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Décisions

CA Caen, 1re ch. civ. et com. sect. 1, 30 janvier 1992, n° 1257-90

CAEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Saint-Pierre (SCI)

Défendeur :

Lair

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Decomble

Conseillers :

M. Calle, Mme Varin

Avoués :

SCP Duhaze-Mosquet, SCP Dupas-Trautvetter-Ygouf

Avocats :

Mes Lemarinier, Bruneau de la Salle.

TGI Caen, du 17 mai 1990

17 mai 1990

Par acte du 1er février 1980, Madame Marcelle Debuisson épouse Lair a acquis de M. et Madame Yessourour le droit au bail portant sur un fonds de commerce situé 90 rue Saint-Pierre moyennant le prix de 250.000 F.

Par acte du 29 juin 1988 la SCI Saint-Pierre a délivré congé à Madame Lair pour le 1er janvier 1989 avec refus de renouvellement du bail et offre d'une indemnité d'éviction.

Par ordonnance du 8 septembre 1988 le Président du Tribunal de Grande Instance de Caen, statuant en référé, a désigné M. Billet en qualité d'expert afin de rechercher tous éléments utiles permettant de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction due à Madame Lair.

L'expert a déposé son rapport le 7 juin 1989.

Par acte d'huissier en date du 12 septembre 1989 Madame Lair a fait assigner la SCI Saint-Pierre afin d'obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 1.073.500 F au titre de l'indemnité d'éviction.

Par déclaration déposée au Greffe de la Cour d'appel le 28 mai 1990, la SCI Saint-Pierre est appelante du jugement rendu le 17 mai 1990 par le Tribunal de Grande Instance de Caen qui a condamné la SCI Saint-Pierre à payer à Madame Marcelle Debuisson veuve Lair la somme de 687.300 F, au titre de l'indemnité d'éviction qui lui est due à la suite du congé qui lui a été délivré le 29 juin 1988 ; a dit que cette somme porte intérêts au taux légal à compter de l'assignation ; a dit que Madame Marcelle Debuisson, veuve Lair sera tenue de libérer les lieux de sa personne et de tous occupants de son chef à compter du paiement de la SCI Saint-Pierre de l'indemnité d'éviction ; a dit que l'indemnité d'occupation due à compter du 1er janvier 1989 est égale au montant du loyer dû en application du bail ; a condamné la SCI Saint-Pierre à payer à Madame Marcelle Debuisson, veuve Lair la somme de 4.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; a rejeté les autres demandes ; et a condamné la SCI Saint-Pierre aux dépens.

Par conclusions des 26 septembre 1990 et 24 septembre 1991, la SCI Saint-Pierre, estimant que Madame Lair née Debuisson n'est pas titulaire de la propriété commerciale et n'a jamais exercé le moindre commerce à son compte dans le local en cause, demande de réformer le jugement dont appel ; de prononcer la nullité de la convention intervenue le 4 janvier 1980 par laquelle Madame Debuisson a donné le fonds de commerce du 90 rue Saint-Pierre à Caen en location-gérance à la SA Cafés Marc ; de dire et juger que Madame Debuisson est déchue des droits qu'elle aurait éventuellement pu tenir du décret du 30 septembre 1953 ; de dire et juger que Madame Debuisson est irrecevable et non fondée en son action ; de la débouter de sa demande d'indemnité d'éviction ; de dire et juger que Madame Debuisson est occupante sans droit ni titre depuis le 1er janvier 1989 ; de prononcer l'expulsion de Madame Debuisson tant d'elle-même que de tous occupants de son chef ; de dire et juger que faute par elle d'avoir libéré les lieux dans les huit jours du jugement à intervenir, elle sera tenue au paiement d'une astreinte de 200 F par jour de retard ; de dire et juger que Madame Debuisson est tenue, depuis le 1er janvier 1989 jusqu'au jour de la libération effective des lieux, au paiement d'une indemnité d'occupation d'un montant annuel égal au loyer qu'elle aurait dû acquitter en application du bail ; de la condamner à payer à la SCI Saint-Pierre la somme de 7.000 F par mois à compter du 1er janvier 1989 à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et injustifiée ; de la condamner à payer à la SCI Saint-Pierre la somme de 7.000 F en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; et de la condamner aux dépens de première instance et d'appel.

