CA Paris, 5e ch. B, 17 janvier 1992, n° 90-14408
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
MCB Bureautique (Sté)
Défendeur :
Fax Rhonalp (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Serre
Conseillers :
Mme Garnier, M. Bouche
Avoués :
Me Valdelièvre, SCP Gaultier-Kistner
Avocats :
Mes Richaud, Toulouse, Marec, SCP Haenig.
La société MCB Bureautique a consenti le 5 octobre 1989 par deux contrats à M. Eric Richard, pour la société Fax Rhonalp en cours de constitution, une franchise d'exploitation exclusive dans huit départements français des matériels de télécopie de la marque Faxland ;
En raison de difficultés se rapportant à la conformité du matériel franchisé et aux conditions de livraison et de vente, dès le 2 mars 1990 la société Fax Rhonalp a assigné son franchiseur en résiliation des contrats à ses torts ;
Par jugement du 7 mai 1990 assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de Commerce de Paris a fait droit à ses demandes, prononçant la résiliation des contrats aux torts de Faxland MCB, et la condamnant à payer au franchisé 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; il a sursis à statuer sur les dommages-intérêts réclamés et a confié à Mme Rausch Chalvignac une expertise aux frais de 20 000 F avancés par MCB, pour évaluer le préjudice subi par la société Fax Rhonalp et faire les comptes entre les parties, et a condamné MCB aux dépens.
C'est de ce jugement que la société MCB Bureautique est régulièrement appelante.
La société MCB Bureautique conteste les moyens soutenus par son adversaire et admis par le Tribunal, à savoir une absence de compétence professionnelle du franchisé et sa méconnaissance de la double diffusion de matériels agréés et de matériels non agréés par l'administration des télécommunications ; elle invoque même la turpitude de son franchisé qui a vendu sans problème tous les matériels commandés, agréés et non agréés, lui reprochant au contraire comme en première instance d'avoir violé le contrat en proposant à un autre franchisé de Clermont-Ferrand du matériel non agréé sur le secteur de Grenoble et d'avoir omis de lui adresser régulièrement son chiffre d'affaires ; l'appelante conclut à la résiliation de la franchise à ses torts, et à sa condamnation conforme au contrat de 3 % du chiffre d'affaires hors taxes à titre de redevance avec intérêt conventionnel ;
MCB demande en outre à son adversaire 177 900 F, montant de factures impayées, 100 000 F de dommages-intérêts sauf à parfaire, la cessation immédiate d'exploitation de la marque Faxland, sous astreinte quotidienne de 1 000 F à dater de l'arrêt à intervenir, enfin l'indemnisation de ses frais irrépétibles de défense par une somme de 30 000 F.
Mêlant à ces prétentions un moyen tiré de l'action actuellement engagée devant le Conseil d'Etat en annulation du décret du 5 janvier 1990 sur l'agrément, pour non-conformité aux directives communautaires de la CEE, la société MCB sollicite par ailleurs le sursis à statuer dans l'attente de l'issue de cette procédure administrative ;
La société Fax Rhonalp SA, constituée pour l'exploitation de la franchise et en cours de dissolution amiable, s'est engagée à ne distribuer que les matériels exclusivement réservés par son franchiseur dans huit départements du Sud-Est - Région Rhône et Alpes de la France. Se disant dès le début de son activité victime de difficultés d'approvisionnement et de garantie imputables à sa co-contractante, et n'ayant découvert qu'après signature des conventions la dualité du matériel acheté, l'intimée déclare avoir immédiatement réagi, dès l'avertissement reçu le 15 janvier 1990 par circulaire de l'Administration des Postes et Télécommunications sur sa signature de contrevenante, en retirant de la vente les télécopieurs et accessoires non agréés, et avoir dû agir en justice en raison du silence opposé par MCB Bureautique à ses questions.
