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Décisions

CA Paris, 15e ch. A, 6 novembre 1991, n° 90-011027

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Les cartonnages de la Seine (SA)

Défendeur :

Crathern et Smith EnvCSE (Sté), Perondi Viale Cooperacione (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fouillade

Conseillers :

MM. Maglioli, Duclaud

Avoués :

Me Mira, SCP Bommart-Forster

Avocats :

Mes Sofer, Cottignies & Carpentier.

T. com. Meaux, du 3 avr. 1990

3 avril 1990

LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Cartonnages de la Seine du jugement rendu le 3 avril 1990 par le Tribunal de Commerce de Meaux qui, dans le litige l'opposant à la société de droit belge Crathern et Smith (désignée ci-après société CSE) et la société de droit italien Perondi, a :

- donné acte aux parties de ce qu'elles sont d'accord pour accepter l'application de la loi française, la compétence territoriale du Tribunal de Commerce de Meaux et la qualification juridique des liens ayant existé entre elles,

- dit la société Cartonnages de la Seine mal fondée en ses demandes et recevant les sociétés CSE et Perondi en leur demande reconventionnelle, a condamné la société Les Cartonnages de la Seine à leur payer la somme totale de 25.000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure injustifiée, celle de 20.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Il est renvoyé à la décision entreprise pour un exposé complet des faits, de la procédure antérieure et des motifs retenus par les premiers juges et aux conclusions déposées devant la Cour pour l'énoncé détaillé des moyens et prétentions des parties.

Seuls les éléments suivants doivent être rappelés :

Fabricante de machines spécialisées dans la confection et l'impression de boîtes et emballages pour divers produits, la société Perondi a, par lettre du 21 juin 1979, attribué à la société Cartonnages de la Seine l'exclusivité de la vente de ses machines pour la France. Les relations commerciales se sont poursuivies normalement et régulièrement sur les bases de cette lettre jusqu'en mars 1986.

La société Perondi est passée, à cette époque, sous contrôle de la société américaine Crathern and Smith. Cette société, conjointement avec la société Perondi, confirmait à la société Cartonnages de la Seine son rôle de distributeur exclusif en France des machines Perondi mais lui imposait de passer l'intermédiaire de sa filiale belge à la CSE pour les commandes desdites machines.

A la suite de difficultés dans l'exécution du contrat et après discussion et échange de correspondance entre les parties, la société CSE désirant commercialiser elle-même le matériel Perondi, notifiait à la société Cartonnages de la Seine, par lettre du 30 septembre 1988, sa décision de rompre le contrat tout en autorisant celle-ci à prendre, selon les mêmes modalités, des commandes jusqu'au 1er mars 1989.

C'est dans ces circonstances de fait que la société Cartonnages de la Seine prétendant que les société CSE et Perondi avaient rompu brutalement le contrat et porté atteinte à sa réputation, a saisi le Tribunal de Commerce pour obtenir diverses indemnités en réparation de son préjudice.

Les sociétés CSE et Perondi se sont opposées à ces demandes et se sont portées reconventionnellement demanderesses pour obtenir une indemnité au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et des dommages-intérêts pour procédure abusive.

Par le jugement déféré, le Tribunal a :

- constaté qu'un délai de préavis de six mois avait été accordé à la société Les Cartonnages de la Seine, que la rupture n'avait pas été abusive, la demanderesse ayant même accepté le délai de cinq mois initialement prévu, puis prolongé, à sa demande, d'un mois supplémentaire,

- estimé que, contrairement à ses allégations, la société Cartonnages de la Seine n'apporte pas la preuve de la création d'un monopole de fait par les sociétés défenderesses pour la fabrication des machines concernées et qu'il n'est pas démontré que la rupture du contrat n'a eu pour objet que la création de ce prétendu monopole, ce d'autant plus que certaines relations commerciales se sont poursuivies depuis cette rupture entre les parties,

- relevé, pour faire droit à la demande reconventionnelle, que la procédure intentée par la société Cartonnages de la Seine n'était pas justifiée et que le montant des indemnités réclamées par cette dernière, était manifestement abusif.

