CA Paris, 5e ch. B, 6 février 1992, n° 90-18242
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
ITM France (SA), ITM Entreprises (SA), Scaex Inter Rhône Alpes (SA)
Défendeur :
Echallard (Consorts), Givors Distribution (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Serre
Conseillers :
M. Bouche, Mme Cabat
Avoués :
SCP Teytaud, SCP Gaultier Kistner
Avocats :
Mes Billet Coupon, Duffour.
LA COUR statue sur les appels formés à titre principal, d'une part par les sociétés ITM France, ITM Entreprises et Scaex Inter Rhône Alpes (Scaex) et d'autre part par la société Givors Distribution (Givors) et par M. Jean-Claude Echallard à l'encontre du jugement prononcé le 29 mai 1990 par le Tribunal de Commerce de Paris dans les circonstances suivantes.
Le 31 janvier 1984 Echallard a signé un contrat d'adhésion auprès de ITM Entreprises, celle-ci agissant tant en son nom personnel qu'au nom de ses filiales (notamment ITM France) et animant un groupe dont les activités essentielles s'exercent dans le secteur économique de la distribution sous le panonceau " Intermarché " ;
Le même jour, se présentant en qualité de président du conseil d'administration de Givors il a également souscrit un contrat de franchise avec ITM France pour la distribution des produits de cette société sous ledit panonceau ;
En préambule au contrat d'adhésion, il était indiqué que " l'adhérent a déjà pris, ou va prendre, l'initiative de créer une société anonyme qui sera liée au groupe...par un contrat de franchise " et que c'est à cette société que, compte tenu de la personnalité de son principal dirigeant, sera conféré le droit à l'utilisation du panonceau Intermarché : il était spécifié que les deux contrats étaient liés, l'adhérent reconnaissant que " le contrat (d'adhésion) n'aurait pas été conclu si l'autre (contrat de franchise) n'avait pas existé ".
L'article 4 du contrat d'adhésion stipulait en particulier après avoir à nouveau insisté sur l'importance de la personnalité de l'adhérent dans la conclusion du contrat de franchise, que " l'adhérent s'engage à aviser ITM Entreprises de tous les événements qui pourraient survenir dans la vie de la société qu'il dirige ou dirigera et notamment...changement du président du conseil d'administration ou de directeur général " ;
L'adhérent s'engageait également, sous le même article, à aviser ITM Entreprises de son intention éventuelle de céder tout ou partie de ses actions ainsi que des conditions de cession envisagées, reconnaissant à cette société un droit de " préemption " ;
Le 24 novembre 1988, près de 5 ans après, Echallard, qui entre temps par assemblée générale du 1er août 1984 avait été nommé président directeur général de Givors, a informé ITM Entreprises que la société Promodes lui avait offert d'acheter " mon affaire à hauteur de 7,5 MF " correspondant à une valeur du fonds de 7 752 000 F, précisant que la cession des actions de Givors était susceptible de se réaliser par l'intermédiaire de la société Canal Distribution qu'il détenait à 100 % et qui était propriétaire avec lui-même et sa famille de la totalité des actions de Givors ;
Le 6 décembre suivant ITM Entreprises répondait qu'elle entendait faire jouer son droit de préemption mais, contestant le prix indiqué, proposait d'ouvrir des négociations sur son montant et à défaut d'accord, de s'en remettre " à dire d'expert " selon la procédure fixée par le contrat.
Le 6 janvier 1989, ITM Entreprises offrait un prix de 5 100 000 F plus le résultat de l'exercice 1987, soit un prix global pour la totalité des actions, de 6 MF ;
Echallard n'a pas répondu à cette lettre et a cédé avec les autres actionnaires la totalité des actions de Givors à Promodes ;
Le 11 avril 1989 les deux sociétés ITM ont assigné Echallard et deux autres membres de sa famille, Jocelyne et Stéphane Echallard aux fins d'être déclarées propriétaires en vertu de leur droit de préemption des actions des sociétés Givors et Canal Distribution et de faire désigner un expert pour en déterminer le prix.
