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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 24 octobre 1991, n° 89-2820

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Établissements Bergon

Défendeur :

Compagnie des Gaz et Pétroles Primagaz

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Serre

Conseillers :

Mme Garnier, M. Bouche

Avoués :

SCP Gaultier Kistner, SCP Barrier-Monin

Avocats :

Mes Fourgoux, Ithurbide.

T. com. Paris, 9e ch., du 8 déc. 1988

8 décembre 1988

LA COUR statue sur les appels formés à titre principal par la Société Etablissements Bergon (Bergon) et à titre incident par la société Primagaz du jugement prononcé le 8 décembre 1988 par le Tribunal de Commerce de Paris dans les circonstances suivantes :

Le 21 octobre 1981, Primagaz a accordé à Bergon la commercialisation exclusive des gaz de pétrole liquéfié de sa marque dans un certain nombre de cantons du Var ; il était stipulé que chaque partie avait la faculté de dénoncer les conventions pour la fin de chaque année civile, avec un préavis de deux mois ;

Le 23 octobre 1986, Primagaz a notifié dans les formes contractuelles son intention de mettre fin au contrat pour le 1er janvier 1987 en énumérant ses différents griefs faits au concessionnaire.

Les estimant injustifiés et soutenant d'autre part que certaines dispositions du contrat étaient contraires tant aux ordonnances du 30 juin 1945 et du 1er décembre 1986 qu'aux articles 85 et 86 du Traité de Rome, Bergon a assigné la compagnie pétrolière en paiement de dommages-intérêts, demandant au Tribunal de consulter éventuellement la Cour de Justice des Communautés Européennes ;

Par le jugement entrepris, le Tribunal a estimé :

- que bien que Primagaz ait occupé une place importante dans son secteur d'activité, il n'était pas établi qu'elle ait été en mesure de contraindre Bergon à souscrire le contrat litigieux ;

- qu'il appartenait à celle-ci de prendre, au cours de la période contractuelle, ses dispositions pour échapper aux conséquences préjudiciables de la résiliation notifiée dans les formes convenues ;

- qu'il ne pouvait être reproché aucun abus de droit à Primagaz qui n'avait pas à motiver sa décision et qui n'avait d'ailleurs commis aucune faute dans l'exercice de son droit de résiliation ;

- que le recours à une expertise ou à la procédure prévue par l'article 177 du Traité de Rome n'était pas justifié ;

Les premiers juges ont ainsi débouté Bergon de l'ensemble de ces demandes, et l'ont condamné aux dépens, ils ont également débouté Primagaz de ses demandes d'indemnités pour non restitution du stock des bouteilles consignées et pour ses frais irrépétibles de procédure ;

La société Bergon reprenant ses prétentions initiales, fait essentiellement valoir que la décision de Primagaz de rompre le contrat s'explique par son refus d'accepter des conditions commerciales incompatibles avec son statut de concessionnaire et de se soumettre aux pratiques anticoncurrentielles sur lesquelles la compagnie pétrolière entendait asseoir son réseau de distribution.

Elle souligne notamment :

- que Primagaz a fixé d'autorité le tarif de revente des bouteilles au Centre Leclerc de son secteur (avec lequel des accords avaient été passés sur le plan national) l'obligeant ainsi, pratiquement à vendre à perte ;

- que cette compagnie a toujours refusé de lui communiquer ses barèmes de prix, en vue de dissimuler la situation disparate faite aux différents membres de son réseau, ce qui caractérise l'abus de position dominante vis-à-vis de ces derniers ; qu'au surplus les accords avec les centrales d'achats constituent des ententes illicites prohibées par l'article 85 du Traité de Rome.

Elle fait également observer que Primagaz lui a, à tort, reproché :

- l'insuffisance de ses résultats, alors que ses performances dans un marché en régression ont été supérieurs à la moyenne de celles des autres concessionnaires,

- ses soi-disant manquements à ses obligations d'animation et de promotion des ventes, alors que les modalités de réalisation de ces actions ont fait l'objet d'âpres discussions ;

- son refus de mettre fin à la pratique de l'échange des bouteilles vides, sans distinction de marque, alors qu'elle a appliqué les nouvelles prescriptions à cet égard de la circulaire du 28 mars 1985 et qu'elle n'a pas pu écouler son stock de bouteilles étrangères.

Concluant à l'infirmation du jugement elle prix la Cour :

- de constater les pratiques anticoncurrentielles de Primagaz tant au regard du droit interne résultant des ordonnances du 30 juin 1945 et du 1er décembre 1986 qu'au regard du Traité de Rome ;

- de juger fautive la décision de Primagaz de rompre le contrat de façon brusquée, avec un préavis de deux mois, insuffisant pour lui permettre de donner une nouvelle orientation à ses activités ;

- d'ordonner une expertise sur l'étendue de son préjudice consécutif à cette rupture et, en attendant, de lui allouer une provision de 100.000 F.

