CA Versailles, ch. réunies, 7 janvier 1992, n° 6184-90
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Royan Diffusion Automobile (SARL), Rambour (ès qual.)
Défendeur :
Régie nationale des usines Renault
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Belleau
Conseillers :
Mme Monteils, MM. Doze, Frank, Monin-Hersant
Avoués :
SCP Lissarrague & Dupuis, Me Bommart
Avocats :
Mes Thréard, Hannon.
La régie Renault a décidé d'implanter une concession à Royan et a signé à cette fin un contrat de concession exclusive avec la société Royan Diffusion Automobile, ci-après RDA, créée à cette fin par Deschemin qui en a été le gérant.
L'évolution du marché n'a pas répondu aux prévisions de Renault et d'autre part, la Régie, dans le cadre d'une politique d'austérité a, à partir du 1er mai 1985 contraint le concessionnaire à payer comptant les voitures livrées, puis le 1er juin, les pièces de rechange.
Sur dépôt de bilan, le Tribunal de Commerce de Marennes a prononcé règlement judiciaire par jugement du 17 juillet 1985.
Le 1er juillet, le Juge-Commissaire a autorisé la continuation de l'exploitation. Le 22 juillet Renault a avisé son concessionnaire de la résiliation du contrat à dater du même jour, en raison du dépôt de bilan et de la procédure collective.
Le 3 septembre, le Syndic Rambour a avisé la Régie de sa décision de se prévaloir de l'article 38 de la loi du 13 juillet 1967 et de poursuivre l'exécution du contrat.
Le refus de la Régie a entraîné assignation par le Syndic, fondée sur une résiliation avant terme.
Par jugement du Tribunal de Commerce de Paris du 19 mai 1987 Rambour et la société RDA ont été déboutés, la demande d'indemnité de la Régie sur le fondement de l'article 700 étant rejetée.
Le Tribunal a retenu que le Syndic ne s'étant pas prévalu en temps utile des dispositions de l'article L. 38.
En cause d'appel, par arrêt du 6 juin 1988, les appelants ont été à nouveau déboutés et le jugement confirmé, 6.000,00 F étant accordés à la Régie sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Par arrêt du 29 mai 1990, la Cour de Cassation a cassé cet arrêt et renvoyé devant la Cour de céans, pour le tout.
Il a été retenu violation de l'article L 38, parce que la Cour avait fait produire effet à une clause autorisant la Régie à résilier à son gré en cas d'ouverture d'une procédure collective, alors que le Syndic conservait, en vertu d'une disposition d'ordre public, la faculté d'exiger l'exécution du contrat en fournissant la contre prestation due et qu'il avait manifesté sa volonté d'user de cette faculté.
Rambour, en qualité de syndic à la liquidation de biens de RDA prononcée le 2 février 1990, conclut ainsi qu'il suit :
La concession a été créée ex nihilo au prix d'un investissement de 4.500.000,00 F
L'exclusivité interdisait au concessionnaire toute diversification et le contraignait à s'adresser à la DIAC et Renault bail pour toutes opérations de crédit, à tenir à disposition de la Régie ses comptes d'exploitation, à mettre en œuvre les injonctions de ses conseillers de gestion. Ceci caractérise une situation de dépendance matérialisée encore par la réalisation de 97 % du chiffre d'affaires avec Renault.
La filiale financière Cogera assurait à la société un encours de 45 jours pour les voitures neuves et de 90 jours pour les pièces de rechange.
La politique de stabilisation sélective du réseau, a consisté à partir de 1984, à sacrifier les concessionnaires déficitaires, en raison de la baisse des ventes par rapport aux prévisions.
Le crédit fournisseur pour les voitures neuves a été retiré le 1er mars 1985 et pour les pièces détachées le 1er juin. Le 10 juillet Renault a décidé de ne livrer que contre chèque certifié.
Le contrat avait été renouvelé pour deux ans le 1er janvier 1984.
Après le règlement judiciaire du 17 juillet et la continuation d'exploitation autorisée, la Régie a résilié le contrat le 22, malgré assurances verbales en sens contraire à Rambour.
Le 24, elle a pris possession du secteur concédé, transféré à sa succursale d'Angoulême.
Après étude du marché, ayant pu établir une prévision de bénéfices, Rambour a notifié le 3 septembre sa décision de poursuite du contrat, qui s'est heurtée à un refus.