Au soutien de son recours, la société Cartonnages de la Seine, qui poursuit l'infirmation du jugement déféré, fait valoir :

- que le préavis accordé était entièrement fictif et que si les délais de livraison deviennent de l'ordre de 18 mois, il n'y a aucune chance que les clients potentiels commandent à l'ancien concessionnaire,

- que dans le cours du préavis, la société CSE a prospecté tous les clients potentiels supprimant ainsi toutes ses possibilités de vente,

- qu'il existe un monopole de fait au profit des sociétés CSE-Perondi, que les machines produites par ces dernières n'ont pas de concurrentes et que celles présentées par les intimées comme ayant le même usage correspondent manifestement à d'autres besoins,

- que l'entretien et le remplacement des pièces de machines commandées et livrées avant la rupture impliquent nécessairement la poursuite des relations entre les parties en cause.

Elle prie la Cour de :

- condamner in solidum les sociétés CSE et Perondi, à raison de la rupture fautive par elle du contrat les liant à la société Les Cartonnages de la Seine, à payer à cette dernière les sommes de : 3.000.000 F à raison du caractère fautif de la rupture, 900.000 F à raison du défaut de préavis accordé, 1.000.000 F à raison de l'atteinte portée à sa réputation commerciale, 30.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et dans ces ultimes conclusions de rejeter les demandes reconventionnelles formées par les intimées.

Les sociétés Crathern et Smith et Perondi, intimées, qui reprennent les moyens et arguments articulés en première instance, concluent à la confirmation du jugement déféré, à l'élévation à 100.000 F du montant des dommages-intérêts en raison du caractère abusif de cette procédure et de 20.000 à 50.000 F le montant de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant que les parties sont d'accord pour qualifier la convention conclue entre elles et matérialisée par la lettre de la société Perondi, en date du 21 mai 1979, de contrat de concession exclusive de vente à durée indéterminée ;

Considérant qu'après la prise de contrôle, en 1986, de la société italienne Perondi par la société américaine Crathern et Smith, celle-ci adressait, le 29 juillet 1986, à la société Cartonnages de la Seine, une lettre dans laquelle d'une part, elle s'engageait à poursuivre par l'intermédiaire de sa filiale belge CSE l'arrangement conclu avec la société Perondi pour l'achat exclusif de leurs produits pour revente en France, d'autre part, concernant l'avenir de leurs relations commerciales, elle précisait ses intentions dans les termes suivants : "Nous sommes convenus que "notre arrangement actuel est de nature temporaire et que nous devrions travailler "avec celui-ci pendant six prochains mois environ, délai après lequel nous pourrons "chacun réexaminer les problèmes et résultats et procéder à tous ajustements qui "pourraient être nécessaires".

Que la société Les Cartonnages de la Seine répondait, le 2 septembre 1986, "qu'elle "était entièrement d'accord avec le contenu de la lettre précitée de même qu'avec "les prix indiqués par le tarif annexé et qu'elle donnait son approbation".

Considérant que le 30 septembre 1988, la société CSE notifiait à la société Les Cartonnages de la Seine la rupture du contrat avec un préavis de six mois jusqu'au 1er mars 1989 ;

Que le 22 novembre 1988, la société Les Cartonnages de la Seine protestait contre cette rupture brutale estimant illusoire le délai de préavis accordé ;

Que la société CSE répondait le 26 janvier 1989 à la société Cartonnages de la Seine en lui rappelant qu'elle-même avait demandé la date du 1er mars 1989, terme du préavis, lors d'un entretien dans son bureau le 14 septembre 1988, ce que l'appelante ne conteste pas dans ses écritures.