Estimant, en revanche, justifiés la disposition du jugement déboutant Primagaz de sa demande concernant la reprise des bouteilles vides, elle sollicite 30.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Subsidiairement elle prie la Cour de consulter la Cour de Justice des Communautés Européennes, en application de l'article 177 du Traité et au surplus de demander l'avis du Conseil de la Concurrence ;

La société Primagaz conclut à la confirmation du jugement, sauf en ses dispositions relatives aux bouteilles non restituées, dont Bergon était comptable.

Reprenant sa demande à ce titre, elle sollicite la somme de 136.200 F ainsi que celle de 53.246,49 F, représentant des frais d'animation publicitaire dont la charge incombe à Bergon soit un total de 189.446,49 F, avec les intérêts à compter du 7 avril 1987 et leur capitalisation conformément à l'article 1154 du Code civil pour les intérêts dus à la date du 22 mars 1991 ; elle demande également 30.000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Considérant que le 5 avril 1991 l'ordonnance de clôture du 20 mars 1991 a été révoquée et que dès lors les conclusions des 22 mars, 2 avril et 19 avril 1991 doivent être déclarées recevables ;

Considérant que l'article 4 du contrat, prévoit que " la concession ... à durée indéterminée, pourra cependant être dénoncée ... avec un préavis de deux mois ... " ;

Qu'ainsi, Primagaz pouvait librement mettre fin au contrat, sans énoncer aucun grief, à la condition de ne pas agir abusivement ;

Que Bergon voit l'abus dans le caractère fallacieux des motifs allégués dans la lettre de rupture du 23 octobre 1986, dans le caractère illicite des dispositions contractuelles que lui aurait imposée Primagaz du fait de sa position dominante, notamment la brièveté du préavis, et dans la volonté de celle-ci, d'appliquer des pratiques anticoncurrentielles ;

Qu'elle se fonde en particulier sur l'ordonnance du 1er décembre 1986 entrée en vigueur le 10 décembre 1986, soit 21 jours avant la date d'expiration du contrat dénoncé pour le 1er janvier 1987 ;

Que cependant ce texte qui en son article 8 prohibe l'exploitation abusive d'une position dominante ainsi que l'état de dépendance d'un des contractants ne saurait régir des faits commis antérieurement à son application ; que postérieurement au 10 décembre 1986 Primagaz n'a pris aucune initiative nouvelle positive susceptible de contrevenir à cette ordonnance ; que celle-ci ne peut servir de fondement à l'action de l'appelante.

Que d'ailleurs en tout état de cause, Bergon n'établit pas que Primagaz ait occupé sur le marché tant en octobre 1981 lors de la conclusion du contrat que tout au long de la période contractuelle une position dominante caractérisée, au sens de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 modifié par la loi du 19 juillet 1977 dont les dispositions ont été reprises par l'ordonnance susvisée ; qu'elle ne se trouvait pas en " situation de monopole ni ne bénéficiait d'une concentration manifeste de la puissance économique " susceptibles d'entraver le fonctionnement du marché ;

Que, pour sa part, Bergon ne fournit aucune précision sur sa situation au point de vue économique et commercial en octobre 1981, dont elle prétend tirer son état de dépendance ; qu'elle ne démontre pas n'avoir eu aucune autre possibilité que de se lier contractuellement avec Primagaz ; que son prétendu état de dépendance ne saurait résulter de la seule différence de taille des deux autres entreprises ;

Qu'elle a ainsi accepté librement de souscrire les conventions litigieuses qui prévoyaient notamment un préavis de deux mois ;

Qu'il doit être noté que dès l'année 1984 la situation s'est dégradée entre les parties ;

Que du propre aveu de Bergon " d'âpres discussions " ont opposé les parties sur les résultats de la concession, sur l'application de la clause relative à l'animation du réseau et la promotion des ventes, sur l'approvisionnement du Centre Leclerc situé sur le territoire, sur la pratique de substitution des bouteilles interchangeables quelle que soit la marque de gaz ;

Que notamment le 16 février 1984, Bergon émettait des réserves sur la nature des interventions de la nouvelle équipe mise en place à l'arrivée du nouveau directeur régional Monsieur Chapaux ;

Que les négociations sur la politique d'animation dont les insuffisances étaient selon Primagaz à l'origine de la baisse des résultats, se sont prolongés pendant les années suivantes sans pouvoir aboutir à un accord durable ;

Que cet état de tension s'est progressivement aggravé et que le 7 juillet 1986, Primagaz, faisant le point de la situation, a mis son concessionnaire en garde sur la chute de ses résultats et sa carence en matière d'animation ;

