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Décisions

CA Pau, 2e ch., 14 novembre 1991, n° 2402-90

PAU

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Sodiam (Sté)

Défendeur :

Shop salon (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mlle Massieu

Conseillers :

M. D'uhalt, Mme Riboulleau

Avocats :

SCP Madar-Danguy, Me Ben Soussan.

T. com. Pau, du 6 juin 1990

6 juin 1990

Attendu que par convention privée du 7 septembre 1987, intitulée " contrat de concession " la Société Shop Salon International a " concédé " pour deux années à la SA Sodiam la " licence exclusive d'offrir à la clientèle ... tous articles de salon, ainsi que tous autres articles d'ameublement et de décoration sous la marque Shop Salon ", et ce moyennant un droit d'entrée de 50 000 F HT, un droit d'enseigne sous la forme d'une redevance mensuelle de 1 % (TVA en sus) du chiffre d'affaire TTC d'un montant minimum de 330 000 F, et une participation publicitaire sous la forme d'une redevance mensuelle de 2 % (TVA en sus) du même chiffre ;

Attendu que par courrier du 11 mars 1988, la SA Sodiam a adressé sa démission anticipée à la Société Shop Salon ;

Attendu que par déclaration du 11 juillet 1990 remise le 8 août au greffe de la Cour pour inscription au rôle, elle régulièrement relevé appel du jugement du Tribunal de Commerce de Pau en date du 6 juin 1990 qui l'a condamnée à payer à la Société Shop Salon 171 659,74 F en règlement du droit d'enseigne et de la participation publicitaire dus jusqu'à l'expiration du contrat du 7 septembre 1987, 126 165,60 F en règlement de l'indemnité pour rupture anticipée prévue à l'article 6-5 du contrat, outre 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et les dépens ;

Attendu que pour statuer ainsi le premier juge a dit qu'il ne lui appartenait pas, comme le demandait la SA Sodiam de requalifier le contrat, mais qu'au contraire, les parties devaient exécuter leur convention selon les modalités stipulées ; que le contrat du 7 septembre 1987 n'était pas dépourvu de cause ; qu'aucune faute contractuelle imputable à la société Shop Salon International n'était démontrée et qu'en conséquence la SA Sodiam était redevable des droits d'enseigne et frais de publicité jusqu'à l'expiration du contrat, outre l'indemnité prévue à l'article 6-5 du contrat ;

Attendu que pour obtenir l'infirmation de cette décision, la SA Sodiam reprend devant la Cour, les moyens déjà développés en première instance ;

Qu'elle demande à cet effet, la requalification du contrat litigieux en contrat de franchise ; qu'elle prétend que celui-ci est nul pour défaut de cause en application de l'article 1131 du Code Civil car " le franchiseur n'a nullement rempli les obligations contractuelles lui incombant " : invoquant successivement l'absence de " savoir-faire ", l'absence d'assistance, l'absence de notoriété du franchiseur (conclusions du 6 février 1991), puis l'absence de campagne publicitaire (conclusions du 18 avril 1991) ; que selon l'appelante, le contrat serait également nul pour indétermination du prix des marchandises faisant l'objet de l'exclusivité d'approvisionnement ;

Qu'à titre subsidiaire, est évoquée la résiliation du contrat en raison des " carences multiples et répétées " de la Société Shop Salon International ;

Attendu que la Société Sodiam demande, si la nullité du contrat est prononcée, la restitution des sommes qu'elle a versées, et si la résiliation est constatée, le débouté des demandes de la Société Shop Salon International, outre, dans les deux cas une indemnité de 300 000 F " en raison de son préjudice " sans autre précision, et 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Attendu que la Société Shop Salon International réplique que la Cour ne peut, sauf à dénaturer le contrat, requalifier celui-ci ; qu'elle conteste les causes de nullité soulevées par la SA Sodiam, estimant qu'elle a transmis un réel savoir-faire et a assisté son cocontractant en réalisant des campagnes publicitaires nationales et locales, en organisant des réunions périodiques ; qu'elle soutient avoir une notoriété suffisamment établie par son inscription à l'INPI depuis 1981 et la création de nombreuses succursales dans toute la France ;

Qu'en réponse à la demande de résiliation à ses torts, elle fait valoir qu'elle a strictement rempli ses obligations contractuelles ;

Qu'elle conclut à la confirmation du jugement et y ajoute une demande d'intérêts aux taux légal à compter de l'assignation, de dommages-intérêts (10 000 F) et d'application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La qualification du contrat du 7 septembre 1987

