Cass. com., 10 décembre 1991, n° 90-10.259
COUR DE CASSATION
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Véhicules industriels de Montargis (SA)
Défendeur :
Total France CRD (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Grimaldi
Avocat général :
M. Raynaud
Avocats :
SCP Lesourd, Baudin, SCP Peignot, Garreau.
LA COUR : - Sur le moyen unique, pris en ses deux branches : - Attendu, selon l'arrêt déféré (Paris, 31 octobre 1989), que la société de véhicules industriels de Montargis (SVIM) a conclu avec la société Total France CRD (société Total) deux contrats d'approvisionnement exclusif d'une durée de dix années, l'un en lubrifiants, l'autre en carburants, prenant effet respectivement le 1er avril et le 15 novembre 1972 ; que la SVIM s'engageait à acheter et payer 400 000 kilogrammes de lubrifiants et 96 000 hectolitres de carburants ; qu'en outre, la société Total consentait à la SVIM deux prêts amortissables sur les quantités des produits payés ; que, par une convention du 28 juillet 1972, il était enfin convenu qu'au cas où, pour une raison quelconque, les accords viendraient à prendre fin avant l'épuisement des litrages fixés, la SVIM s'engageait à rembourser sans délai les soldes non amortis des prêts, majorés d'un intérêt de 8 % à compter de la date de versement des fonds ; qu'en fait, les relations d'affaires se sont poursuivies entre les parties jusqu'au 10 décembre 1984, date à laquelle les négociations pour aboutir à la conclusion d'un nouveau contrat ont été rompues ; que les quantités de produits n'ayant pas été atteintes, la société Total a alors demandé le remboursement du solde de chacun des prêts majoré du montant des intérêts au taux contractuel depuis le versement des fonds jusqu'au 10 décembre 1984 et au taux légal à compter du lendemain de cette dernière date ;
Attendu que la SVIM reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer les intérêts au taux contractuel de 8 % depuis la date de versement des sommes jusqu'au 10 décembre 1984 alors, selon le pourvoi, d'une part, que la non-exécution de son engagement d'approvisionnement pour une certaine quantité de marchandises n'était pas imputable à une faute contractuelle de la SVIM, sanctionnable par une clause pénale, puisque cette non-exécution provenait de l'application d'une disposition légale, l'article 1er de la loi du 14 octobre 1943 frappant cet engagement de caducité au-delà de dix ans ; qu'ayant constaté que les relations entre les parties s'étaient poursuivies au-delà de dix ans pour permettre à la SVIM d'atteindre les litrages minimaux prévus conformément aux dispositions conventionnelles initiales, mais contrairement à la loi du 14 octobre 1943, et que la société Total s'était elle-même prévalue de la caducité des contrats d'approvisionnement pour réclamer l'application de la clause d'intérêts conventionnels litigieuse, l'arrêt, qui n'en a pas déduit la nullité de cette clause d'intérêts, pourtant prohibée par la loi, puisqu'elle avait vocation à s'appliquer au-delà de la durée légale de dix ans, et même pour objet de dissuader la SVIM de mettre fin elle-même aux relations contractuelles en application de la loi de 1943 avant l'épuisement des quantités minimales imposées par la société Total, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article 1172 du Code civil et a violé ce texte par refus d'application ; et alors, d'autre part, que la caducité de tout contrat d'exclusivité en application de la loi du 14 octobre 1943 produit les mêmes effets qu'une nullité au-delà de dix années ; que la clause litigieuse, qualifiée ou non de clause pénale, ne pouvait recevoir application que pour autant que le contrat dans lequel elle était insérée n'était pas devenu caduc ; qu'à compter de leur date de prorogation au-delà du délai légal de dix ans, les conventions litigieuses, dont l'arrêt attaqué a constaté qu'elles formaient un ensemble avec l'avenant du 28 juillet 1972, étaient d'ores et déjà frappées de caducité en toutes leurs clauses par application de la loi du 14 octobre 1943, y compris la clause litigieuse assortissant le remboursement des prêts souscrits par la SVIM d'un intérêt de 8 % au cas où les relations contractuelles prendraient fin pour une raison quelconque sans que les quotas minimaux de carburants et lubrifiants aient été atteints ; qu'en refusant de constater la caducité de la clause litigieuse, devenue effective dès la date de prorogation des conventions d'approvisionnement exclusif au-delà de la durée légale de dix années, la cour d'appel a violé l'article 1er de la loi du 14 octobre 1943 par refus d'application ;
Mais attendu que l'arrêt retient que la stipulation relative aux intérêts " n'imposait pas la continuation du contrat au-delà de la durée des dix ans, prévue par la loi de 1943 "et " qu'en outre, la cessation des relations pour une cause quelconque excluait le caractère purement potestatif de la résiliation par la société Total " ; qu'en l'état de ces motifs, abstraction faite de ceux relatifs à la clause pénale, qui sont surabondants, la cour d'appel a légalement justifié sa décision, sans encourir les griefs du pourvoi ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses deux branches ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.