'en signant ce contrat le 25 mai 1988 sans aucune réserve et avant toute rétractation de l'offre, Parfumerie Plus a manifesté son acceptation de la pollicitation de Chanel en connaissance des termes de celle-ci et en concordance avec elle ; qu'il en résulte qu'un contrat parfait de distributeur agréé s'est formé entre les parties le 25 mai 1988 ;

Considérant que, le 26 mai 1988, Chanel a notifié par lettre recommandée avec accusé de réception à Parfumerie Plus la rupture des relations commerciales liant les deux sociétés, en invoquant une violation de ses obligations commise par une société La Nouvelle Orléans dont le gérant, M. Pisanti, est également celui de la SARL Parfumerie Plus ;

Mais considérant que la SARL Parfumerie Plus a une personnalité distincte à la fois de celle de La Nouvelle Orléans et de M. Pisanti et ne saurait se voir reprocher une éventuelle faute contractuelle de ces derniers; qu'en l'absence de toute infraction prouvée ou même alléguée à la charge de Parfumerie Plus, Chanel n'était pas fondée à se prévaloir du jeu de la clause résolutoire insérée dans le contrat de distributeur agréé consenti à Parfumerie Plus le 25 mai 1988;

Considérant que Chanel n'établit pas que le manquement dont elle fait grief à La Nouvelle Orléans soit imputable personnellement à M. David Pisanti, son gérant ; qu'elle ne peut donc pertinemment soutenir qu'il " a fait preuve flagrante de sa mauvaise foi " en sa qualité de gérant de La Nouvelle Orléans ; que les décision de cette Cour rendues dans des contextes différents sont donc sans incidence sur le présent litige ;

Considérant enfin que la résiliation judiciaire du contrat de distributeur agréé conclu le 25 mai 1988 entre Chanel et parfumerie plus ne peut être prononcée en l'absence de toute faute du distributeur agréé, la vente illicite par la société La Nouvelle Orléans d'une faible quantité de produits Chanel ne pouvant plus être retenue à cet effet contre Parfumerie Plus ;

Considérant dans ces conditions que Parfumerie Plus est fondée à demander l'exécution de ce contrat, mais seulement pour sa période de validité, c'est-à-dire jusqu'au 31 décembre 1988 ;

Considérant que la société Chanel a, par son attitude injustifiée, notamment en refusant d'honorer les commandes de Parfumerie Plus, causé à celle-ci un incontestable préjudice commercial par les pertes d'exploitation, les manques à gagner et l'atteinte à la réputation commerciale qui en ont été la conséquence ; que, compte tenu de l'importance du chiffre d'affaires réalisé par Parfumerie Plus avec la société Chanel, ce dommage doit être évalué à 150 000 F ;

Considérant que l'équité commande d'accorder à Parfumerie Plus l'indemnité de procédure qu'elle sollicite ;

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort, Reçoit la société Parfumerie Plus en son appel, Infirme le jugement déféré, Dit qu'un contrat de distributeur agréé a été valablement conclu le 25 mai 1988 entre la société Chanel et la société Parfumerie Plus, Dit n'y avoir lieu à résiliation de ce contrat qui doit recevoir exécution jusqu'à son terme du 31 décembre 1988, Dit qu'en conséquence la société Chanel sera tenue d'honorer les commandes de Parfumerie Plus passées dans le cadre de ce contrat, et cela sous astreinte de 10 000 F par infraction, Condamne la société Chanel à payer à la société Parfumerie Plus la somme de 150 000 F de dommages et intérêts en réparation de son préjudice, et une somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Chanel aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.