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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 27 janvier 1992, n° 1852-91

REIMS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Ford France (SA)

Défendeur :

Dargent (ès qual.), Morange (ès qual.), Hall Automobiles (SA), Polyloc (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Spiteri

Conseillers :

M. Raffejeaud, Mme Olivier

Avoués :

SCP Six-Guillaume, SCP Chalicarne-Delvincourt, SCP Genet-Braibant

Avocats :

Mes Neret, Haumesser, Colmar.

T. com. Chalons-sur-Marne, prés., du 13 …

13 juin 1991

LA COUR,

La société Ford France a mis en place un programme dit " Stratégie loueurs courte durée " destiné à permettre l'acquisition auprès de ses concessionnaires, par des loueurs professionnels, de véhicules à prix réduit, moyennant l'engagement de ces loueurs de mettre les véhicules en location pour une durée minimale de six mois.

La société Hall Automobiles, concessionnaire Ford à Chalons-Sur-Marne, a passé commande en avril et mai 1991 de 50 véhicules à des conditions préférentielles, en précisant que ces commandes étaient destinées à la société Polyloc, loueur professionnel.

La société Ford France a livré une partie de ces véhicules à la société Hall Automobiles, puis, après avoir appris qu'ils étaient livrés, non pas à la société Polyloc, mais à la société MLI, revendeur étranger à son réseau qui les commercialisait, elle a interrompu la livraison des véhicules commandés.

Sur assignation de Mes Dargent et Morange, respectivement administrateur et représentant des créanciers du redressement judiciaire de la société Hall Automobiles, le Président du Tribunal de commerce de Chalons-Sur-Marne a, par ordonnance en date du 13 juin 1991, ordonné à la société Ford France la livraison sous astreinte de 10.000 F par jour de retard de la totalité des véhicules commandés par la société Hall Automobiles avant le 27 mai 1991 et condamné la société Ford France au paiement de la somme de 10.000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Ford France a interjeté appel de cette décision le 21 juin 1991.

Parallèlement, la société Polyloc a assigné la société Ford France aux même fins devant le Président du Tribunal de commerce de Nanterre.

Par ordonnance en date du 25 juin 1991, ce magistrat, constatant la connexité, a renvoyé les parties devant la Cour de céans.

Autorisée par ordonnance du Premier Président en date du 2 juillet 1991, la société Ford France a assigné la société Hall Automobiles, Me Dargent, Me Morange et la société Polyloc pour l'audience du 11 décembre 1991.

Après renvoi, l'affaire a été plaidée à l'audience du 3 janvier 1992.

La société Ford France conclut à l'irrecevabilité de la demande de livraison formulée par la société Hall Automobiles pour défaut d'intérêt à agir, au motif qu'elle a aujourd'hui cessé toute activité et ne survit plus que pour les besoins de sa liquidation.

Elle s'oppose subsidiairement à la demande de la société Hall Automobiles en raison de la violation par elle de ses obligations contractuelles et demande qu'au contraire, il lui soit fait interdiction de revendre à la société Polyloc ou à toute autre société de négoce automobile les véhicules livrés dans le cadre du programme " stratégie loueurs ".

Elle demande acte de ce qu'elle s'engage à livrer les véhicules commandés antérieurement au 27 mai 1991 et non concernés par ce programme.

Elle sollicite enfin le paiement d'une somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Concernant l'intervention de la société Polyloc, elle conclut à son irrecevabilité à défaut pour celle-ci d'indiquer un domicile qui ne soit pas fictif.

Subsidiairement, elle s'oppose à sa demande en l'absence d'un lien de droit entre elles.

La société Hall Automobiles conteste avoir violé ses obligations contractuelles et considère que les véhicules ayant été réglés, devaient être livrés.

Elle conclut à la confirmation de la décision déférée et sollicite, en outre, une somme de 10.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Polyloc demande la jonction des procédures.

Elle précise que son siège social se situe 1 rue des Boulangers à Ribeauville (Haut-Rhin) et qu'elle dispose d'un établissement secondaire à Chalons-Sur-Marne, 25 rue du Général Jansen.

Elle réclame la livraison par la société Ford France et Hall Automobiles de neuf véhicules qu'elle a payés, et ce, sous astreinte de 1.000 F par jour de retard.

