CA Colmar, 1re ch. civ., 29 janvier 1992, n° 2707-89
COLMAR
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Le Bristol (SARL)
Défendeur :
Dynam (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Wagner Fournier
Conseillers :
M. Vallens, Mme Goyet
Avocats :
Mes Perrad, Rosenblieh, Welschinger, Wiesel, Cahn, Levy, Bergmann, d'Ambra, Boucon, Rouach.
Par contrat du 29 mai 1988 la SA Dynam a donné en location-gérance à la SARL Servit un fonds de commerce de meubles, textiles, vêtements et articles chaussants situé à Mulhouse 18, avenue de Colmar, moyennant une redevance mensuelle de 20 000 F comprenant le loyer mensuel hors taxe de 8 076,12 F revenant au propriétaire des murs.
La SARL Bristol, propriétaire des murs, a fait dresser le 9 juin 1988 un procès verbal d'huissier constatant que les vitrines du magasin de la société Dynam affichaient des inscriptions annonçant la liquidation totale et définitive du stock.
Par sommation interpellative du 26 août 1988, la SARL Bristol a fait connaître à la société Dynam qu'elle considérait l'acte passé avec la société Servit comme un contrat de sous-location ou de cession de bail déguisé et qu'elle allait réclamer une résiliation judiciaire du contrat car l'acte avait été passé en fraude de ses droits.
Par exploit d'huissier du 18 janvier 1989 dans le cadre de la procédure à jour fixe, la SARL Bristol a assigné la société Dynam et la société Servit en annulation de contrat de location-gérance, en résiliation judiciaire du bail liant la SARL Bristol et la SA Dynam et en évacuation des locaux par la société Servit considérée par elle comme occupant sans droit ni titre.
Les deux sociétés ont conclu au débouté de la demande et ont réclamé des dommages-intérêts.
Par jugement du 27 avril 1989 le Tribunal de grande instance de Mulhouse a débouté la SARL Bristol de sa demande et l'a condamnée à payer une indemnité de procédure de 3 000 F à chaque défenderesse.
Les sociétés défenderesses ont été déboutées de leur demande reconventionnelle.
Le tribunal a considéré qu'on ne pouvait déduire de la liquidation par la société Dynam d'une partie de son stock qu'elle avait cessé d'exploiter le fonds en vertu du bail-tous commerces dont elle disposait et que l'exploitation avait été poursuivie par le locataire-gérant qui avait la faculté d'y adjoindre les activités que le titulaire aurait pu lui-même exercer puisque le bail commercial le permettait.
Par déclaration reçue au greffe le 7 juillet 1989, la SARL Bristol a régulièrement interjeté appel à l'encontre de ce jugement.
Concluant à son infirmation elle demande à la Cour de :
- Dire et juger que l'acte qualifié de contrat de location-gérance passé par les parties adverses par devant Me Mendel, notaire, en date du 24 mai 1988, constitue en fait un acte de sous-location déguisé et l'annuler,
- Prononcer la résiliation judiciaire du bail commercial ayant lié la société appelante et la SA Dynam,
- Dire et juger que la SARL Servit est un occupant sans droit ni titre des locaux, propriété de la concluante, sis 18 avenue de Colmar à 68100 Mulhouse,
- Condamner la société Servit à évacuer les locaux,
- Condamner la SA Dynam et la SARL Servit à lui payer une somme de 50.000 F à titre de dommages et intérêts ainsi qu'à l'indemnité de procédure de 15 000 F.
Elle soutient que le contrat de location-gérance doit être considéré comme une sous-location déguisée passée à son insu parce que la société Dynam a liquidé son stock et qu'elle a reconnu que son successeur exercerait une autre activité, que le 1er septembre 1988 date d'entrée en vigueur du contrat de location-gérance la société Servit n'a trouvé ni clientèle ni achalandage du fonds et qu'elle exerce une toute autre activité ; que la jurisprudence admet que le contrat de gérance doit être requalifié lorsqu'aucun fonds n'est exploité, qu'aucune clientèle n'existe ou lorsque le bénéficiaire du contrat exerce un commerce différent et que le contrat ne mentionne ni matériel ni marchandise.
Elle fait encore valoir que les formalités de l'article 21 du décret du 30 septembre 1953 n'ont pas été respectées de sorte que le contrat de bail doit être résilié.
La société Dynam demande de confirmer le jugement entrepris et de condamner la SARL Le Bristol à payer une somme de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle rétorque que le contrat de bail l'autorisait à sous-louer ou à céder son droit au bail sans prévoir aucune formalité à la charge du preneur à l'égard du propriétaire, qu'en l'espèce c'est bien un contrat de location-gérance qui a été conclu car il n'est pas prouvé qu'elle avait cessé son activité lors de la passation du contrat de location-gérance.