Le 27 septembre 1989 les deux sociétés ITM et Scaex ont d'autre part, assigné Givors pour la faire déclarer responsable de la rupture du contrat de franchise et condamner à leur payer la somme de 6 034 061 F, à titre de dommages intérêts ;
Par le jugement entrepris, le tribunal, après avoir joint les deux instances :
- a mis hors de cause Mme Jocelyne Echallard et M. Stéphane Echallard qui n'étaient pas liés par les conventions litigieuses ;
- a estimé que Jean-Claude Echallard n'était pas fondé à soutenir qu'étant sans pouvoir pour signer le contrat de franchise le 31 janvier 1984 au nom de Givors, ces conventions étaient inexistantes et qu'en raison des liens unissant l'ensemble des accords, le contrat d'adhésion était nul ;
- a retenu que le contrat de franchise, ayant été exécuté par Givors pendant 5 ans, avait été validé par cette application effective et prolongée et qu'ainsi la totalité des conventions étaient valables ;
- a jugé que le simple souhait d'actions était suffisant à assurer la cession et que les deux demanderesses ne pouvaient qu'être déboutées de leurs prétentions quant à la propriété des actions ; qu'en revanche, Echallard qui n'avait pas respecté l'intégralité de la procédure prévue par l'article 4 devait être condamné à leur payer une indemnité de 50 000 F ainsi que 10 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
- a décidé en ce qui concernait Givors que, compte tenu de l'importance attachée par les conventions à la personnalité de son président directeur général, la cession de ses actions par Echallard à Promodes a entraîné la rupture du contrat de franchise et que par suite Givors devait être condamnée à payer aux trois demanderesses la somme de 1 MF à titre de dommages intérêts ainsi que 5 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Le tribunal a, en outre, condamné Echallard et Givors à supporter les dépens par moitié.
La société ITM Entreprises souligne que le contrat d'adhésion lui réservait un droit de préférence et prévoyait en cas de désaccord sur le prix des actions, le recours à un collège d'experts ; que par suite, dès lors qu'elle avait manifesté sa décision de bénéficier de cette clause, Echallard et les autres actionnaires ne pouvaient valablement vendre leurs actions à Promodes ;
Elle prie en conséquence la Cour de réformer sur ce point le jugement entrepris, de la déclarer propriétaire des actions de Givors et de Canal Distribution, de désigner un expert pour en déterminer le prix et de condamner les consorts Echallard à lui payer 50 000 F à titre de dommages intérêts ;
Les deux sociétés ITM et Scaex approuvent le Tribunal d'avoir déclaré les conventions valables ; soutenant que celles-ci remplissent toutes les conditions de validité, elles prient la Cour de confirmer le jugement sur le principe de la responsabilité de Givors dans la rupture du contrat de franchise, mais de l'infirmer en ce qui concerne l'évaluation de leur préjudice en réparation duquel elles demandent une indemnité de 6 304 061 F sollicitant en outre la condamnation de cette société à leur payer 50 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
M. Jean-Claude Echallard fait valoir que ITM lui a offert d'acquérir les actions litigieuses à un prix volontairement inférieur à celui du marché et qu'il s'est trouvé en droit de conclure avec un tiers qui n'a, d'ailleurs pas été attrait dans la procédure ; qu'au surplus, l'ambiguïté des dispositions de l'article 4 en cause doit lui bénéficier ;
La société Givors soutient que ce dernier était sans pouvoir pour signer en son nom le 31 janvier 1984 le contrat de franchise et que cette convention qui est inconsistante n'est pas susceptible de ratification ;
Subsidiairement, elle souligne qu'à supposer que ce contrat lui soit opposable, aucune de ses dispositions ne lui imposaient d'avoir un président directeur général préalablement agréé par son franchiseur et que par suite la cause de rupture retenue par le tribunal n'est pas justifiée, alors au surplus qu'aucune mise en demeure ne lui a été faite ;
Elle soutient également, à titre de plus en plus subsidiaire :
Que le contrat de franchise est nul par application de l'article 2 du contrat d'adhésion ou en tout cas en raison des nombreuses dispositions du contrat de franchise qui la privaient de toute indépendance et initiative quant à la gestion de sa société, sa liberté d'approvisionnement, sa liberté de fixer les prix de ses marchandises pour lesquelles lui était imposé un prix maximum ;