Par conclusions des 24 mai et 15 octobre 1991, Madame Debuisson veuve Lair, arguant du simple transfert du fonds exploité Boulevard Leclerc à Caen au local sis rue Saint-Pierre, demande de confirmer le jugement en ce qu'il lui a alloué le bénéfice de l'indemnité d'éviction ; de débouter la SCI Saint-Pierre de ses demandes, et, la recevant en son appel incident, de condamner la SCI Saint-Pierre à lui régler la somme de 1.073.500 F au titre de cette indemnité d'éviction, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation en date du 12 septembre 1989 ; de confirmer le jugement en ce qu'il a dit et jugé qu'elle sera tenue de libérer les lieux de sa personne et de tous occupants de son chef à compter du paiement par la SCI Saint-Pierre de l'indemnité d'éviction et en ce que l'indemnité d'occupation due à compter du 1er janvier 1989 est égale au montant du loyer dû en application du bail ; de condamner la SCI Saint-Pierre à lui payer une somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; et de la condamner aux entiers dépens.

La clôture a été prononcée le 29 octobre 1991.

Sur ce,

Attendu que les consorts Lenglart, alors propriétaires du local 90 rue Saint-Pierre à Caen, ont autorisé, par acte du 30 octobre 1979, les époux Yessourour à céder leur droit au bail commercial pour l'exercice d'un commerce de vente de Café-Thé ; que, par acte du 1er février 1980, Madame Debuisson épouse Lair a acquis des époux Yessourour le droit au bail portant sur le fonds en cause moyennant le prix de 250.000 F, avec effet rétroactif au 1er janvier 1980 ; que les 8 et 30 janvier 1987, la SCI Saint-Pierre, nouvelle propriétaire des lieux, et Madame Lair ont signé un avenant au bail fixant à 6.762 F le loyer, le bail étant de neuf années à compter du 1er janvier 1980 ;

Attendu que, par acte du 29 juin 1988, la SCI Saint-Pierre a délivré à Madame Lair congé pour le 1er janvier 1989 avec refus de renouvellement du bail et offre d'une indemnité d'éviction, à fixer par voie d'expertise ; qu'au cours des opérations d'expertise, il est apparu que Madame Lair n'exploitait pas personnellement le fonds, mais l'avait confié en location-gérance à la SA Cafés Marc ;

Attendu que les parties s'opposent sur l'application de l'article 4 de la loi du 20 mars 1956 pour savoir si Madame Lair peut bénéficier de l'indemnité d'éviction prévue au décret du 30 septembre 1953 ;

Attendu que l'article précité précise que les personnes physiques ou morales qui concèdent une location-gérance doivent avoir été commerçants ou artisans pendant sept années ou avoir exercé pendant une durée équivalente les fonctions de gérant ou de directeur commercial ou technique et avoir exploité pendant deux années au moins le fonds ou l'établissement artisanal mis en gérance ;

Attendu que la SCI Saint-Pierre estime que Madame Lair, n'ayant jamais exploité personnellement le fonds en cause, ne remplit pas la condition de deux années prévue par la loi ; qu'en conséquence le contrat de location-gérance est nul ; qu'à l'inverse, Madame Lair se prévaut d'un transfert de fonds, et non de l'ouverture d'un nouveau fonds, celui situé dans les locaux en cause étant la suite de celui qui était exploité Boulevard Leclerc ;

Attendu qu'il résulte des documents versés aux débats que Madame Lair est inscrite à son nom au registre du commerce pour l'activité de brûlerie, vente de cafés, confiserie, alimentation sédentaire et ambulante depuis le 20 janvier 1958 ; qu'elle a exploité, depuis le 23 juillet 1957, un fonds 118 Boulevard Leclerc à Caen ; qu'elle exploite depuis le 1er janvier 1968 un fonds 34 rue de Vaucelles à Caen, lequel constitue le principal établissement ; que son activité comporte un établissement secondaire dans le ressort, 90 rue Saint-Pierre à Caen, depuis le 1er février 1980, et un autre hors ressort à Brest depuis le 13 mai 1961 ; qu'elle a exploité personnellement sous l'enseigne " Brûleries de l'Ouest " jusqu'au 1er mai 1976, date à laquelle elle a consenti une location-gérance au profit de la SA Cafés Marc, tant sur l'établissement principal de la rue de Vaucelles que sur les établissements secondaires notamment à Caen, Boulevard Leclerc ;