La Régie ne peut se prévaloir du caractère intuitu personae du contrat pour refuser à un tiers le droit d'exploiter, le caractère d'ordre public de l'article L 38 anéantit cette objection.
La Régie ne peut pas davantage se prévaloir d'un accord verbal avec le syndic, du 22 juillet, sur la résiliation. Il ne pouvait être passé outre au formalisme de mise en demeure et préavis.
Il ne peut être reproché au syndic d'avoir tardé à faire connaître sa décision alors qu'il était dans le délai légal.
En fait, Deschemin, gérant, et Rambour, ont reçu des assurances du directeur de zone, Ravis, de poursuivre des relations après dépôt de bilan, ce qui a incité Deschemin à le déposer.
Si le syndic s'est fait autoriser à poursuivre l'exploitation, c'est à cause de cela.
Aucune carence de RDA ne justifiait la décision unilatérale du 22 juillet.
Le sérieux de la décision, prise par le syndic dans l'intérêt de la masse est manifeste. La Régie eût dû revenir sur la résiliation.
Le préjudice tient à la marge brute que la concession aurait donnée jusqu'au terme normal du contrat, augmenté d'un préavis d'un an, au profit tiré du transfert du parc, aux pertes sur la vente de voitures d'occasion et au fardeau des indemnités de licenciement.
Ils concluent à réformation, allocation de 9.065.030,00 F de dommages et intérêts, des intérêts des comptes courants des associés depuis le 1er janvier 1979, lesdites sommes portant intérêts compensatoires depuis le 28 juin 1986 à titre de supplément de dommages et intérêts, enfin à allocation de 60.000,00 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
La Régie Renault conclut ainsi :
Dès le 28 juin 1985, RDA reconnaissait par son gérant Deschemin, 3.300.000,00 F de dettes et son incapacité à poursuivre le contrat. Elle a elle-même produit pour 3.864.000,00 F La société n'avait plus de fonds de roulement depuis 1983 et était toujours en-dessous de ses prévisions de vente.
Il n'est pas sérieux de prétendre à des assurances de prolongation de relations. Il n'y a aucune preuve de manœuvres dolosives.
Dès le dépôt de bilan, le directeur de zone a manifesté son intention de mettre fin au contrat, sans susciter d'objections de Deschemin et du Syndic.
Ce dernier était si peu assuré de l'avenir qu'il a attendu un mois et demi pour se décider.
La lettre de résiliation du 22 juillet n'a entraîné de réaction du syndic qu'après les vacances, le 3 septembre.
Dans sa lettre, celui-ci ne précisait pas les modalités de paiement des arriérés et des fournitures.
Le préjudice prétendu est indémontrable. Il est impossible de dire que la concession aurait dégagé une marge brute, absente depuis trois ans.
Elle conclut à ce qu'il soit jugé que Rambour es-qualité n'a pas exercé son option conformément à la loi, faute de réagir au courrier lui notifiant résiliation, la rupture lui étant ainsi imputable.
Elle demande son déboutement et subsidiairement invoque l'absence de lien de causalité entre rupture et préjudice et défaut de preuve du préjudice.
Rambour ès-qualité, répond ainsi :
Les sommes dues par RDA ne représentaient que l'encours fournisseur, brutalement supprimé.
L'absence de fond de roulement est la conséquence du déclin de Renault, dont la politique irréaliste a entraîné depuis 1980 le maintien de structures inutiles.
Le dépôt de bilan facilitait la poursuite de l'exploitation.
A partir du moment où il avait annoncé qu'il poursuivait le contrat, il n'y avait aucun besoin de précisions supplémentaires. La contrepartie financière était connue et nécessairement fournie.
Il est inconvenant de mettre en doute les propos échangés qu'il atteste et que le Tribunal a rapportés après audition des époux Deschemin.
Il y a eu poursuite effective de l'activité, établissement d'un bilan prévisionnel.
La Régie a trompé ses partenaires et suscite leur ruine, pour les faire disparaître.
La perte de la concession a interdit tout concordat.
La Régie dépose à son tour les conclusions responsives suivantes :
Les véhicules sont en fait mis en dépôt chez le concessionnaire et payés au moment de la vente.
La baisse des ventes sur le plan national est indéniable mais n'a pas empêché la plupart des concessionnaires de subsister. La baisse de RDA a été nettement supérieure.
