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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch. civ., 10 septembre 1991, n° 90-15678

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ducommun

Défendeur :

Chapas Diffusion 83 (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mistral

Conseillers :

MM. Degrandi, Chalumeau

Avoués :

SCP Cohen, Me Latil

Avocats :

Mes Helvas, Jammes.

T. com. Fréjus, du 9 juill. 1990

9 juillet 1990

EXPOSE DU LITIGE

Suivant contrat du 31 octobre 1988, la SARL Chapas Diffusion 83 a donné en location-gérance à M. Ducommun, un fonds de commerce de meubles en rotin et artisannat exotique exploité à Saint Raphaël (83).

Le locataire s'est engagé à se fournir à raison de 70 % de ses achats auprès de la SARL Chapas Centrale d'Achats.

Estimant avoir été induit en erreur sur la rentabilité du fonds, M. Ducommun a cité le 28 septembre 1989 la société Chapas devant le Tribunal de commerce de Frejus pour obtenir, sur le fondement des articles 1110 et 1116 du Code civil, et en dernier lieu sur celui de la loi du 20 mars 1956, l'annulation du contrat, la restitution des loyers et du droit d'entrée versés, et la réparation du préjudice subi.

Reconventionnellement, son adversaire a sollicité paiement du solde dû par l'intéressé sur le stock et la possibilité de conserver l'intégralité du droit d'entrée.

Par jugement contradictoire du 9 juillet 1990, la juridiction consulaire a prononcé la nullité pour inobservation des dispositions de l'article 4 de la loi précitée, refusé de restituer les loyers échus jusqu'au prononcé de la décision, ramené à 20 000 F HT l'indemnité due à titre du droit d'entrée, condamné M. Ducommun à régler le solde dû sur stock initial, la société Chapas à racheter le stock actuel après inventaire contradictoire, et ordonné la compensation entre les diverses sommes respectivement dues.

Suivant acte enregistré au greffe de la Cour le 27 septembre 1990, M. Ducommun a interjeté appel. Il souhaite la confirmation de l'annulation, la réformation pour le surplus et la condamnation de l'intimée à rembourser le droit d'entrée à 100 000 F HT, les loyers TTC réglés, ce avec intérêts au taux légal, 500 000 F à titre de dommages et intérêts ou une indemnité provisionnelle de 300 000 F pour le cas où une expertise serait ordonnée pour évaluer exactement les pertes subies, subsidiairement l'annulation, avec les mêmes conséquences, pour dol ou erreur sur les qualités substantielles de la chose louée, et en toutes hypothèses, 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il fait valoir que la société Chapas Diffusion n'a été immatriculée au registre du commerce que le 26 mars 1982 de sorte qu'elle ne remplissait pas la condition de délai imposée par le législateur pour mettre le fonds en location-gérance le 31 octobre 1988. Il ajoute que cette dernière lui a présenté un bilan prévisionnel contenant des informations inexactes pour le tromper et sur la base duquel il a en tous cas commis une erreur. Il soutient enfin que, quel qu'en soit le fondement, l'annulation doit conduire au remboursement de toutes les sommes réglées en exécution du contrat tandis que les manœuvres de son adversaire justifient l'indemnisation des pertes subies au titre de l'exploitation du fonds.

La SARL Chapas prétend qu'en raison de l'engagement d'approvisionnement, la convention n'était pas soumise à la loi du 20 mars 1956 mais que, de toutes façons, la qualité de commerçant avait été acquise bien avant l'immatriculation au registre du commerce ; elle indique par ailleurs que les documents comptables inhérents aux cinq années d'exploitation antérieures à la conclusion du contrat ont été communiquées au Conseil Comptable et de Gestion de M. Ducommun qui en a tiré les ratios versés aux débats alors que le bilan prévisionnel écrit au crayon procède d'une simple étude prospective établie dans le cadre des pourparlers par l'un et l'autre des cocontractants. Elle affirme que les pertes procèdent quant à elles du manque de travail et d'équipement de l'appelant et revendique, quel que soit le sort réservé à la convention, la contrepartie de la mise à disposition du fonds. Elle stigmatise enfin la transgression des obligations d'approvisionnement exclusif et de paiement des redevances pour demander la validation du contrat, sa résiliation aux torts de M. Ducommun, la désignation d'un expert pour faire les comptes entre parties, 50 000 F à titre de dommages et intérêts et 20 000 F HT sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 juin 1991.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la validité du contrat :

Force est tout d'abord de relever que le loueur du fonds de commerce est la SARL Chapas Diffusion 83, dont le siège est à Saint Raphaël, et non la SARL Chapas Centrale D'achats sise à Sainte Maxime auprès de laquelle M. Ducommun a pris l'engagement de s'approvisionner.