L'intimée s'oppose au sursis à statuer, demande la confirmation du jugement, et l'expert ayant déposé son rapport le 16 octobre 1990, la condamnation de son adversaire, sur évocation par la Cour, à lui verser 900 000 F de dommages-intérêts et 2 180,77 F pour solde de comptes, conformément aux estimations de Mme Rausch Chalvignac ; elle ajoute à ses prétentions une somme de 100 000 F pour préjudice commercial et moral, et 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La société MCB réplique à son adversaire par la production d'un courrier de son autre franchisé BG-Distribution daté du 12 février 1990 et relatant l'offre de Fax Rhonalp de rachat d'un secteur pour la commercialisation du matériel non agréé, ce qui prouverait la préméditation de M. Richard dans la rupture de la franchise.
Enfin, remettant en cause le jugement, l'appelante s'oppose à l'évocation sur le préjudice.
Motifs de la Cour :
Considérant qu'en préambule peut être écarté l'argument invoqué par le franchiseur d'une parfaite compétence technique de son co-contractant en matière d'agrément de télécopieurs ; qu'en effet contrairement à ce qu'il en déduit, le curriculum vitae de M. Eric Richard, sa formation d'économiste et son expérience professionnelle chez IBM ne laissent pas apparaître cette compétence dans le domaine très spécialisé objet des contrats de franchise ;
Que de même n'est pas susceptible de valider ces contrats, ou d'en obliger l'exécution, l'offre faite par MCB de ne livrer désormais à son franchisé que des matériels agréés ; que l'économie générale des contrats en serait en effet sérieusement modifiée et les perspectives de la nouvelle SA Fax Rhonalp bouleversées par la réduction du nombre des matériels désormais offerts à sa clientèle ;
Considérant que l'appelante invoque encore, pour voir prononcer la résiliation de la franchise aux torts de son co-contractant, la seule infraction commise, selon elle, à l'exclusivité et sa volonté en sous-main de tirer parti du retrait des matériels non agréés en les sous-traitant à un autre franchisé de Clermont-Ferrand ;
Que l'obligation de ce dernier, qualifiée par Fax Rhonalp de diffamatoire et susceptible de plainte pénale (cette plainte n'ayant pas été encore déposée à ce jour...) ne saurait suffire pour preuve du comportement fautif de l'intimée ; qu'en toute hypothèse, la lettre de ce franchisé invoquée par MCB date du 12 février 1990, postérieurement à la décision prise par M. Richard de mettre fin au contrat de franchise.
Considérant que la société MCB, sans établir ni hiérarchie, ni progression dans les moyens invoqués à l'appui de son appel, demande encore le sursis à statuer ; que cette prétention se fonde sur son recours administratif introduit contre le décret du 4 janvier 1990 soumettant à l'agrément préalable de l'administration les télécopieurs présentés à la vente en France, et en cas de son annulation, sur un retour à la réglementation du 11 juillet 1985 et du 31 décembre 1989, elle-même considérée comme une entrave à la concurrence et au progrès technique contraire au Traité de Rome et à la Directive de la Commission du 16 mai 1988 ;
Mais considérant que, quelque soit l'issue du procès administratif, il n'en demeure pas moins qu'en l'état les atteintes aux obligations contractuelles et une méconnaissance prouvée de leurs souscripteurs sur la portée des engagements suffisent à fonder la résiliation de la franchise ; qu'il n'y a pas lieu de surseoir sur les responsabilités dans la rupture des relations contractuelles ;
Or, considérant qu'en vertu des dispositions de l'article 5.5.5 du contrat de franchise, le franchisé doit disposer en permanence d'un stock minimum de matériels correspondant à l'assortiment de base défini par le franchiseur, sans qu'en contrepartie de cette obligation ce dernier ait cru devoir différencier ceux qui sont agréés et ceux qui ne le sont pas ; que bien plus, à supposer qu'au vu des factures éditées par Faxland dès décembre 1989 à l'adresse de son franchisé et précisant pour certains " matériel non agréé ", la société Fax Rhonalp n'ait plus été habilitée à invoquer son ignorance sur l'existence de deux catégories de produits confiés à son commerce, il n'en demeure pas moins qu'aucune preuve n'est produite par le franchiseur d'une information sur la portée juridique de ces catégories qui n'apparaissent même pas dans la convention du 5 octobre 1989 ;
