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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 17 février 1992, n° 90-15349

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pérennès

Défendeur :

Honda France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Canivet

Avocat général :

Me Delafaye

Conseillers :

Mlle Aubert, M. Guerin

Avoués :

SCP Roblin, SCP Fisselier, Chiloux, Boulay

Avocats :

Mes Threard, Deveau.

T. com. Paris, 10e ch., du 27 avr. 1990

27 avril 1990

LA COUR statue sur l'appel interjeté par M. Pierre Pérennès du jugement rendu le 27 avril 1990 par le Tribunal de Commerce de Paris (10e Chambre) qui l'a débouté de toutes ses demandes et l'a condamné à payer à la société Honda France la somme de 20 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

ELEMENTS DU LITIGE

M. Pérennès était depuis 1978, distributeur exclusif des véhicules automobiles Honda dans le secteur de Brest.

Pour se mettre en conformité avec le règlement n° 123-85 d'exemption par catégorie de la Commission des Communautés Européennes, Honda France concluait le 10 mars 1986, avec M. Pérennès un nouveau contrat de concession exclusive dont il était spécifié à l'article 31 qu'il était à durée indéterminée et qu'il pouvait être résilié moyennant un délai de préavis d'un an.

Depuis 1983, M. Pérennès vendait également des véhicules automobiles de marque Lancia en vertu d'un contrat de concession exclusive auquel il était mis fin en juillet 1987.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 10 mai 1988, Honda France informait M. Pérennès que n'étant pas satisfaite de son attitude et des résultats des ventes, elle entendait mettre fin au contrat en respectant le délai de préavis d'un an. Elle invoquait trois griefs : l'absence de vente des véhicules haut de gamme Legend, l'absence de participation à deux réunions d'information, le défaut de réalisation de la promesse d'aménagement de l'atelier.

M. Pérennès répondait le 17 mai 1988, en protestant contre cette mesure unilatérale et en faisant valoir l'inexactitude des motifs invoqués.

Le concessionnaire assignait le 5 avril 1989, Honda France à laquelle il reprochait d'avoir résilié le contrat pour des motifs fallacieux et inexacts, de mauvaise foi et avec intention de nuire, de ne pas justifier que son concessionnaire ne répondait plus aux qualités sélectives qu'elle attachait à la distribution de ses produits, de s'être rendue l'auteur d'un refus de vente sans pouvoir se prévaloir des dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. En conséquence, il demandait la condamnation de la défenderesse à lui verser la somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts provisionnels et 20 000 F en application de l'article 700 du NCPC, la désignation d'un expert pour déterminer son préjudice.

Le Tribunal rejetait dans le jugement frappé d'appel, la demande de M. Pérennès aux motifs que le concédant avait le droit de résilier le contrat à durée indéterminée, moyennant le respect du délai de préavis sans avoir à motiver sa décision et que cette résiliation n'était pas fautive et ne pouvait être analysée comme un refus de vente.

MOYENS DES PARTIES EN APPEL

M. Pérennès appelant, fait valoir que l'usage unilatéral d'une faculté de résiliation doit répondre à la bonne foi, que les motifs invoqués pour justifier la rupture sont inexacts et fallacieux et démontrent la volonté de Honda France de nuire à son concessionnaire. Il soutient que la notion de bonne foi doit être appréciée avec rigueur en ce qui concerne les contrats de concession exclusive qui, à la différence des autres contrats synallagmatiques impliquent la notion d'intérêt commun en ce sens qu'ils déroulent leurs effets sur une certaine période, que les parties au contrat ont la commune intention de mettre en œuvre les moyens destinés à créer et développer une clientèle attachée à la marque ainsi que d'assurer l'essor commun de leurs entreprises. Il prétend que la société concédante n'a pas justifié qu'elle avait désigné ses concessionnaires selon des critères objectifs appliqués de façon non discriminatoire, qu'elle n'établit pas que son exclusion, après une appartenance au réseau pendant dix ans et son remplacement par la société Standing Auto a été un facteur de progrès économique. Il conclut à l'infirmation du jugement afin que Honda France soit condamnée à lui verser 820 000 F de dommages-intérêts à titre provisionnel, 30 000 F en application de l'article 700 du NCPC et qu'un expert soit désigné pour fixer le préjudice définitif.

La société Honda France intimée, conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de M. Pérennès de lui verser la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Cela étant exposé,

LA COUR,

Considérant que l'article 31.1 du contrat de concession exclusive est ainsi rédigé : " Le présent contrat est conclu pour une durée indéterminée et pourra être résilié par chacune des parties, par lettre recommandée avec demande de réception adressée à l'autre partie, moyennant un délai de préavis d'au moins un an. " ;

que par sa lettre du 10 mai 1988, Honda France a fait part à M. Pérennès de son intention de mettre fin au contrat de concession exclusive à l'expiration du délai d'un an qui a été respecté ;

Considérant que le concédant a usé de son droit de résiliation en vertu d'une stipulation contractuelle conforme à la réglementation communautaire et à la jurisprudence française qui admet la résiliation unilatérale d'un contrat à durée indéterminée dans un délai raisonnable reconnu comme tel, s'agissant d'un délai de trois mois pour un contrat de concession exclusive ;