Dès 1983, il y a eu un déficit du fond de roulement qui a cru en 1984.
La situation devenait intolérable pour elle-même.
La lettre du 24 juillet confirmait "les mesures sur lesquelles nous nous sommes mis d'accord lors de notre entretien du 22 juillet dans votre bureau" ; quoique il y ait eu allusion claire à la résiliation, Rambour n'a pas répondu, ce qui est inadmissible et, sachant que la poursuite d'exploitation était impossible, a tenté de retourner la situation par sa lettre du 3 septembre.
Elle-même ne pouvait attendre, au risque d'assister à un effondrement total de son marché local.
Les précédentes juridictions qui ont statué ont eu conscience de la légitimité de sa position. C'est le syndic qui a commis un abus de droit.
Il y a d'autre part invraisemblance totale dans la prévision de profits.
Par conclusions responsives, Rambour expose que c'est la Régie qui a voulu une concession dans ce secteur à l'abandon. Elle a d'autre part soutenu des concessionnaires en position plus difficile et a accepté de signer l'avenant de 1985.
Les établissements de crédit CIOBP et BNP n'ont jamais de 1983 à juillet 1985 retiré leurs concours, à la différence de la Cogera. Il n'y a jamais eu d'incident avec la clientèle, l'insuffisance de trésorerie était très relative eu égard aux actifs immédiatement disponibles.
Tout prouve une intention de continuer l'exploitation et la lettre du 24 juillet contient des allégations fausses, par lesquelles Ravis essayait de fortifier sa position.
Le maintien de l'activité en septembre est patent comme la reprise immédiate par la Régie de 36 voitures neuves livrées aux clients par Angoulême.
DISCUSSION
Considérant que s'il est licite pour le concédant de se réserver une possibilité de résiliation sans mise en demeure ou préavis dans des cas extrêmes, une telle stipulation, appliquée à l'hypothèse du règlement judiciaire, est inopposable au syndic, auquel ne peut être dénié la faculté d'option d'ordre public qu'il tient de l'article L. 38, Loi de 1967;
Considérant que l'autorisation de poursuite d'activité donnée par le Juge-Commissaire, à la demande du syndic, laissait intacte cette faculté d'option ; qu'il convient d'écarter des débats toutes les allégations sur des promesses verbales ; que celles-ci remontent à une période où la Régie hésitait peut-être sur la conduite à tenir ; qu'en toute hypothèse, le syndic ne peut se constituer de titre à lui-même ;
Considérant que la lettre du concédant du 22 juillet à la RDA, fondant une résiliation immédiate sur une stipulation inopposable au syndic, n'entamait donc en rien les prérogatives légales de celui-ci ; que la lettre au syndic du 24 juillet par laquelle Ravis, directeur de zone de la Régie, "confirmait les mesures sur lesquelles nous nous sommes mis d'accord lors de notre entretien du 22 juillet dans votre bureau", organisait un régime transitoire qui, au moins jusqu'au 31 août, ménageait dans une large mesure les intérêts de la RDA ; qu'en terminant cette lettre ainsi : "nous acceptons à titre exceptionnel et transitoire les dispositions qui précèdent, pour ne pas entraîner une cessation trop brutale des activités de RDA sans que pour autant le principe de cessation de nos relations contractuelles en matière de concession soit remis en cause" la Régie maintenait donc unilatéralement sa position, mais ne prenait nullement acte d'une renonciation du syndic à son droit d'option ; qu'il ne saurait être déduit de ladite lettre un consentement sur la résiliation ; que l'accord, non démenti, ce qui exclut manœuvre dolosive du signataire, s'est limité au modus vivendi organisé, qui avait pour le syndic l'intérêt de lui ménager un délai d'examen et de délibération, sans compromettre sérieusement l'avenir, rien dans ce qui était prévu ne présentant un caractère irréversible ;
Considérant que le syndic a commis une faute en ne répondant pas à cette mise au point sur le champ de définir sa position ; qu'une équivoque s'est installée entre le concédant qui tenait la résiliation pour acquise, et son interlocuteur qui entendait étudier la conduite à tenir ; que toutefois ce silence ne peut être tenu pour une renonciation à un privilège légal ;