Attendu qu'il résulte d'un avenant au bail de location-gérance du 4 janvier 1980 que Madame Lair a acquis un pas de porte à Caen, 90 rue Saint-Pierre, " en vue d'y transférer le fonds de commerce actuellement exploité à Caen, 118 Boulevard Leclerc, et donné en location-gérance à la Société Cafés Marc SA " ; que par cet acte, Madame Lair a donné en location-gérance à ladite société le fonds sis rue Saint-Pierre ;

Attendu que l'inscription modificative a été effectuée au registre du commerce le 19 mai 1980, avec mention du retrait du fonds du Boulevard Leclerc et la location-gérance du fonds de la rue Saint-Pierre " en remplacement de celui du 118 Boulevard Maréchal Leclerc " ;

Attendu que l'extrait du registre du commerce au nom de la SA Cafés Marc fait apparaître une date de commencement d'exploitation du 1er mai 1976, l'adresse du principal établissement 34 rue de Vaucelles à Caen et présente les autres établissements, notamment celui de la rue Saint-Pierre, comme secondaires ;

Attendu qu'il ressort de l'ensemble de ces pièces que l'activité en cause ne constitue qu'un seul fonds de commerce comprenant un établissement principal et des établissements secondaires; que le fonds sis rue Saint-Pierre n'est qu'un des établissements secondaires résultant du transfert du fonds du Boulevard Leclerc, sans déplacement de clientèle compte tenu de la proximité des deux établissements;

Attendu qu'en conséquence, Madame Lair a exploité personnellement le fonds de commerce pendant plusieurs années, de 1957 à 1976, l'établissement sis rue Saint-Pierre n'étant qu'un élément intégré à ce fonds de commerce par transfert; qu'elle disposait donc de la possibilité de le mettre en location-gérance;

Attendu qu'ainsi Madame Lair a droit à une indemnité d'éviction ;

Attendu que pour le montant de cette indemnité la Cour adopte les motifs du premier juge qui a retenu les chiffres fournis par l'expert pour l'évaluation de la valeur du pas de porte à 520.000 F, la valeur des aménagements à 45.000 F, le montant des frais de déménagement à 2.500 F, les frais et droits de mutation à 114.200 F et la réparation du trouble commercial à 56.000 F ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à Madame Lair la charge des sommes exposées par elle en appel et non comprises dans les dépens.

Par ces motifs : Déboute la SCI Saint-Pierre de toutes ses demandes, fins et conclusions ; Déboute Madame Debuisson épouse Lair de sa demande de réformation sur le montant de l'indemnité d'éviction ; Confirme, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 17 mai 1990 par le Tribunal de Grande Instance de Caen ; Condamne la SCI Saint-Pierre à verser à Madame Debuisson épouse Lair une somme de 4.000 F, en cause d'appel, en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne la SCI Saint-Pierre aux dépens de première instance et d'appel, et fait application des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit de la SCP Dupas-Trautvetter-Ygouf, avoués. Par arrêt en date du 30 avril 1992, la Cour rectifie l'arrêt comme suit : Dit que la mention " Arrêt du 23 janvier 1992 " sera remplacée par la mention " Arrêt du 30 janvier 1992 " ; Dit qu'il sera porté mention du présent dispositif sur l'arrêt en cause ; Laisse les dépens de la présente procédure en rectification au Trésor Public, avec application de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit de la SCP Duhaze-Mosquet, avoués. Par arrêt en date du 30 avril 1992, la Cour rectifie l'arrêt comme suit : - Ordonne la rectification de l'arrêt rendu le 30 janvier 1992 dans l'instance opposant la SCI Saint-Pierre à Madame Veuve Lair née Debuisson Marcelle ; - Dit que la mention " Arrêt du 23 janvier 1992 " sera remplacée par la mention " Arrêt du 30 janvier 1992 "; - Dit qu'il sera porté mention du présent dispositif sur l'arrêt en cause ; - Laisse les dépens de la présente procédure en rectification au Trésor Public, avec application de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit de la SCP Duhaze-Mosquet, avoués.