Que le 17 juillet 1986, elle l'avertissait que le maintien de son refus de livrer le Centre Leclerc aux " Tarifs Groupe " convenus avec les Centrales d'achats serait un motif de résiliation du contrat;

Que <B<le 23 octobre 1986, prenant acte de leur désaccord, elle mettait fin à leur relations avec le préavis convenu de deux mois ;

Que dans ce contexte, Bergon ne saurait faire grief à son concédant d'avoir agi avec précipitation;

Considérant qu'il reste à rechercher si la responsabilité de cet état conflictuel peut être imputée à Primagaz ;

Que sur ce point, Bergon ne démontre pas que les exigences du concédant relatives à l'animation du réseau et à la promotion des ventes aient excédé les stipulations contractuelles et revêtu un caractère abusif ;

Que par ailleurs l'article 6 b, du contrat d'une part, mettait à sa charge l'obligation " de revendre le gaz ... à un prix ne dépassant pas une valeur limite ... toute pratique de prix inférieurs restant libre dans l'intérêt des intéressés " et l'article 6 g d'autre part, celle " de rechercher, développer la clientèle des GPL livrés en vrac avec laquelle Primagaz signera ses accords de fourniture " ;

Que dès lors, Bergon tente vainement de justifier ses réticences à se plier aux directives de son concédant fixant un prix maximum pour les livraisons au Centre Leclerc du secteur ;

Que la fixation d'un prix maximum n'était pas contraire à l'ordonnance du 30 juin 1945, dont l'article 37 ne visait que le prix minimum et que rien ne démontre que cette mesure l'obligeait à vendre à perte, alors qu'elle disposait, même si c'était avec une marge réduite par unité vendue, d'un débouché régulier, lui assurant un volume de vente important sans avoir à supporter des frais de démarchage ou de transport par petite quantité ;

Que par ailleurs les articles 85 et 86 du Traité de Rome ne prohibent la fixation d'autorité du prix de vente de la part d'entreprises que dans les cas ou l'exploitation abusive d'une position dominante sur le marché serait susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres, ce qui n'est pas le cas en l'espèce comme indiqué ci-dessus ;

Qu'en ce qui concerne la suppression de la liberté d'échange des bouteilles, il ne ressort d'aucun élément que la mesure prise à cet égard par Primagaz en accord avec les autres compagnies distribuant des GPL (qui sont chacune propriétaires de leur matériel et libres d'en déposer soit illicite compte tenu des spécificités de la réglementation sur le transport de ce produit dangereux ;

Que pas davantage Bergon n'apporte la justification du refus de Primagaz de donner suite à ses demandes de communication de ses barèmes de prix, ni des manœuvres par lesquelles celle-ci aurait cherché à l'exclure du réseau en lui appliquant des conditions d'exploitation discriminatoires par rapport aux autres concessionnaires ;

Qu'en ce qui a trait à l'insuffisance des résultats de la concession, les parties sont contraires en fait sur l'interprétation des chiffres reflétant le volume des ventes réalisées par Bergon globalement ou par catégorie de produits ; qu'en tout cas, il n'est pas établi que Primagaz ait délibérément fait à cette dernière des reproches injustifiés, alors que, dans un marché en régression, elle désirait intensifier les efforts d'animation et qu'elle n'aurait eu aucun intérêt à se priver des services d'un concessionnaire performant ;

Considérant dans ces conditions, qu'il n'apparaît pas utile de recourir à la procédure de l'article 177 du Traité de Rome alors que la formulation de la question préjudicielle proposée par Bergon suppose établi son état de dépendance vis-à-vis de Primagaz ; qu'il ne l'est pas davantage de consulter le Conseil de la Concurrence ;

Que, par suite, à défaut d'abus de la part de cette dernière dans sa décision de mettre fin au contrat, la demande d'indemnisation de Bergon n'est pas justifiée;

Considérant d'autre part que la réclamation de la compagnie pétrolière au titre du remboursement des bouteilles de gaz manquantes est contestée par Bergon ; que cette demande ne repose sur aucun inventaire contradictoire établi entre les parties ; qu'à défaut de preuve du bien fondé de cette prétention, Primagaz doit en être déboutée ; qu'il en est de même des frais d'animation en l'absence de tout élément probant à cet égard ;

Considérant que l'équité ne commande pas de faire application en la cause de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, Déclare recevables les conclusions signifiées les 22 mars, 24 et 19 avril 1991 ; Rejette la demande de consultation de la Cour de Justice des Communautés Européennes et du Conseil de la Concurrence ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions. Déboute les parties de leur demande respectives au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne la société Bergon aux dépens d'appel et admet la société civile professionnelle Barrier Monin, avoué, au bénéfice de l'article 699 du dit code.