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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 9 juillet 1991, n° 88-13149

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Perolo (SA)

Défendeur :

Mecathermic (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mistral

Conseillers :

MM. Degrandi, Brejoux

Avoués :

SCP Blanc, SCP Cohen

Avocats :

Mes Manceau, Davin.

T. com. Aix-en-Provence, du 11 juill. 19…

11 juillet 1988

Exposé du litige :

Par acte sous seing privé du 9 octobre 1986 intitulé " contrat exclusif de concession et de distribution ", la société Mécathermic qui venait de reprendre l'activité d'une société Gensolen, en redressement judiciaire, a confié à la société Perolo l'exclusivité de la distribution, sans limitation territoriale, de différents équipements pour conteneurs et citernes de transport de liquides et de gaz.

Ce contrat, conclu pour une durée de cinq ans, stipulait que " les prix consentis par le fabricant devaient permettre une majoration convenable destinée à couvrir les frais de distribution et la marge du concessionnaire et pouvaient être révisés périodiquement en fonction de l'évolution des coûts et des conditions des marchés ".

Il était, en outre, défini un objectif de vente fixé pour l'année 1987 à deux millions de francs, et prévu une clause de résiliation anticipée en cas de manquement grave aux clauses du contrat ou " juste motif " défini comme " tout changement ou manquement par rapport au contrat qui serait susceptible d'altérer gravement les résultats que l'autre partie pouvait légitimement escompter de l'exécution du contrat ".

Dès le 30 juin 1987, la société Mécathermic a informé la société Perolo de ce qu'une révision des tarifs applicables était indispensable, ce à quoi s'est opposée la société Perolo par courrier du 22 juillet 1987.

Le 18 février 1988, la SA Mécathermic, arguant de ce que " ses coûts de production étaient tels que les prix unitaires applicables se situaient très en dessous du seuil de rentabilité" " proposé d'une part une augmentation du niveau global du chiffre d'affaires porté à dix millions de francs, d'autre part, une majoration substantielle du tarif.

Devant le refus de la société Perolo d'accepter de tels changements, la société Mécathermic a résilié unilatéralement, par lettre du 5 avril 1988, le contrat de concession exclusive avec effet au 17 mai 1988.

Par courrier du 8 avril 1988, la société Perolo, contestant le bien fondé de la résiliation du contrat, a précisé à la société Mécathermic qu'elle entendait poursuivre normalement l'exécution de la convention du 9 octobre 1986.

Le 18 mai 1988, la société Perolo a fait citer la société Mécathermic devant le Tribunal de commerce d'Aix en Provence qui, par jugement contradictoire du 11 juillet 1988, l'a condamnée à lui payer la somme de 100 000 F.

La SA Perolo qui a relevé appel de ce jugement, sollicite la réformation et demande à la Cour :

- à titre principal, d'ordonner l'exécution du contrat jusqu'à son terme ;

- de dire que le préavis préalable à la rupture ne saurait être inférieur à une année et ordonner en conséquence le maintien du contrat jusqu'à la date anniversaire du prononcé de l'arrêt, compte tenu de la suspension du contrat intervenue à l'initiative de la société Mécathermic et ce, sous astreinte non comminatoire de 10 000 F par infraction constatée ;

- de condamner la société Mécathermic à lui payer la somme de deux millions de francs à titre de dommages et intérêts, sauf à parfaire dans l'attente du résultat d'une expertise qui serait ordonnée par la Cour ;

- au cas où la Cour écarterait la demande d'exécution forcée du contrat, d'ordonner la restitution du matériel détenu par la société Perolo et son remboursement par la société Mécathermic et de condamner cette dernière à lui payer 100 000 F ;

- en tout état de cause, de condamner l'intimé au paiement de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

A l'appui de ses prétentions, elle soutient :

- que le contrat de distribution liant les parties est intervenu pour une durée de cinq années devant se terminer le 8 octobre 1991 ;

- qu'aux termes de l'article 1134 du code civil les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel et qu'elle doivent être exécutées de bonne foi ;