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments de l'analyse de la correspondance échangée, que, dès juillet 1986, la société Cartonnages de la Seine était informée des intentions de la société CSE de réorganiser son service commercial; que cette dernière acceptait " pour une durée temporaire - six mois - " de poursuivre des relations commerciales avec l'appelante qui, d'ailleurs, avait, le 2 septembre 1986, donné son accord à cet arrangement dont il n'ignorait pas le caractère temporaire ;

Considérant, dès lors, que les sociétés CSE et Perondi étaient en droit de mettre fin au contrat litigieux de concession à durée indéterminée faute de stipulation de terme; qu'en accordant un délai de six mois après la notification de la rupture, ils ont, en l'espèce, respecté un préavis exempt de brusquerie, ce qu'ont estimé à juste titre, les premiers juges par des motifs pertinents que la Cour adopte ;

Considérant qu'il n'est pas établi que des agents commerciaux de la société CSE aient, comme l'allègue l'appelante, démarché en France, durant la période de préavis, des clients potentiels ou négocié avec eux la vente de matériel Perondi ;

Qu'en effet, les lettres de deux clients, les sociétés Letourneur et Drouilly, qui, essentiellement, reprochent à l'appelante de ne pas les avoir avertis du changement intervenu dans la fourniture du matériel Perondi, lequel changement a été porté à la connaissance du premier client par Monsieur Jean Emmerechts de la société CSE au cours d'une visite et à celle du second par Monsieur Vandenkeybus de la société CSE à l'occasion du selon du Sippa ne sont pas suffisamment circonstanciées pour caractériser une faute de la société CSE dans la poursuite des relations commerciales durant la période de préavis ou établir l'existence de manœuvres déloyales de nature à porter atteinte à la réputation commerciale de la société Cartonnages de la Seine ;

Considérant que le moyen tiré de la création par les sociétés Crathern et Smith et Perondi d'un monopole de fabrication de machines pour l'emballage et le cartonnage, monopole contraire aux dispositions de l'article 88 du traité de Rome, a été, à bon droit, rejeté par les premiers juges par des motifs que la cour fait siens ;

Qu'en effet, l'attestation de Monsieur Peltier, Président de la Chambre Syndicale des négociants, constructeurs et réparateurs de machines pour l'imprimerie et le cartonnage certifiant qu'"à sa connaissance le matériel produit par CSE et Perondi était sans concurrence directe sur le marché français en ce qui concerne les machines automatiques destinées à la fabrication des classeurs, calendriers et produits similaires au moment de la rupture, le 30 septembre 1988, du contrat de représentation exclusive conclu avec les Cartonnages de la Seine", seul document produit par l'appelante à l'appui de ce moyen, est en contradiction avec les divers prospectus et brochures - versés au débat par les intimées - émanant des sociétés italiennes, anglaises et allemandes qui fabriquent des machines destinées aux mêmes usages que celles des sociétés Perondi et Crathern et Smith ;

Qu'il ressort de l'examen des pièces produites par les parties et contradictoirement débattues que la preuve de la situation de monopole de fait des sociétés intimées alléguée par l'appelante n'est pas démontrée ;

Considérant, en conséquence, que le jugement querellé sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Cartonnages de la Seine de toutes ses demandes ;

Considérant, sur les demandes reconventionnelles, que les sociétés CSE et Perondi ne rapportent pas la preuve que la société Les Cartonnages de la Seine ait abusé de son droit d'ester en justice en exerçant la présente action et en relevant appel du jugement entrepris ;

Qu'en conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a accordé des dommages-intérêts pour procédure abusive aux sociétés intimées lesquelles seront également déboutées de leurs demandes de dommages-intérêts formées, de ce même chef, devant la cour ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge des intimées les sommes non comprises dans les dépens qu'elles ont exposées en cause d'appel ; qu'il convient de leur allouer de ce chef la somme complémentaire de 5 000 F ;

Par ces motifs, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Cartonnages de la Seine de toutes ses demandes et a condamné cette dernière aux dépens et au payement aux sociétés CSE et Perondi de la somme de 20 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau : Déboute les sociétés Crathern et Smith (CSE) et Perondi de leurs demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive formées tant en première instance qu'en appel ; Y ajoutant : Condamne la société Cartonnages de la Seine à payer aux sociétés Crathern-Smith (CSE) et Perondi la somme complémentaire de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; La condamne aux dépens d'appel qui pourront être directement recouvrés par la SCP Bommart-Forster, avoué, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.