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Décisions

Cass. com., 2 juillet 1991, n° 88-18.040

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Automobiles Peugeot (SA)

Défendeur :

Établissements Carles (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Leonnet

Avocat général :

M. Raynaud

Avocats :

SCP Desaché, Gatineau, SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle.

Paris, du 11 juill. 1984; Paris, du 7 ju…

11 juillet 1984

LA COUR : - Sur le moyen unique, pris en ses deux branches, du pourvoi unique formé contre chacun des deux arrêts attaqués : - Attendu que, selon les deux arrêts attaqués (Paris, 11 juillet 1984 et Paris, 7 juillet 1988), la société Automobiles Peugeot (société Peugeot), qui avait pour concessionnaire à Tulle, pour les véhicules de marque Talbot, la société Carles, a invoqué le décès du président de celle-ci pour faire valoir une clause du contrat prévoyant dans ce cas la résiliation de plein droit de la concession ; que la société Carles, dont le nouveau président était le fils du précédent et avait sollicité en vain, dans les formes prévues par le contrat, que la concession lui soit à nouveau accordée, a assigné la société Peugeot en dommages-intérêts, soutenant que la décision de cette dernière procédait d'un abus de droit et constituait une faute ; que, par le premier des arrêts attaqués, qui a fait l'objet d'un pourvoi jugé irrecevable, la cour d'appel, sans trancher le principal dans son dispositif, a confirmé une mesure d'expertise ordonnée par les premiers juges ; que le second arrêt a accueilli la demande de la société Carles et condamné la société Peugeot à lui verser des dommages-intérêts ;

Attendu que la société Peugeot reproche aux deux arrêts d'avoir retenu qu'en refusant d'agréer le nouveau président qui lui était présenté par la société Carles et en refusant de poursuivre le contrat de concession, elle avait commis un abus de droit, alors que, selon le pourvoi, d'une part, le refus de renouveler un contrat de concession ayant pris fin ou le refus d'agréer le successeur du concessionnaire n'étant que l'exercice d'une liberté, le juge ne peut, par principe, hors le cas d'intention de nuire du concédant, exercer son appréciation sur l'opportunité ou sur les motifs de ce refus ; que la cour d'appel, qui relevait que la société Peugeot était parfaitement en droit, sans même avoir à s'en justifier, de refuser la candidature du successeur qui lui était présenté, a affirmé que celle-ci avait néanmoins commis un abus dans l'exercice de son droit de ne pas agréer le nouveau successeur, au motif que la candidature de M. Jack Carles eût nécessité en fait un examen approfondi, compte tenu des références sérieuses que présentait ce dernier, et que sa décision lui avait été dictée par la seule volonté de parvenir sans délai à l'unification de son réseau en confiant la concession Talbot au concessionnaire Peugeot de Tulle ; qu'ainsi, sous le prétexte d'abus de droit, la cour d'appel a entendu faire porter sa propre appréciation sur l'opportunité et sur les motifs de la décision du concédant de ne pas agréer le successeur qui lui était présenté, et violé en conséquence l'article 1134 du Code civil ; et alors que, d'autre part, l'exercice de la liberté de ne pas contracter ne pourrait dégénérer en abus et engager la responsabilité de son titulaire que si celui-ci agissait soit dans l'intention de nuire, soit avec une légèreté blâmable sans en tirer de profit particulier, soit encore en ne recherchant pas la satisfaction d'un intérêt légitime ; qu'en l'espèce, il est constant que la société des automobiles Peugeot a étudié pendant trois semaines la proposition de la société Carles avant de refuser sa candidature en raison du trop jeune âge de son président-directeur général, dont elle attendait d'abord qu'il fît ses preuves en qualité d'agent ; que la société Peugeot a encore justifié sa décision de ne pas prendre la société Carles en qualité de concessionnaire mais seulement en qualité d'agent par la nécessité de réorganiser son réseau de distribution commerciale en créant des concessions bimarques Peugeot-Talbot ; que le concessionnaire Bigeargeas, de Tulle, plus expérimenté, remplissait seul les conditions pour assurer cette concession unique bimarque Peugeot-Talbot ; qu'une chance toutefois était laissée à la société Carles de faire ses preuves, de sorte que ses intérêts étaient préservés ; qu'en décidant que la société Peugeot avait néanmoins abusé de son droit de ne pas contracter avec la société Carles parce qu'elle préférait réorganiser son réseau de distribution, ce qui constituait pourtant un motif légitime de ne pas contracter avec la société Carles, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt du 11 juillet 1984, par des motifs expressément repris par l'arrêt du 7 juillet 1988, a constaté qu'après avoir, huit jours à peine après le décès du président de la société Carles, pris acte de la résiliation de plein droit du contrat de concession, la société Peugeot, saisie d'une nouvelle candidature de la même société Carles, qu'elle s'était engagée à examiner par priorité et dont les circonstances révèlent qu'elle méritait une étude sérieuse et approfondie, lui a signifié sa décision avec une précipitation excessive, sans faire d'enquête, sans chercher à compléter son information ni solliciter de renseignements ; qu'ayant relevé que la brusquerie avec laquelle la société Peugeot a d'abord signifié la résiliation du contrat, puis écarté l'offre d'en conclure un nouveau, rendait illusoire et sans intérêt le droit du concessionnaire de proposer un successeur et révélait que la décision était déjà prise de confier la concession Talbot à un autre, la cour d'appel a pu déduire de l'ensemble de ces constatations et appréciations que la façon dont la société Peugeot avait ainsi exercé son droit de choisir son nouveau concessionnaire, présentait un caractère abusifet constituait une faute ; que le moyen n'est donc fondé en aucune de ses branches ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.