Que les sociétés adverses n'apportent pas la preuve des dommages qu'elles prétendent avoir subi ;
Concluant à l'infirmation du jugement, elle prie la Cour de débouter ces dernières de leur demande formée à son encontre ;
Mme Jocelyne Echallard et M. Stéphane Echallard concluent à la confirmation du jugement qui les a mis hors de cause ;
Ces quatre dernières parties sollicitent en outre la condamnation des sociétés ITM Entreprises et Scaex à leur payer à chacune 50 000F à titre de dommages intérêts pour procédure abusive ; la société Givors demande, au surplus, la condamnation de ITM Entreprises à lui payer 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Sur ce,
Considérant que les deux instances d'appel qui concernent les mêmes parties et le même jugement doivent être jointes ;
Considérant sur le contrat d'adhésion que Jean-Claude Echallard n'en demande pas la nullité pour défaut de cause comme il l'avait soutenu devant le tribunal ;
Que l'article 4 de ce contrat qui reconnaît à ITM Entreprises un droit de " préemption ", prévoit en cas de désaccord sur le prix de cession des actions faisant l'objet de ce pacte, le recours à une procédure d'expertise " conformément à l'article 1592 du code civil " ; qu'il était stipulé que l'expert serait désigné d'un commun accord, qu'à défaut chacun choisirait le sien et qu'en cas de partage le tiers expert serait choisi par les deux premiers experts ou éventuellement par simple ordonnance ;
Qu'il est constant que Echallard et les autres actionnaires de Givors ont cédé leurs actions sans que ladite procédure ait été mise œuvre ;
Que si Mme Jocelyne Echallard et Stéphane Echallard qui ne sont pas liés par ces dispositions doivent être mis hors de cause, en revanche Jean-Claude Echallard a manqué à ses obligations ;
Que cet engagement ne peut s'analyser qu'en une obligation de faire et son inobservation, conformément à l'article 1142 du code civil, se résoudre en dommages intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur ;
Qu'ITM doit être déboutée de son action en revendication qu'elle a engagée sans mettre en cause le cessionnaire et sans lui imputer une collusion avec le cédant ;
Que toutefois la Cour a le pouvoir de substituer d'office une réparation en argent à l'exécution en nature seule demandée,
Que la faute d'Echallard a causé à ITM un préjudice qui, compte tenu des éléments produits notamment du prix offert par cette dernière et du prix indiqué comme ayant été obtenu de Promodes doit être évalué à 50 000F ;
Considérant que le contrat de franchise, qu'à juste titre le Tribunal a retenu qu'il avait été signé par Jean-Claude Echallard se présentant comme président du conseil d'administration de Givors ; que l'intéressé est également intervenu à ces conventions et les a signées en son nom personnel en qualité d'adhérent ;
Que pendant près de 5 ans cette société (dont il est nommé président directeur général le 1er août 1984 six mois après la conclusion des conventions) loin de s'y opposer, en a exécuté les dispositions sans aucune restriction ni réserve et en a tiré les avantages qui en avaient été escomptés ; qu'ainsi, elle a, sans la moindre équivoque, repris ces conventions à son compte et qu'elle est mal venue à soutenir, maintenant qu'elles sont inexistantes ou qu'elles ne lui sont pas opposables.
Considérant qu'à titre subsidiaire, elle conteste en avoir méconnu la portée, et à titre plus subsidiaire qu'elles sont nulles ;
Que la Cour estime devoir, à ce niveau de la discussion, examiner ce dernier moyen avant de vérifier ses éventuels manquements ; qu'il serait en effet contradictoire de prononcer la nullité des conventions dont préalablement les inobservations auraient été sanctionnées ;
Considérant que Givors ne précise pas le texte de loi auquel contreviendrait ledit contrat de franchise et en application duquel il encourrait la nullité ;
Que les clauses " contraignantes " dont elle fait état ne sont que la contrepartie de son droit à l'utilisation du panonceau Intermarché et des obligations souscrites en sa faveur par son franchiseur ; que d'ailleurs elle reconnaît dans son dossier que l'exploitation de son fonds a été prospère.