Considérant que si sans en indiquer les motifs, il est en droit de rompre le contrat à durée indéterminée, il doit le faire sans commettre d'abus et en respectant l'obligation générale de loyauté éditée par l'article 1134 alinéa 3 du Code civil ;

Considérant qu'en l'espèce, les trois griefs allégués dans la lettre de résiliation du 10 mai 1988 qui n'avaient fait l'objet au préalable d'aucune réclamation, sont établis qu'il s'agisse de l'absence de vente des véhicules du modèle Legend, de la non assistance aux réunions d'information ou du défaut de réalisation de la promesse d'aménagement de l'atelier ; qu'à leur propos, M. Pérennès a apporté des justifications et des correctifs qui en atténuent la portée ;

Considérant qu'en ce qui concerne l'insuffisance des ventes, il apparaît que si effectivement en 1986, M. Pérennès a demandé que l'objectif des ventes soit ramené de 70 à 50 véhicules étant donné la crise frappant le département du Finistère et la réduction du secteur concédé depuis 1985, les parties se sont mises d'accord les années suivantes pour un objectif de ventes de 60 véhicules qui a été dans l'ensemble respecté malgré les problèmes posés par les quotas d'importation des voitures japonaises et les délais de livraison ;

Considérant que M. Pérennès ne démontre pas en se fondant sur les difficultés de livraison à l'égard de deux clients ou sur l'obligation dans laquelle il s'est trouvé parfois de se fournir auprès d'autres concessionnaires que Honda France a voulu privilégier d'autres membres du réseau de distribution à son détriment ;

qu'il faut observer que la société concédante a pris la précaution par une lettre du 21 septembre 1987, de le mettre en garde contre le développement de ses investissements pour compenser la perte de la représentation de la marque Lancia auquel elle ne s'estimait pas en mesure de répondre étant donné la contrainte de limiter les ventes de véhicules Honda sur le territoire français ;

Considérant que si certains reproches sont exacts mais manquent de gravité, si d'autres sont partiellement exacts, ils ne révèlent cependant pas un usage abusif du droit de résilier le contrat par Honda France qui n'a pas eu un comportement malveillant ou désinvolte;

Considérant que selon l'article 30 du contrat de concession exclusive, " le concessionnaire exercera pour son compte et à ses frais, à ses risques et périls et en son nom propre ", qu'il est stipulé que " toute notion de mandat d'intérêt commun est formellement exclue du présent contrat " ; que le tribunal souligne à juste titre que la notion d'intérêt commun n'a pas de contenu juridique en dehors du mandat auquel le contrat interdit de se référer ;

Considérant que le recours à cette notion ne saurait faire obstacle à la rupture exempte de mauvaise foi, d'un contrat de concession exclusive à durée indéterminée après un préavis d'un an, dans le respect des règles issues du droit communautaire et national ainsi que des stipulations contractuelles librement consenties par les parties; que le délai de préavis d'un an donne une sécurité au concessionnaire qui se trouve en situation de dépendance économique à l'égard du concédant car il lui permet d'anticiper et de pallier les conséquences de la rupture ;

Considérant que le refus de poursuivre un contrat de concession exclusive qui étant à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'une ou l'autre des parties ne peut être qualifié de refus de vente et n'a pas à être justifié en fonction de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que s'agissant d'un contrat de concession exclusive caractérisé par la reconnaissance à chacun des distributeurs d'un droit de vente exclusif sur son territoire, l'accès au réseau, comme son exclusion, ne sauraient dépendre de la seule conformité à des critères objectifs ;

qu'en l'occurrence, M. Pérennès ne peut soutenir qu'en l'excluant du réseau alors qu'il n'avait pas entièrement respecté ses obligations et en le remplaçant par un autre concessionnaire automobile, le concédant s'est rendu coupable de pratiques discriminatoires ;

Considérant que Honda France étant autorisée au terme de stipulations contractuelles licites au regard du droit de la concurrence de changer de concessionnaire après avoir respecté un délai de préavis, elle n'a pas à justifier que ce changement a pour effet d'assurer un progrès économique ou qu'il en résulte pour l'utilisateur une part équitable de profit ;

Considérant que M. Pérennès ne démontre pas que son remplacement par la société Standing Auto s'est faite dans des conditions abusives ou en méconnaissant l'obligation de loyauté ;

que si comme le prétend M. Pérennès, Honda France s'est trompée dans le choix de ce concessionnaire qui n'avait pas une situation financière fiable et n'a pas pu se maintenir, cette erreur d'appréciation ne remet pas en cause les conditions normales dans lesquelles s'est passé son remplacement ;

Considérant que la décision des premiers juges doit être confirmée ;

Considérant que M. Pérennès succombant en ses prétentions, doit être débouté de sa demande d'application de l'article 700 du NCPC ;

que l'équité commande en revanche, de faire droit à la demande de la société intimée ; que toutefois, la somme allouée par les premiers juges suffit à la prise en charge des frais non compris dans les dépens exposés au cours de l'instance d'appel ;

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris ; Y ajoutant : Déboute M. Pérennès et la société Honda France de leur demande d'application de l'article 700 du NCPC ; Condamne M. Pérennès aux dépens d'appel ; Admet la SCP Fisselier, Chiloux, Boulay au bénéfice de l'article 699 du NCPC.