- que la société Mécathermic s'est contentée d'invoquer ses difficultés, sans d'ailleurs en apporter la démonstration, se contentant de verser des éléments de comptabilité analytiques et des prévisions budgétaires ;

- que l'intimé soutient à tort que du fait de l'attitude de Perolo, les prix étaient devenus indéterminés, alors que les prix appliqués étaient très exactement ceux du tarif de Mécathermic, annexé au contrat ;

- que la société Mécathermic ne lui a accordé qu'un préavis d'un mois et demi alors que le délai dans ce type de contrats est généralement d'une année compte tenu des impératifs liés aux obligations contractuelles du distributeur et de la nécessité dans laquelle il se trouve de rechercher de nouveaux produits à proposer à sa clientèle ;

- que la clause du contrat prévoyant la réparation forfaitaire sous forme d'indemnité de 100 000 F ne concerne que " l'amortissement des frais de prospection et de promotion " ;

- que la résiliation anticipée du contrat entraînerait pour la société Perolo un dommage considérable consistant d'une part dans la perte de gains que cette société pouvait légitimement espérer d'une exécution normale de cette convention et d'autre part en un préjudice commercial en terme de parts de marché résultant directement pour l'appelante de l'impossibilité de faire face immédiatement aux actions de la concurrence ;

- que l'ensemble de ces postes de préjudices justifient l'allocation d'une somme qui ne saurait être inférieure à deux millions de francs, sauf à parfaire.

Pour sa part, la SA Mécathermic demande à la Cour :

- de réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamné à payer la somme de 100 000 F ;

- de débouter la société Perolo de l'ensemble de ses demandes ;

- plus subsidiairement, si la Cour estimait qu'une indemnisation est due à la SA Perolo, de limiter celle-ci à 100 000 F ;

- en toute hypothèse, de condamner la société Perolo à lui restituer le matériel qui lui appartient, sous astreinte définitive de 1 000 F par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et à lui payer 10 000 F de dommages et intérêts et 25 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Elle fait valoir :

- que le contrat prévoyait que les conditions de prix pouvaient " être révisées périodiquement en fonction de l'évolution des coûts et des conditions des marchés " ;

- qu'elle a, dès le 30 juin 1987, informé par écrit la société Perolo que les conditions de prix, telles que figurant dans l'annexe du contrat, ne pouvaient être maintenues pour des raisons liées au coût de production ;

- que malgré de nombreux échanges de correspondances et de nombreuses réunions, un accord n'a pu intervenir sur les prix de vente à la société Perolo ;

- que les hausses de prix proposées étaient particulièrement modérées puisqu'elles représentaient 3,1 % d'augmentation moyenne pondérée entre octobre 1986 et avril 1988, ladite augmentation étant soumise à un préavis de trois mois conformément aux dispositions contractuelles ;

- que par ailleurs, sur les 24 produits référencés dans le contrat de distribution le prix de 16 d'entre eux devait être augmenté d'une valeur comprise entre 0 et 5 %, le prix de 4 d'entre eux devait être augmenté d'une valeur comprise entre 5 et 10 % et seuls 4 d'entre eux devaient enfin subir des hausses plus importantes ;

- que sur les 4284 appareils (tous types confondus) vendus par Perolo, seuls 70 auraient été affectés par des hausses de tarif supérieures à 10 % ;

- que ces hausses de tarifs étaient pour la société Mécathermic une nécessité vitale dans la mesure où la perte qui était constatée sur l'ensemble des produits distribués par Perolo représentait 30 % du chiffre d'affaires, lequel représentait environ 8 % du total du chiffre d'affaires de l'entreprise ;

- que le refus obstiné de Perolo d'accepter des évolutions de prix proposées et contractuellement prévus par le contrat du 9 octobre 1986 a eu pour effet de rendre indéterminés les prix des marchandises vidées au contrat, ladite indétermination entraînant la caducité de l'accord des parties conformément aux dispositions de l'article 1129 du code civil ;