Attendu que l'article 12 du nouveau code de procédure civile fait notamment obligation au juge de restituer aux actes litigieux leur exacte qualification sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ; sauf si celles-ci le refusent expressément ;

Que dès lors, la Cour saisie de la question de la qualification du contrat litigieux, se trouve dans l'obligation de rechercher sa nature juridique exacte ;

Attendu que le contrat de franchise, défini par la réglementation communautaire et la jurisprudence française, se caractérise essentiellement par :

- l'utilisation d'un nom ou d'une enseigne communs et une présentation uniforme des locaux ;

- la communication par le franchiseur au franchisé d'un savoir-faire constitué par un ensemble de techniques originales expérimentées par le franchiseur et que le franchisé n'aurait pu acquérir qu'après de longs efforts de recherches ;

- la fourniture continue par le franchiseur d'une assistance commerciale et technique ;

Attendu que la communication du savoir-faire en raison de son caractère substantiel, identifié, évolutif et secret est en général contenu dans un document distinct du contrat, quelquefois appelé " Bible " ;

Attendu que la société Shop Salon International a pour objet, selon ses statuts produits aux débats, de commercialiser toutes marques dans le domaine de l'ameublement " notamment par l'octroi de contrat de franchise ", et dans leur relations épistolaires, les parties ont indifféremment utilisé ce terme, et celui de concession ;

Que cependant, sans s'arrêter à l'emploi de ces termes, la Cour doit rechercher si les caractères de la franchise sont réunis dans le contrat litigieux ;

Attendu qu'il est constant que :

l'enseigne Shop Salon déposée à l'INPI depuis 1981 jouit d'une notoriété certain car en décembre 1987, elle disposait de 21 succursales, et en 1989 de 31 ;

- le chapitre 2 du contrat, " obligations du concessionnaire " énonce l'ensemble des modalités d'exercice auxquelles la SA Sodiam doit se conformer pour " conserver l'unité de la chaine ", dans " les agencements, la présentation de son magasin, par les techniques de commercialisation et de gestion " ;

- " les méthodes commerciales mises au point par Shop Salon International, pratiquées par l'ensemble des Sociétés exploitant la marque Shop Salon sont connues des soussignées et feront l'objet de séances de formation " (arti. 2-3) ; dans un courrier du 25 novembre 1987, la SA Sodiam proteste contre la facturation de la " Bible " qu'elle considère " comme un outil de travail qui nous rend d'excellents services " ; dans ses écritures, la société Shop Salon International a démontré qu'elle a effectivement un savoir-faire spécifique à transmettre ;

- l'article 4-2 du contrat, inséré au chapitre " obligations du concédant " est intitulé " conseils en organisation et gestion commerciale et administrative " ; il prévoit des conseils techniques à la demande du " concessionnaire " ; d'autre part, il est prévu à l'article 2-3 que " les méthodes commerciales mises au point par Shop Salon feront l'objet de séances de formation " ;

Attendu qu'il s'évince de l'ensemble de ces éléments que le contrat souscrit ne constitue pas une simple adhésion à un groupement d'achats comme le soutient la Société Shop Salon International, mais au contraire présente toutes les caractéristiques du contrat de franchise, et doit être requalifié en se sens ;

La nullité du contrat

Attendu que la SA Sodiam se prévaut de la nullité du contrat pour défaut de cause et défaut d'objet prétendant dans les deux cas que la Société Shop Salon International n'avait pas de savoir-faire à lui transmettre, n'a pas rempli son obligation d'assistance ni celle d'assurer une campagne publicitaire et qu'enfin sa notoriété est insuffisante ;

Attendu que la cause et l'objet sont des éléments constitutifs des conventions et leur existence doit s'apprécier au moment de la formation du contrat ;

Que dans les contrats synallagmatiques, l'obligation de chaque contractant trouve sa cause dans l'obligation de l'autre ;

Que l'objet est ce à quoi les parties s'engagent ;

Attendu qu'en l'espèce, la SA Sodiam s'est engagée en contre partie des modalités d'exploitation proposées par la Société Shop Salon International et dont l'existence était réelle au moment de la formation du contrat :

- notoriété convenable,

- savoir-faire mentionné dans le contrat et que la SA Sodiam déclare connaître ;

- assistance technique par des stages ou à la demande :

- programme de campagne publicitaire ;

Que dans ces conditions, l'engagement du 7 septembre 1987 n'est entaché d'aucune nullité pour défaut de cause ou d'objet ;