Elle explique qu'elle était titulaire d'un contrat de franchise avec la société Musterring et que le franchiseur n'a pas voulu transférer la franchise au successeur de sorte qu'elle a dû liquider l'activité " Musterring " ; qu'elle a cependant poursuivi ses activités jusqu'au dernier jour et la société Servit exerce comme elle une activité de vente de petits meubles, luminaires, articles de décoration, tapis, meubles en rotin mais s'est adjoint d'autres secteurs.
Elle estime qu'il est impensable que la SARL Servit ait accepté de payer un loyer pour un contrat de location-gérance de 20 000 F alors qu'elle savait par le contrat que le bail pour les murs n'était que de l'ordre de 8 000 F.
Avant d'être mise en liquidation judiciaire au cours de la présente procédure, la société Servit a demandé de lui donner acte de ce qu'elle s'en remettait en justice en exposant qu'elle avait été victime des agissements de la société Dynam ; que le dirigeant M. Lichanski avait pris contact avec un de ses salariés M. Amar qui, se comportant en gérant de fait de la société Servit, avait entraîné celle-ci dans plusieurs affaires troubles et a été licencié pour ces motifs.
La société Servit précisait encore dans ses conclusions du 21 septembre 1990 que MM. Amar et Lichanski avaient négocié la cession du droit au bail du local commercial mais qu'ils avaient ensuite présenté à la signature de la gérante de la société Servit un contrat de location-gérance tout en continuant à entretenir la confusion entre l'acte signé et le projet initial puisqu'ils réclamaient à la société Servit sur la base de la vente du fonds de commerce une somme de 150 000 F dont ils accusaient réception en la baptisant de " caution ".
Elle ajoutait qu'elle même demandait dans une procédure parallèle, pendante devant la Cour, la résolution du contrat de location-gérance au motif qu'on ne pouvait donner en location un fonds de commerce qui n'existait plus.
Par jugement du Tribunal de grande instance de Strasbourg du 19 novembre 1990 la société Servit a été mise en liquidation judiciaire.
Maître Claus Gérard, liquidateur de la SARL Servit, mis en cause dans la présente procédure, demande de lui donner acte de ce que le fonds de commerce a été restitué le 31 janvier 1991 de sorte que de ce chef l'appel n'a plus d'objet et de débouter la SARL Le Bristol de sa demande de dommages et intérêts.
Il indique que le contrat de location-gérance a été résilié à la suite de la liquidation judiciaire de la société Servit et que les clefs ont été restituées par lui à la société Dynam le 30 janvier 1991 à la suite de la vente aux enchères du stock appartenant à la société Servit.
Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versées aux débats et les mémoires des parties auxquels la Cour se réfère pour plus ample exposé de leurs moyens ;
Attendu que la société Dynam est titulaire d'un contrat de bail de locaux commerciaux lui permettant d'exploiter " tous genres de commerces " à l'exception de quelques activités énumérées dans l'acte ;
Qu'il n'est cependant pas discuté qu'elle n'exerçait dans les lieux loués que la vente de meubles et accessoires notamment sous l'enseigne " Musterring "(cf. lettre du 13 septembre 1988 du conseil de la société Dynam) ;
Que par contrat de location-gérance du 24 mai 1988 elle a donné à bail à la société Servit pour une durée de six ans à compter du 1er septembre 1988 un fonds de meubles (radio, télévision, audiovisuel, textiles, vêtements et articles chaussants), comprenant :
a) l'enseigne, le nom commercial, la clientèle et l'achalandage y attachés,
b) le mobilier commercial et le matériel servant à l'exploitation dudit fonds,
c) le droit pour le temps qui reste à courir, au bail des lieux où il est exploité.