Qu'il appartient à la société Faxland MCB d'informer son distributeur de l'éventualité de poursuites pénales en cas de ventes sur le marché intérieur de télécopies non agréées ne pouvant se diffuser qu'à l'exportation ; qu'au contraire, en signalant dans son dossier de présentation à ses futurs distributeurs l'existence d'un réseau parallèle d'importation toléré par les autorités, elle a entretenu chez eux l'illusion d'une tolérance démentie par l'avertissement de l'administration diffusé en janvier 1990 ;
Qu'en proposant par la suite à la société Fax Rhonalp de réduire son activité à la commercialisation des seuls matériels agréés, elle l'engageait à remettre totalement en cause l'économie globale de la franchise; Qu'en outre M. Richard apporte des justifications de mauvaises livraisons et de décalage entre les garanties réelles et celles publicitaires; que l'intimée était donc fondée à résilier le contrat aux torts de son co-contractant;
Considérant qu'il y a lieu dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice et par application de l'article 568 du nouveau code de procédure civile d'évoquer le contentieux sur les conséquences pécuniaires de cette rupture, et de procéder à une analyse du rapport d'expertise d'octobre 1990 ;
Que l'expert Mme Rausch relève un certain nombre de dépenses engagées par le franchisé, tant par le versement d'un droit d'entrée de 250 000 F par agence (soit 500 000 F pour les deux agences de Lyon et de Grenoble), que par les locations, les campagnes publicitaires et l'engagement de personnel (soit 147 796,31 F et 200 759 F) ; qu'une confrontation a été établie par ailleurs entre le compte d'exploitation prévisionnel fourni par MCB à son futur franchisé, et les résultats de ce dernier pendant les quatre mois d'activité, l'étude de faisabilité laissant prévoir une amélioration de ces résultats sur un an ; que cependant, taxant M. Richard d'une certaine naïveté pour n'avoir pas vérifié préalablement à la signature de la franchise le bien fondé des prévisions excessivement optimistes de MCB (1 186 000 F brut avant impôt, pour un chiffre d'affaires de 7,2 MF), l'expert a limité à 7 % du chiffre d'affaires le profit possible sur quatre mois ; soit 41 020 F ;
Considérant que la modération de ces conclusions autorise la Cour à les entériner et à allouer à M. Richard 900 000 F sans qu'il y ait lieu d'y ajouter des dommages-intérêts pour un préjudice moral ou commercial supplémentaire non prouvé ; qu'en revanche les comptes entre les parties font apparaître un solde créditeur pour le franchisé de 42 180,77 F ;
Considérant que l'équité permet l'indemnisation en appel, outre celle déjà accordée par le Tribunal, des frais irrépétibles exposés par la société Fax Rhonalp ;
Par ces motifs : Confirme le jugement du 7 mai 1990 en toutes ses dispositions ; Vu l'article 568 du nouveau code de procédure civile, et faisant droit à la demande d'évocation de la société Fax Rhonalp ; Entérine les conclusions du rapport d'expertise de Mme Rausch ; Condamne en conséquence la société MCB Bureautique à verser à la société Fax Rhonalp 900 000 F de dommages-intérêts pour préjudice matériel, 2 181,77 F pour solde de tous comptes et 8 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Déboute l'intimée du surplus de ses demandes ; Condamne la société MCB Bureautique aux dépens, comprenant les frais d'expertise ; Reconnaît à la société civile professionnelle d'avoués Gaultier le droit de recouvrement direct contre elle dans les conditions prévues par l'article 699 du nouveau code de procédure civile.