- que si la Cour ne retenait pas la caducité du contrat pour indétermination du prix, l'exécution forcée du contrat ne saurait être néanmoins ordonnée dans la mesure où Mécathermic a résilié le contrat pour juste motif, conformément aux stipulations contractuelles ;

- qu'un préavis d'un an ne résulte d'aucun document contractuel nu d'aucun usage ;

- que la société Perolo ne peut prétendre avoir subi un quelconque préjudice puisque les modalités de la rupture ont été particulièrement progressives, qu'un préavis a été respecté, l'ensemble des commandes en cours livrées aux prix contractuel, la garantie des articles vendus parfaitement assurée et que les commandes postérieures à l'expiration du préavis ont été satisfaites aux nouvelles conditions de prix ;

- qu'en tout état de cause, le contrat comporte au paragraphe " indemnité " une clause prévoyant forfaitairement la réparation du préjudice causé au concessionnaire par la rupture prématurée et limitant à 100 000 F l'indemnité ;

- qu'enfin la société Mécathermic avait remis à la société Perolo, de la documentation, des plans, du matériel d'exposition et divers appareils que cette dernière déteint toujours sans droit ni titre ;

- que le retard apporté à la restitution dudit matériel cause un préjudice à la société Mécathermic qu'il convient de réparer par l'allocation d'une somme de 10 000 F au titre de dommages et intérêts.

Motifs de la décision :

Attendu qu'il résulte indiscutablement du contrat de concession que les prix de vente des matériels qui étaient définis en annexe à la convention " pouvaient être révisés périodiquement en fonction de l'évolution des coûts et des conditions des marchés " ;

Attendu qu'en exécution de ces dispositions contractuelles qui font la loi des parties et qui doivent être exécutées de bonne foi, la société Mécathermic avait un droit incontestable à la révision périodique de ses prix, aux conditions et selon les modalités prévues au contrat ;

Attendu, cela dit, qu'il convient de rechercher si les nouvelles conditions qu'elle a tenté d'imposer à la SA Perolo sont légitimes, auquel cas elle aurait été en droit, devant le refus de son cocontractant, de résilier le contrat ou au contraire, si ses prétentions étant exorbitantes, la SA Perolo a eu raison de refuser d'y déférer ;

Attendu que, par courrier du 18 février 1988, la SA Mécathermic a prétendu imposer à la société Perolo une augmentation du chiffre d'affaires et une élévation des tarifs ;

Attendu que la première de ces conditions était tout à fait inacceptable pour la société Perolo ; qu'en effet, alors que le contrat obligeait le concessionnaire pour l'année 1987 à acheter des matériels pour deux millions de francs minimum, il lui a été imposé pour l'année 1988 " un niveau global de chiffre d'affaires de six millions de francs ", soit une augmentation de 300 % ;

Attendu que cet élément nouveau, imposé unilatéralement par la société Mécathermic, constituait un changement fondamental de l'économie du contrat signé seize mois plus tôt ; qu'ainsi, la société Perolo était en droit de refuser la " proposition "de la société Mécathermic ;

Attendu par ailleurs, que la révision des prix, telle que l'entendait l'intimée, atteignait des majorations, pour certains, de 31 %, 35 %, 48 %, 56 %, voire 68 %, soit là encore, une modification substantielle bouleversant les conditions contractuelles ;

Attendu, d'autre part et surtout, que cette révision ne pouvait intervenir que par référence à l'évolution des coûts et des conditions du marché et il appartenait à la société Mécathermic de démontrer qu'elle s'est conformée à ces critères de référence;

Attendu que la société Mécathermic, lors de ses pourparlers avec la SA Perolo, s'est contentée d'invoquer ses difficultés financières et le risque de gestion déficitaire si les prix étaient maintenus à leur niveau initial;

Attendu que de tels motifs ne correspondent pas à " l'évolution des coûts et des conditions du marché ", telle que prévue au contrat;