Attendu que la SA Sodiam envisage aussi la nullité de la convention pour indétermination du prix de vente des marchandises à acquérir en vu de leur revente dans le magasin, et ce en application de l'article 1129 du code civil qui dispose : " il faut que l'obligation ait pour objet, une chose au moins déterminée quant à son espèce. La qualité de la chose peut être incertaine pourvu qu'elle puisse être déterminée " alors que l'article 2-11 du contrat stipule " le concessionnaire s'oblige à effectuer au moins 90 % de ses achats en valeur avec les modèles référencés par la Centrale d'Achats de Shop Salon International " ;

Qu'aucune disposition ne permettant de déterminer le prix des marchandises, le contrat serait nul ;

Or attendu que le contrat, comme l'a démontré l'appelante n'est pas un contrat assimilable à une vente, mais a pour objet plus large d'assurer la distribution de marchandises dans des conditions bien spécifiées ; qu'il s'agit essentiellement d'une obligation de faire et il n'est pas nécessaire dans ces conditions que le prix des marchandises à distribuer soit déterminé ou même déterminable, alors qu'au surplus il n'est pas allégué que la convention s'oppose à ce que ces prix soient librement débattus et acceptés par le " concessionnaire "

Attendu qu'il n'existe pas de nullité pour défaut de prix ;

La résiliation

Attendu que la SA Sodiam demande à la Cour de constater la résiliation du contrat pour inexécution par son cocontractant de ses obligations ;

Attendu qu'il a été constaté plus haut que le grief tiré d'une notoriété insuffisante était infondé ;

Attendu que la SA Sodiam ne démontre pas que le savoir-faire de la Société Shop Salon International ne lui a pas été transmis, ou qu'il ait été inadapté au magasin qu'elle a exploité ;

Attendu que le défaut d'assistance apparaît mieux justifié ; qu'en effet la SA Sodiam a écrit à la SA Shop Salon International les 25 novembre 1987 et 2 février 1988 pour attirer l'attention du franchiseur sur ses difficultés d'exploitation et solliciter des conseils, qui n'ont pas été apportés ; qu'à l'exception d'une réunion le 14 décembre 1987, lors du " Salon du Meuble ", aucun stage de formation n'a été organisé;

Attendu, en ce qui concerne la publicité, que la Société Shop Salon International se justifie essentiellement au moyen de document émanant d'elle, se constituant ainsi des preuves à elle-même, ou de documents postérieurs à la période de collaboration des parties ;

Que dans son courrier du 25 novembre 1987, la SA Sodiam proteste contre une facturation excessive de documents publicitaires destinés à son magasin et reproche l'absence de campagne publicitaire sur le plan national en faisant observer que cela est préjudiciable à l'enseigne Shop Salon ; et la société Shop Salon ne démontre pas la mise en œuvre d'une campagne publicitaire élargie durant cette période ;

Attendu dans ces conditions que sont patents les manquements de Shop Salon dans ses obligations contractuelles de campagne publicitaire et d'assistance, notamment pour séance de formation, conseils appropriés et de campagne publicitaire suffisante;

Que la notoriété du franchiseur et l'assistance au franchisé constituant des éléments essentiels du contrat de franchise, ces manquements justifient la résiliation unilatérale de la SA Sodiam le 11 mars 1987.

Attendu dès lors que, réformant le jugement frappé d'appel, la Cour déboutera la Société Shop Salon International de toutes ses demandes qui constituent l'application de la convention au delà de cette date ;

Attendu que l'appelante ne précisant pas quelle sorte de préjudice elle entend voir réparer par les dommages intérêts qu'elle réclame, elle sera débouté de ce chef de demande ;

Attendu qu'en revanche qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge la totalité des frais irrépétibles de première instance et d'appel et une somme de 5 000 F lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Vu les articles 695 et suivants du même code relatifs aux dépens ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en dernier ressort, Déclare recevables les appels principal et incident; Au fond, Infirme le jugement du Tribunal de Commerce de Pau en date du 6 juin 1990; En conséquence, constate la résiliation du contrat du 7 septembre 1987 aux torts de la société Shop Salon International, Déboute la société Shop Salon International, de ses demandes; Déboute la SA Sodiam de sa demande de dommages-intérêts; Condamne la société Shop Salon à lui payer une somme de 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile; La condamne aux dépens de première instance et d'appel. Autorise conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile, la SCP Rodon, Avoué, à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.