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Décisions

CA Aix-en-Provence, 8e ch. A, 9 octobre 1991, n° 89-9760

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Provence boissons (SARL)

Défendeur :

Foncière Provençale (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Badi

Conseillers :

Mme Hubac, M. Trille

Avoués :

SCP Cohen, Me Clarac

Avocats :

Mes Kuchukian, Arnaud.

T. com. Marseille, du 16 juin 1989

16 juin 1989

FAITS ET PROCEDURE

Attendu que la société Provence boissons est appelante d'un jugement du Tribunal de commerce de Marseille en date du 16-06-1989 qui l'a déboutée d'une action engagée contre la société Foncière Provençale et tendant au paiement d'une somme de 38 015,37 F en principal ;

Attendu qu'elle expose que la société Foncière Provençale, société commerciale immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Marseille sous le numéro 55 B 319 est propriétaire des murs et du fonds de commerce d'un complexe de cinéma, salle de spectacle et théâtre le tout à l'enseigne " Odéon ", 162 La Canebière à Marseille, 1er arrondissement ;

Que par une convention sous seing privé en date à Marseille du 09-06-1988, la société Foncière Provençale a confié à la société Tiv-Tov, SARL ayant son siège social 16 allée Léon Gambetta à Marseille 1er arrondissement, l'exploitation du complexe précité, donc du fonds de commerce de la société Foncière Provençale ; que la société Tiv-Tov, bien qu'ayant exploité le fonds de commerce en question n'a jamais mentionné ce contrat au registre du commerce et des sociétés et ne l'a jamais publié ;

Que dans le cadre de son exploitation la société Tiv-Tov est débitrice des sommes suivantes vis-à-vis de la société Provence boissons :

EMPLACEMENT TABLEAU

Attendu que, par jugement du 05-01-1989, le Tribunal de commerce de Marseille a déclaré la société Tiv-Tov en redressement judiciaire ; que la société Provence boissons, qui n'a pu produire sa créance qu'à titre chirographaire, n'a aucun espoir de recouvrer celle-ci ; que, considérant que la société Foncière Provençale a agi comme bailleur de son fonds de commerce au profit de la société Tiv-Tov s'est ainsi rendue solidairement responsable des dettes de cette dernière ;

Attendu que l'appelante soutient que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la mise à disposition de l'ensemble d'un complexe immobilier ne peut s'assimiler à la mise à disposition d'un fonds, alors qu'elle rapporte la preuve de l'existence d'un fonds de commerce conforme à celui exploité par la société Tiv-Tov et appartenant depuis 1955 à la société Foncière Provençale, le mode d'exploitation convenu entre les parties ne pouvant s'analyser comme une location-gérance dont la publication a été omise ;

Attendu que l'appelante demande donc la réformation du jugement entrepris, la condamnation de la société Foncière Provençale à lui payer les sommes de :

- 38 015,37 F en principal avec intérêts au taux légal à compter du 30-01-1989 ;

- 5 000 F au titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal depuis la date de l'arrêt ;

- 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Attendu que la société Foncière Provençale conclut à la confirmation du jugement dont appel et à la condamnation de la société Provence boissons à lui payer la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu qu'elle fait valoir que l'appelante a contracté avec la seule société Tiv-Tov, dans l'ignorance des liens contractuels de celle-ci avec l'intimée ; que le contrat passé entre la société Tiv-Tov et l'intimée n'a jamais été publié et n'est donc ni opposable aux tiers, ni utilisable par eux ; qu'au demeurant la condition de publicité d'un contrat de location-gérance est une condition de fond pour la validité et l'opposabilité dudit contrat aux tiers et que si ce contrat n'a pas été publié c'est naturellement en raison du fait qu'il ne s'agit pas d'un contrat de location-gérance ;

Attendu que l'intimée précise que l'objet de ce contrat concernait seulement une partie d'un ensemble immobilier sis au 162 La Canebière, l'utilisation de certaines salles étant conservée par la société Foncière Provençale dans le cadre de ses contrats avec CMPA, Connaissances du Monde, Galas Karsenty-Hebert, Tournée Baret ; que la clientèle, élément important du fonds de commerce, n'a pas été remise en location, la société Tiv-Tov ayant ses propres clients ; qu'en réalité le contrat litigieux doit être qualifié de bail partiel des locaux ;

Attendu que l'intimée ajoute que, lors de son acquisition du complexe Odéon le 19-08-1987 aucun fonds de commerce ne s'y trouvait, les baux commerciaux ayant été résiliés ; qu'elle y a créé une activité de toute pièce sous forme de contrats passés avec diverses entreprises de spectacles, que ces contrats n'ont pas été confiés à la société Tiv-Tov, laquelle n'a donc pu louer le fonds ;