Que les parties convenaient dans ce contrat que le locataire-gérant était autorisé à changer l'enseigne ainsi que le nom commercial du fonds loué ;
Attendu qu'il résulte cependant des pièces versés aux débats qu'au mois de juin 1988 la société Dynam a procédé à la " liquidation totale et définitive de son stock " en annonçant sur des affichettes apposées sur les vitrines ainsi que sur le battant de la porte du magasin et destinés à la clientèle, que la société a pris une participation importante dans la société Le Tousalon à Mulhouse et a confié à d'autres la direction du magasin " pour y faire autre chose " ; que le texte de l'affiche se termine ainsi :
" Nous espérons vous revoir encore et toujours comme clients et amis dans nos nouvelles activités " ;
Qu'en procédant ainsi la société Dynam a manifesté clairement que non seulement elle ne comptait laisser aucun stock de marchandises au locataire-gérant mais qu'en outre elle entendait garder sa clientèle, son successeur dans le locaux devant avoir une autre activité commerciale que la sienne;
Attendu au surplus que l'expert-comptable de la société Dynam atteste que la société a cédé à la société Servit un ensemble d'aménagements, agencements et installations pour un prix global de 150 000 F ;
Que la somme de 150 000 F a été versée sous forme d'un chèque de 150 000 F émis par le notaire rédacteur de l'acte adressé le 22 septembre 1988 à la société Dynam " en règlement d'une partie du prix de cession de matériel et mobilier " ;
Attendu qu'il est constant enfin que la société Servit n'a pas repris la vente de meubles et a exercé une activité de solderie ;
Attendu qu'il apparaît dès lors au vu de ce qui précède qu'aucun des éléments du fonds de commerce de la société Dynam n'a été mis à la disposition de la société Servit à l'exception du droit au bail sur les locaux commerciaux;
Qu'en effet la société Servit a changé d'enseigne et de nom commercial ainsi qu'il était prévu dès l'origine dans l'acte du 24 mai 1988 ;
Que le mobilier commercial et le matériel servant à l'exploitation du fonds ont été vendus à la société Servit au prix de 150 000 F et il n'est pas allégué que ce montant aurait, par la suite, été imputé au fur et à mesure sur les redevances de location-gérance ;
Que le changement d'activité de la société Servit ne lui a pas permis de reprendre la clientèle attachée au fond, clientèle qui a d'ailleurs été invitée par la société Dynam à la suivre dans ses nouvelles activités au sein de la société Tousalon;
Que dans ces conditions le contrat de location ne pouvait plus porter que sur les locaux commerciaux et l'achalandage, les autres éléments du fonds de commerce étant vidés de toute substance;
Attendu que les explications données par la société Dynam au sujet de la liquidation du stock n'emportent pas la conviction et établissent au contraire que c'est un autre fonds que le sien que la société Servit a exploité dans les lieux ;
Que la société Dynam explique qu'elle était sous contrat de franchise Musterring et que le franchiseur n'a pas accepté de continuer le contrat avec le locataire-gérant, raison pour laquelle elle a liquidé le stock ; qu'elle ne prouve pas néanmoins qu'elle avait une autre activité commerciale que celle faisant l'objet du contrat de franchise, de sorte qu'il est établi que le fonds de commerce ne comprenait plus que le droit au bail;
Que le contrat du 24 mai 1988 ne pouvait plus dès lors avoir d'autre objet que la mise à disposition du locataire des locaux commerciaux et que la SARL Bristol propriétaire des locaux soutient à juste titre que ce contrat doit être requalifié en contrat de sous-location soumis aux dispositions de l'article 21 du décret du 30 septembre 1953;
Attendu que ce texte dispose que la sous-location est interdite sauf stipulation contraire du bail et qu'en cas de sous-location autorisée, le propriétaire est appelé à concourir à l'acte ;
Qu'en l'espèce la société Dynam était bien autorisée à sous-louer en vertu du contrat de bail, mais cette autorisation ne pouvait la dispenser de la formalité imposée par l'article 21, de sorte que le propriétaire aurait dû être présent ou appelé lors de la conclusion du contrat du 24 mai 1988;
Que le fait de ne pas avoir été appelé à concourir à l'acte a privé le propriétaire de la faculté prévue par l'alinéa 3 de l'article 21 d'exiger un loyer plus élevé lorsque le loyer de la sous-location est supérieur au prix de la location principale;
Qu'il aurait en effet pu demander en vertu de ce texte une augmentation correspondante du loyer de la location principale puisqu'en l'espèce la redevance mensuelle a été fixée à 20 000 F alors que le loyer principal n'était que de 8 076,12 francs ;
Attendu qu'il résulte de ce qui précède que les droits de la SARL Bristol ont été compromis par la qualification erronée de l'acte du 24 mai 1988 et que sa demande en résiliation du bail est justifiée par l'attitude de la société Dynam; que cette sanction est suffisante sans qu'il y ait lieu d'y ajouter les dommages-intérêts demandés par la société Bristol ;
Attendu qu'il est acquis aux débats que la société Servit a rendu les locaux à la société Dynam ;
Que les conclusions de la SARL Bristol à l'égard de cette société deviennent sans objet ;
Que d'autre part il n'est pas établi que la gérante de la société Servit ait eu conscience de frauder les droits du propriétaire en signant l'acte de location-gérance ;
Que la demande de dommages-intérêts formulée à son encontre sera donc rejetée ;
Attendu que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en faveur de l'appelante.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Après en avoir délibéré, Statuant à nouveau : Dit que l'acte du 24 mai 1988 qualifié de contrat de location-gérance constituait en réalité un contrat de sous-location déguisé, Prononce la résiliation judiciaire du contrat de bail commercial liant la SARL Bristol et la SA Dynam, Constate que les conclusions prises à l'encontre de la SARL Servit sont devenues sans objet, Déboute la SARL Bristol de ses demandes en dommages et intérêts et en indemnité de procédure, Condamne la société Dynam aux entiers dépens de première instance et d'appel.