Considérant que, contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal, la relative complexité du problème posé légitimait un délai de réflexion ; qu'il ne peut être reproché au syndic une absence d'option immédiate, mais seulement un défaut de clarification qui a engendré le présent litige ; que le délai de 46 jours de délibération n'apparaît pas excessif en contemplation de la situation ; que l'option a été exercée à l'intérieur du délai de trois mois de poursuite de l'activité en cours et, ce qui est important, très peu de temps après la fin du mois d'août, où l'activité restait soutenue ; que le délai en cause n'apparaît pas avoir été générateur d'un préjudice pour la Régie, rien ne permettant de retenir que l'inertie de Rambour "ait rendu inéluctable un effondrement total du marché sur ce secteur" ;
Considérant en conséquence que c'est à bon droit que le syndic a écrit le 3 septembre : " Je vous demande l'exécution (du contrat), permettant d'en assurer la contrepartie " ; que la Régie avait l'obligation de s'incliner devant cette exigence expressément fondée sur l'article L. 38, sauf à formuler toutes les observations jugées opportunes ; qu'elle a adopté le parti fautif de refuser, sans de surcroît demander le moindre éclaircissement sur les prévisions du syndic pour s'en tenir à l'allégation non démontrée que celui-ci aurait ainsi opté de mauvaise foi, pour pouvoir arguer d'une rupture aux torts du concédant ; qu'il eut suffit, pour parvenir à cette démonstration, que la Régie reprenne les relations contractuelles, qu'elle eut été fondée à interrompre si RDA s'était révélée incapable de fournir ses contre prestations, ou encore en refusant un concordat jugé insuffisant ;
Considérant qu'il n'y a toutefois pas de preuve qu'en rompant à ses torts, la Régie ait agi de manière discriminatoire vis-à-vis de son concessionnaire de Royan, en en faisant, par élection, la victime d'une politique drastique de suppression d'un certain nombre de concessions, dans le but de renforcer la position des survivantes ; qu'il n'est pas fourni d'éléments de conviction à ce sujet ; qu'il est seulement clair que la Régie avait durci sa position et changé sa politique d'implantation, pour revenir sur ce plan à des pratiques moins ambitieuses, qui ont d'ailleurs abouti à un redressement ;
Considérant que l'évaluation du préjudice, qui s'analyse en une perte de chances de parvenir à restauration de l'équilibre, justifie une étude rétrospective des rapports des parties ; que la situation de la Régie Renault était florissante en 1979 ; qu'en 1980 elle détenait 40 % des parts du marché, ce qui l'a amenée à la création ex nihilo d'une concession à Royan où sa pénétration était anormalement faible, en application d'une stratégie nationale ; qu'il a fallu acquérir le terrain et construire ; que le coût de l'opération a été de 4.500.000 F ;
Considérant que les résultats de la RDA ont reflété la situation nationale de la Régie, qui s'est à peu près maintenue en 1981 et 1982, aux alentours de 39 % de pénétration, pour connaître ensuite une chute spectaculaire n'atteignant plus que 35 % en 1983, 31 % en 1984, 28,7 % en 1985 ; que de ce fait, elle n'a jamais pu, sans que cela puisse lui être imputé à faute, atteindre les objectifs envisagés en début d'année ;
Considérant que c'est ainsi que, conformément à un mouvement de reflux général, le chiffre d'affaires de la RDA est passé de 70 millions de francs avec bénéfice de 513.000 F en 1982 à 60 millions avec perte de 212.000 F en 1983, 50 millions avec perte de 783 000 F en 1984 ;
Considérant que la Régie, dont la propre position devenait difficile, a supprimé le crédit fournisseur de 45 jours le 1er mars 1985, sur les voitures neuves et début juin celui de 90 jours sur les pièces détachées, qu'elle a en contrepartie accordé une mise en dépôt des véhicules neufs, au lieu et place de la pré-immatriculation qui entraînait pour la RDA une charge génératrice d'agios ; que la consultation des éléments de comptabilité versés aux débats révèle, comme s'en plaignait à l'époque le directeur de RDA, que cet avantage était fort loin de balancer la ponction de trésorerie ainsi créée ; que la RDA était pratiquement contrainte de régler au comptant ses achats tandis qu'elle finançait ses propres agents sur 30 à 45 jours ; qu'elle s'est alors trouvée hors d'état de régler à l'échéance du 1er juillet les pièces détachées livrées au printemps, ce dont la direction de Bordeaux a tiré argument pour exiger paiement comptant par chèques certifiés, exigence conduisant au dépôt de bilan ; que l'évolution des comptes courants témoigne des difficultés profondes de trésorerie, pour cette mauvaise année succédant à une autre ; particulièrement sensible depuis décembre 1984, le solde débiteur dépassant le million en juillet 1985, en banque ;