Qu'elle ne démontre ni l'inexistence du savoir-faire qui lui a été transmis, ni le caractère illicite de l'obligation d'approvisionnement exclusif auprès des filiales de son franchiseur (au demeurant tempérée par la faculté de s'adresser à la concurrence en établissant le manque de compétitivité de cette filiale dans la fourniture des produits de la marque) ;
Qu'elle ne démontre pas davantage en quoi ses obligations de respecter une politique du groupe en matière de prix de vente, ou l'obligation de recourir aux services comptables du groupe serait contraire à la loi, alors qu'il s'agit en l'espèce d'un contrat mettant à la charge des parties un ensemble complexe d'obligations de faire et de ne pas faire ;
Que son exception de nullité doit être rejetée ;
Considérant sur la responsabilité de la rupture, que l'interdépendance entre les deux contrats a été une des conditions impulsives et déterminantes ayant amené les parties à contracter; que dans le préambule du contrat de franchise il est fait état de l'importance de la personnalité de l'adhérent;
Que Jean-Claude Echallard a signé les deux contrats ; qu'il ne peut prétendre avoir ignoré en signant le contrat de franchise (même s'il a anticipé de 6 mois sur la prise d'effet effective de ses pouvoirs) les dispositions du contrat d'adhésion qui l'engageaient à titre personnel et qui en étaient inséparables ;
Que les relations entre les parties étaient triangulaires et qu'il est clair que, dans leur commune intention, ITM Entreprises ne voulait voir à la tête de Givors qu'un dirigeant lié à elle par un contrat d'adhésion ;
Qu'il est certain qu'en procédant sans l'accord du franchiseur à la cession, avec les autres actionnaires, de la totalité des actions constituant le capital social du franchisé, Jean-Claude Echallard qui perdait toutes chances de se maintenir à la direction de cette société, contrevenait aux conventions passées ; que le changement de composition du conseil d'administration était inévitable ; que cette cession a retiré toute raison d'être au contrat d'adhésion et ne pouvait que provoquer comme l'a justement relevé le tribunal, la résiliation du contrat de franchise avec lequel il formait un tout;
Que pour les besoins de sa démonstration, Givors ne saurait dissocier ses propres obligations de celles d'Echallard et les soumettre à un examen séparé ;
Qu'en cédant ses actions, au mépris du contrat d'adhésion, et en privant délibérément Givors d'une des conditions nécessaires à la poursuite du contrat de franchise, Echallard a engagé, en sa qualité de président directeur général la responsabilité de celle-ci;
Qu'à bon droit le Tribunal a imputé à cette dernière la responsabilité de la rupture,
Que compte tenu des éléments de la cause, le préjudice subi par les deux sociétés ITM et par la société Scaex, toutes trois parties audit contrat, doit être évalué à la somme de 1 million de F ;
Qu'aucun abus n'étant établi à leur charge, dans l'exercice de leur droit d'ester en justice, la demande d'indemnisation de ce chef des consorts Echallard et de Givors doit être rejetée ;
Que l'équité ne commande pas de faire application en cause d'appel de l'article 700 du nouveau code de procédure civile en plus des dispositions justement prises par le Tribunal à cet égard ;
Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges : Ordonne la jonction des instances inscrites au rôle général de la Cour sous les numéros 90 18242 et 90 18246 ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions et y ajoutant, Déboute la société Givors de son exception de nullité ; Déboute les consorts Echallard et la société Givors de leur demande d'indemnisation pour procédure abusive ; Déboute les parties de leur demande respective au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile pour l'instance d'appel ; Condamne Jean-Claude Echallard et la société Givors aux dépens d'appel et admet la société civile professionnelle Teytaud au bénéfice de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.