MOTIFS DE LA DECISION

Attendu que créancière de la société Tiv-Tov, déclarée en état de redressement judiciaire puis de liquidation judiciaire et apparemment insolvable, l'appelante se retourne, pour obtenir paiement de sa créance, contre la société Foncière Provençale en se fondant sur l'article 8 de la loi du 20 mars 1956 en vertu duquel, jusqu'à la publication du contrat de location-gérance et pendant un délai de six mois à compter de cette publication, le loueur d'un fonds de commerce est solidairement responsable avec le locataire-gérant des dettes contractées par celui-ci au cours de l'exploitation du fonds ;

Attendu qu'il n'est, en l'espèce, nullement contesté que le contrat intitulé " protocole d'accord " en date du 09-06-1988, par lequel la société Foncière Provençale met à la disposition de la société Tiv-Tov des salles de spectacles dépendant du complexe dénommé l'Odéon sis 162 La Canebière à Marseille, n'a jamais fait l'objet d'une publication au registre du commerce et des sociétés de Marseille;

Attendu que pour échapper à la rigueur du texte invoqué, l'intimée soutient que le contrat susvisé ne saurait être qualifié de location-gérance et que la loi du 20 mars 1956 ne s'applique pas aux relations contractuelles ayant existé entre elle-même et la société Tiv-Tov ;

Attendu que la société Foncière Provençale, propriétaire des murs du complexe Odéon est immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Marseille depuis le 15-03-1955 et a commencé à exploiter son fonds de commerce au 162 La Canebière depuis le 1er janvier 1955, à titre d'établissement secondaire ;

Attendu qu'il n'est fait mention d'aucune cessation d'activité ; que ce fonds a donc bien été exploité jusqu'à la date de la convention passée avec la société Tiv-Tov ;

Attendu que cette convention a pour effet, selon ses propres termes :

- de mettre à la disposition de la société Tiv-Tov un ensemble du complexe immobilier de l'Odéon comportant des salles, le matériel et l'équipement de celles-ci, le hall, les vestiaires, le bar en état de fonctionnement complet, les toilettes, les sorties sur la rue Curiol, et les sous-sols ;

- de constituer une location-gestion du complexe et non un bail commercial ;

- d'obliger la société Tiv-Tov à l'entretien de tout le complexe à l'exception d'une salle réservée à un tiers ;

- d'obliger la société Tiv-Tov à prendre à sa charge le personnel nécessaire à l'accueil, l'entretien, la gestion de l'Odéon, ainsi que tous les frais de gestion (eau, électricité, téléphone, assurances, taxe foncière) et de sécurité ;

- de permettre à la société Tiv-Tov d'exécuter à sa charge tous les travaux d'aménagement et de transformation contribuant à la bonne marche de l'Odéon ;

- de mettre au nom de la personne désignée par la société Tiv-Tov la licence d'exploitation du bar et la taxe sur cette licence ;

- d'obliger la société Tiv-Tov à continuer les contrats passés avec les sociétés de brasserie ;

- de payer une redevance, payable trimestriellement ;

- de verser une caution égale à une trimestrialité ;

Attendu que cette convention, qui exclut textuellement être un bail commercial, comporte toutes les caractéristiques d'une location-gérance, le locataire étant entièrement responsable de la gestion de l'ensemble comportant dès lors à l'évidence le fonds de commerce; que cette convention est conforme à la définition donnée par l'article 1 de la loi du 20 mars 1956;

Attendu que l'intimée ne saurait se retrancher derrière le défaut de publication de ce contrat pour se soustraire à toute obligation envers les tiers, l'article 8 de la loi du 20 mars 1956 ayant justement prévu ce cas; qu'elle doit être condamnée au paiement de la créance de l'appelante, le jugement entrepris devant être infirmé en toutes ses dispositions ;

Attendu que l'appelante réclame des dommages-intérêts mais ne justifie pas d'un préjudice particulier excédant celui qui peut être suffisamment réparé par l'allocation des intérêts de retard ;

Attendu qu'il serait en revanche inéquitable de laisser l'appelante supporter les frais irrépétibles de procédure et que la somme de 3 500 F doit lui être allouée de ce chef.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Reçoit l'appel de la société Provence boissons, et y faisant droit, Infirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris. Et, statuant à nouveau, Dit que la convention passée entre la société Foncière Provençale et la société Tiv-Tov le 09-06-1988 constitue un contrat de location-gérance. Constate le défaut de publication de ce contrat. Faisant application de l'article 8 de la loi du 20-03-1956 , condamne la société Foncière Provençale à payer à la société Provence boissons la somme de trente huit mille quinze francs trente sept centimes (38 015,37 F) en principal, plus intérêts au taux légal depuis le 31-01-1989. Déboute la société Provence boissons de sa demande de dommages-intérêts. Condamne la société Foncière Provençale à payer à la société Provence boissons la somme de trois mille cinq cent francs (3 500 F) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne la société Foncière Provençale aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de la SCP Cohen, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.