Ces deux sociétés, quelles que soient leurs relations - étant tout de même indiqué que la part de capital de l'une détenue par l'autre n'est même pas précisée - constituent des entités juridiques distinctes.

Dès lors, la SARL Chapas Diffusion 83 se prévaut vainement de l'application de l'article 6 de la loi du 20 mars 1956 qui n'écarte la condition de délai prévue par l'article 4 de celle-ci, que lorsque la location-gérance a pour objet principal d'assurer l'écoulement au détail des produits fabriqués ou distribués par le loueur de fonds lui-même et non par une autre personne.

Il convientensuite de rappeler qu'une personne assujettie à l'immatriculation au registre du commerce ne peut se prévaloir, jusqu'à celle-ci, de la qualité de commerçant, et ce même si le défaut d'inscription ne l'autorise pas à se soustraire aux obligations inhérentes à cette qualité.

C'est donc également en vain que la société Chapas entend fixer le point de départ du délai de sept ans pendant lequel le titulaire du fonds doit avoir été commerçant pour pouvoir le louer, à la date de signature du contrat de société.

Et faute de remplir cette condition, c'est à bon droit que les premiers juges ont annulé la location-gérance litigieuse.

Ce chef du jugement sera donc confirmé de sorte qu'il n'y a pas lieu d'examiner les demandes de l'intimée fondées sur une résiliation aux torts exclusifs de M. Ducommun.

Sur les effets de la nullité :

Toutes les obligations souscrites dans le cadre d'un contrat nul sont censées ne jamais avoir existé. Les parties doivent être remises dans l'état où elles se trouvaient avant la conclusion de celui-ci. Mais, contrairement à ce que soutient M. Ducommun, la mise en œuvre d'une telle conséquence doit tenir compte des effets induits par une exécution échelonnée dans le temps qui ne peuvent être effacés. Ainsi, le remboursement des sommes versées par l'un et l'autre des cocontractants n'exclut pas la fixation d'une indemnité d'occupation de locaux et d'exploitation de fonds de commerce pendant la période de mise à disposition de ceux-ci. Et il est possible, d'une manière générale, d'indemniser les préjudices non compensés par les restitutions.

C'est à la lumière de ces principes que doivent être appréciés les demandes des parties liées à l'anéantissement rétroactif de la convention.

La SARL Chapas doit rembourser le droit d'entrée et les loyers perçus et régler le stock à la restitution du fonds. M. Ducommun doit lui-même payer les marchandises mises à disposition lors de la prise de possession de l'établissement qui ont été utilisées et verser une indemnité d'occupation.

Comme les parties ne fournissent pas suffisamment d'éléments d'appréciation permettant d'évaluer l'indemnité d'occupation, la valeur du stock à la restitution, le montant des loyers versés, et de déterminer la date de remise du fonds au bailleur, il y a lieu d'ordonner une expertise pour permettre de liquider les comptes et, dans la mesure où la société Chapas est à l'origine de l'annulation, de dire que celle-ci sera effectuée aux frais avancés de cette dernière.

Sur la demande de dommages et intérêts de M. Ducommun :

M. Ducommun fonde sa demande de dommages et intérêts sur les manœuvres de la SARL Chapas ayant consisté à présenter un bilan prévisionnel contenant des informations inexactes et à dissimuler par ce biais sa véritable situation. Et il voit la preuve de la tromperie dont il aurait été victime dans la publication en mai 1989 au greffe du Tribunal de commerce de Frejus, d'un rapport de gestion faisant état d'une chute du chiffre d'affaires au cours de l'exercice clos au 30 septembre 1988 et de la résiliation d'une perte de 16 971,63 F.