Elle sollicite, en outre, la condamnation de la société Ford France à lui payer une somme de 4.500 F à titre de provision à valoir sur son préjudice commercial, ainsi qu'une somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce,

En la forme,

Attendu qu'il est dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice que les procédures enrôlées sous les numéros 1763 et 1852 de l'année 1990 soient jointes ;

Sur la recevabilité des demandes de Hall Automobiles,

Attendu que dès lors que la société Polyloc poursuit à son encontre la livraison des véhicules commandés, la société Hall Automobiles est elle-même recevable à agir à l'encontre de la société Ford France ;

Sur la recevabilité de l'intervention de Polyloc,

Attendu que la société Polyloc indique dans ses dernières écritures avoir son siège social 1 rue des Boulangers à Ribeauville ;

Attendu qu'il ressort de ses statuts qu'elle est domiciliée à cette adresse, au domicile personnel d'un de ses associés, M. Loïc Corlay ;

Attendu que la réalité de cette adresse a été constatée le 23 mai 1991 par Me Mangeot, huissier de justice ;

Attendu qu'en conséquence, l'intervention de la société Polyloc est recevable ;

Sur la livraison des véhicules

Attendu que la société Ford France a vendu à la société Hall Automobiles des véhicules dans le cadre de son programme " stratégie loueurs " ;

Attendu que la condition essentielle de ces ventes était que les reventes fussent effectuées au profit d'un loueur professionnel, dont en l'espèce il était précisé qu'il s'agirait de la société Polyloc;

Or, attendu qu'il est établi par les bons des transporteurs Sotra et Savary, ainsi que par les procès-verbaux de constat de Me Schaming, huissier de justice à Colmar, des 13, 22 et 24 avril 1991 que les véhicules livrés par la société Ford France ont été en fait revendus à la société MLI, laquelle aux termes de ses statuts exerce une activité de négoce de véhicules automobiles et non pas de louage;

Que d'autre part, la société Polyloc, inscrite au registre du commerce seulement le 11 mars 1991, ne justifie d'aucune activité réelle ; que le siège social qu'elle indiquait dans son assignation devant le Président du Tribunal de commerce de Nanterre était faux ; que l'établissement secondaire qu'elle prétend toujours posséder à Chalons-Sur-Marne est également fictif, ainsi que cela ressort d'un procès-verbal de constat de Me Durand, huissier de justice associé à Chalons-Sur-Marne, en date du 24 mai 1991 ;

Qu'enfin, il convient de noter que ses associés sont les mêmes que ceux de la société MLI ;

Qu'en conséquence, le refus de la société Ford France de livrer des véhicules acquis dans des conditions pour le moins discutables n'est pas manifestement illicite;

Attendu que la société Hall Automobiles et la société Polyloc seront déboutées de leur demandes ;

Sur les demandes de la société Ford France

Attendu que la société Hall Automobiles ayant cessé son activité et n'étant plus en possession de véhicules litigieux, la demande tendant à ce qu'il lui soit fait interdiction de les revendre est sans objet ;

Attendu qu'il paraît inéquitable de laisser à la charge de la société Ford France la totalité des sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens ; qu'il lui sera alloué de ce chef une somme de 3.000 F

Par ces motifs, Ordonne la jonction des procédures enrôlées sous les numéros 1763/90 et 1852/90 ; Infirme l'ordonnance entreprise ; Statuant à nouveau, Déboute la société Hall Automobiles et la société Polyloc de toutes leurs demandes ; Donne acte à la société Ford France de ce qu'elle s'engage à livrer les véhicules commandés par la société Hall Automobiles antérieurement au 27 mai 1991 et non concernés par le programme " stratégie loueur " ; Condamne la société Hall Automobiles assistée de Me Dargent et de Me Morange à payer à la société Ford France une somme de trois mille francs (3.000 F) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Dit que les dépens seront partagés par moitié entre la société Hall Automobiles assistée de Me Dargent et de Me Morange d'une part, et la société Polyloc d'autre part, et recouvrés par la SCP Six-Guillaume, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile ; Dit sans objet ou non fondées toutes autres demandes.