Considérant que l'inexigibilité des dettes antérieures à la procédure collective et la disparition des agios eussent créé une situation permettant apparemment à la RDA, dans l'immédiat, de prolonger son activité et de régler à la Régie ses contre prestations ; qu'il n'est pas allégué que les banques en relation avec RDA aient avant le jugement déclaratif menacé de refuser leur soutien ; que le Tribunal a d'ailleurs prononcé redressement judiciaire en retenant que la situation n'était pas particulièrement obérée ;
Considérant que l'adoption d'un concordat restait aléatoire et soumise essentiellement au bon vouloir de la Régie dont il est permis de retenir, quoique l'état des créances n'ait pas été versé aux débats, qu'elle était le principal créancier ; que la survie de l'entreprise passait par une compression des frais généraux qui était envisagée dès le printemps 1985, par réduction notamment de 45 à 35 personnes de l'effectif, réduction autorisée par l'inspecteur du travail, selon la lettre du directeur de la RDA du 22 juin ; qu'elle dépendait surtout d'une reprise du marché pour la marque Renault ; que selon les renseignements fournis par le syndic, les coefficients de pénétration de 1986 et 1987 sont remontés de manière sensible, respectivement à 33,30 % et 32 %, dans une conjoncture économique générale également nettement plus favorable ; que ceci permet d'augurer d'une possibilité de survie assez sérieuse pour la RDA ;
Considérant que l'analyse du préjudice peut commencer par des constatations simples sur les conséquences immédiates de la rupture ; que 32 personnes ont été licenciées, contre seulement une dizaine dans le cas contraire, ce qui a créé une charge d'environ 150.000 F ; qu'il y a eu une perte sur la valeur de l'actif, comptabilisé 2.463.095 F, vendu 1.612.609 F, soit 850.486 F ; qu'il y a eu essentiellement perte de la clientèle, qui a été reprise arbitrairement au profit des concessions qui ont récupéré le territoire exploité par la RDA ;
Considérant que la valeur de la clientèle se calcule à partir du chiffre d'affaires des trois dernières années, en appliquant des coefficients de pondération suivant les branches d'activité voitures neuves, d'occasion, pièces, atelier et station ; que le syndic l'évalue à six millions de francs ; qu'il y ajoute la marge brute qui aurait été dégagée jusqu'au 31 décembre 1985, qu'il évalue à une somme proche de deux millions de francs ; qu'au total il estime le préjudice à neuf millions de francs ;
Considérant que la valeur de la clientèle était nécessairement spéculative, liée à un problème de rentabilité de son exploitation ; que cette difficulté est étroitement liée aux perspectives d'avenir de la RDA, si elle avait été maintenue comme concessionnaire, avec son absence de trésorerie, son découvert vis-à-vis du concédant et des banques, ses dettes en compte courant proches de 1.300.000 F ;
Considérant qu'il n'est pas sérieux de faire état comme le voudrait le syndic, d'un stock immédiatement réalisable de véhicules et de créances sur client, représentant au total 6.680.000,00 F ; que la caractéristique d'un tel commerce, qui ne permet pas d'intégrer le stock intégral dans un ratio de trésorerie, est la lenteur d'écoulement de ce stock, particulièrement en matière de voitures d'occasion ;
Considérant que la Cour possède les éléments suffisants pour apprécier à la somme de deux millions de francs la perte de chances que la Régie devra prendre en charge, dont partie lui reviendra au surplus au titre de la distribution de dividendes de liquidation de biens ;
Considérant qu'il y a lieu de mettre les dépens à la charge de la Régie et qu'il est équitable d'allouer à Rambour ès-qualité 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC
Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Vu l'arrêt de la Cour de Cassation du 29 mai 1990, Fait droit à l'appel de Rambour ès-qualité, Réforme le jugement déféré, Condamne la Régie Nationale des Usines Renault à verser à Rambour ès-qualité, la somme de deux millions de francs et indemnité de cinquante mille francs. Condamne la Régie Nationale des Usines Renault aux entiers dépens et autorise la SCP Lissarrague et Dupuis, avoués, à recouvrer ceux d''appel conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.