Mais, d'une part, le bilan prévisionnel n'a pas de valeur contractuelle. Il n'est en effet pas annexé au contrat de location-gérance et n'a pas été signé par les parties. Il s'agit d'une feuille manuscrite, rédigée au crayon, qui comporte même des données non reprises dans la convention définitive, telle l'immobilisation d'une somme de 500 000 F à titre de cautionnement. Et il n'est pas possible d'exclure l'hypothèse, mise en exergue par la SARL Chapas, d'une simple étude prospective commune reposant non sur des données objectives mais sur la volonté du futur locataire-gérant d'accroître sensiblement le chiffre d'affaires par une activité redoublée et une réorganisation de l'entreprise. D'autre part, l'intimée affirme, sans être formellement contredite par M. Ducommun, que tous les chiffres et bilans des cinq dernières années ont été communiqués au conseil comptable de ce dernier dont elle fournit même, dans son dossier, les coordonnées (Cabinet Mary - CECAM). Enfin, comme l'ont justement relevé les premiers juges, M. Ducommun, qui avait dirigé une entreprise avant de se lancer dans l'exploitation du fonds Chapas, n'a pu se méprendre sur la portée d'un tel document, ni ignorer la nécessité de prendre connaissance de la comptabilité avant de s'engager.

C'est donc vainement que l'intéressé se prévaut d'un vice du consentement consécutif à un dol ou à une erreur.

Il convient en conséquence de confirmer le rejet de sa demande d'indemnisation.

Sur les demandes accessoires :

Celles de la SARL Chapas, qui est à l'origine de l'annulation comme cela a été précisé, ne peuvent qu'être rejetées.

Il convient en revanche de surseoir à statuer sur la demande de remboursement de frais non répétibles de M. Ducommun et de réserver les dépens jusqu'à la reddition des comptes.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Reçoit l'appel régulier en la forme ; Confirme le jugement entrepris en ce qu'il annule le contrat de location-gérance sur le fondement de la loi du 20 mars 1956, rejette la demande d'indemnisation de M. Ducommun, admet l'obligation de ce dernier de régler à la SARL Chapas Diffusion le solde dû sur le stock initial et celle de cette société de racheter le stock restitué, et dit que les créances respectives pourront se compenser ; Le réformant pour le surplus, statuant à nouveau, et ajoutant, Dit que la SARL Chapas Diffusion 83 doit restituer à M. Ducommun la somme de 100 000 F (cent mille francs) versée au titre du droit d'entrée et tous les loyers réglés ; Dit que M. Ducommun est débiteur d'une indemnité d'occupation pour la période du 1er novembre 1988 à la date de restitution du fonds ; Rejette les demandes accessoires de la SARL Chapas Diffusion ; Avant de liquider les comptes entre les parties et de statuer sur la demande de M. Ducommun fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civil, Commet M. Montjean Hervé, Tour Vadon B, avenue Henri Vadon, 83700 Saint Raphaël, à l'effet de déterminer : - la valeur locative du fonds de commerce de la SARL Chapas à la date du 1er novembre 1988 en prenant notamment en considération les comptes des trois derniers exercices, le loyer des murs, et, si possible, l'état des locaux à cette date ; - la date de restitution du fonds à la société Chapas ; - la valeur du stock à cette date ; - le montant exact des loyers encaissés par cette dernière ; Dit que sous le contrôle de M. Chalumeau, qui pourra en cas d'empêchement, être remplacé par simple ordonnance, l'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 155 à 174, 232 à 248, 263 à 284 du nouveau Code de procédure civile, modifiés par le décret 89-511 du 20 juillet 1989 ; Dit que si les parties viennent à se concilier, l'expert dressera rapport écrit de ses opérations qu'il déposera au greffe du tribunal de céans dans un délai de quatre mois, terme de rigueur à compter de l'avis de consignation qui lui aura été adressé par le greffier ; Dit que l'expert, en même temps qu'il déposera son rapport au greffe, en fera tenir une copie à chacune des parties ; Dit que la SARL Chapas Diffusion 83 devra consigner au greffe de céans dans un délai de un mois à compter de ce jour, la somme de 10 000 F (dix mille francs) à titre de provision ; Dit qu'à défaut de consignation dans le délai, la désignation de l'expert sera caduque, sauf prorogation du délai de consignation ou relevé de caducité et l'instance sera poursuivie dans les conditions prévues par l'article 271 du nouveau Code de procédure civile ; Dit qu'il sera pourvu au remplacement de l'expert, dans les cas, conditions et formes des articles 234 et 235 du nouveau Code de procédure civile ; Réserve les dépens.