Attendu que l'intimé verse aux débats quelques documents tirés de sa comptabilité et un tableau de prix de revient prévisionnel ; que de tels éléments ne justifient aucunement une évolution des coûts et des conditions du marché par rapport au 9 octobre 1986 ; qu'il eut fallu que la SA Mécathermic justifie notamment l'augmentation du coût de fabrication des matériels livrés à Perolo, en démontrant une augmentation corrélative des matières premières, du prix du transport, des salaires... ;

Attendu que c'est donc sans juste motif établi, que la SA Mécathermic a résilié unilatéralement le contrat et ce, en l'absence de tout manquement imputable à la société Perolo;

Attendu que c'est également à tort que la société Mécathermic invoque la caducité du contrat pour indétermination des prix ; qu'au contraire, les prix des produits fournis à Perolo étaient ceux du tarif annexé au contrat, susceptibles d'évoluer sur des critères parfaitement définis et vérifiables et selon des modalités bien précises ;

Attendu que la sanction de la violation par la SA Mécathermic de ses obligations contractuelles doit être appliquée en tenant compte des dispositions de l'article 1142 du code civil selon lesquelles " toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur " ;

Attendu certes qu'une telle règle n'exclut pas l'exécution en nature, mais encore faut-il que celle-ci n'apparaisse pas incompatible avec l'objet du contrat ; qu'en l'espèce, c'est à juste titre que les premiers juges ont qualifié " d'irréaliste " une exécution forcée, dans la mesure où les rapports entre concédant et concessionnaire implique une confiance spontanée et réciproque, laquelle, faisant totalement défaut en l'espèce, ne saurait revivre par l'effet d'une mesure imposée d'autorité ;

Attendu qu'il convient donc de condamner la SA Mécathermic au paiement de dommages et intérêts ;

Attendu, en ce qui concerne le préjudice de la SA Perolo, qu'il lui est dû incontestablement l'indemnité de 100 000 F stipulée au contrat " en cas de résiliation du fait du fabricant ", ce qui est le cas en l'espèce ;

Attendu que cette indemnité, qualifiée de forfaitaire, a été prévue " pour l'amortissement des frais de prospection et de promotion ", en raison du fait que la SA Perolo avait engagé une importante action commercial pour diffuser les produits Mécathermic ; qu'une telle disposition n'empêche pas l'appelante de rechercher la réparation des autres préjudices qu'elle aurait subis ;

Attendu, cependant, que tout en sollicitant une somme de deux millions de francs, la société Perolo ne verse aux débats aucun élément de nature à prouver la réalité des préjudices financier et commercial qu'elle allègue ; que, ce faisant, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande de dommages et intérêts ni à la mesure d'expertise, celle-ci n'ayant pas pour but de suppléer la carence du demandeur ;

Attendu qu'il y a lieu, dans ces conditions, de confirmer, par substitution de motifs, le jugement déféré ;

Attendu qu'en l'état de la résiliation intervenue, il convient de condamner la SA Perolo à restituer à la SA Mécathermic le matériel qu'elle détient et qui appartient à l'intimé, et ce sous astreinte de 500 F par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

Attendu, à cet égard, que la société Mécathermic ne saurait prétendre à des dommages et intérêts pour le retard apporté à la restitution de son matériel, dans la mesure où la société Perolo qui poursuivait l'exécution forcée du contrat, en raison de sa résiliation fautive, était en droit de conserver le matériel jusqu'à ce que la Cour se soit prononcée ;

Attendu qu'aucun motif d'équité ne commande, en cause d'appel, l'application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Attendu, enfin, que chacune des parties qui succombe en partie supportera les dépens d'appel exposés pour son propre compte ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Confirme, par substitution de motifs, le jugement rendu le 11 juillet 1988 par le tribunal de commerce d'Aix en Provence ; Y ajoutant, Condamne la SA Perolo à restituer à la SA Mécathermic le matériel lui appartenant et ce sous astreinte de 500 F (cinq cent francs) par jour de retard à compter de la signification du présent arrêt ; Rejette toutes autres prétentions ; Dit que chacune des parties supportera les dépens d'appel exposés pour son propre compte.