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Décisions

CA Aix-en-Provence, 1re ch. civ. B, 4 mars 1992, n° 89-7647

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Cogest (SARL)

Défendeur :

Marcoulet, Montes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ransac

Conseillers :

MM. Loriferne, Roudil

Avoués :

Me Ermeneux, SCP Primout Faivre, SCP Liberas-Buvat

Avocats :

Mes Cohen-Seat, Chemla, Berdah.

TGI Nice, 3e ch., du 21 mars 1989

21 mars 1989

I - Faits et procédure

Attendu que selon contrat sous seing privé en date du 20 février 1979, Joseph Marcoulet, dit Marco, a concédé à Jean-Claude Montes l'usage de la marque commerciale déposée " Crédipool " ainsi que le bénéfice des techniques d'organisation et de commercialisation qui s'y rattachent, en vue de l'exploitation d'un établissement financier de courtage à Nice, moyennant une redevance mensuelle de 10 % du chiffre d'affaires hors taxe réalisé par le " concessionnaire ".

Attendu qu'aux termes d'une seconde convention sous seing privé en date du 3 juillet 1979 Marcoulet a confié à Montes, agissant en qualité de gérant de la SARL Cogest, une mission de " gestion des recettes et des dépenses relatives à la concession de licences de la marque Crédipool, lesquelles concessions seront exclusivement cédées et mises en œuvre par le propriétaire ", moyennant une redevance de 10 % au profit de la Société Cogest sur les recettes provenant des concessionnaires ".

Attendu que la SARL Cogest a effectivement exercé une activité de courtage financier à Nice sous la marque Crédipool et qu'elle a employé Marcoulet en qualité de Directeur Commercial du 1er janvier 1981 au 30 avril 1983, date de son licenciement.

Attendu que le 29 mai 1984 Marcoulet a fait assigner la Société Cogest et Montes en paiement des redevances dues en vertu des contrats du 20 février 1979 et du 3 juillet 1979 ainsi que de dommages-intérêts, se réservant d'agir à leur encontre en concurrence déloyale.

Attendu que par jugement du 15 octobre 1985 le Tribunal de Grande Instance de Nice a ordonné une expertise pour apurer les comptes entre les parties et que l'expert Lombard a dressé rapport de ses opérations le 11 décembre 1987.

Attendu que par jugement du 21 mars 1989 le Tribunal de Grande Instance de Nice a homologué le rapport d'expertise et condamné la Société Cogest, après avoir relevé que Montes avait agi seulement en qualité de gérant de cette société, à payer à Marcoulet la somme de 491 466,86 F correspondant au décompte suivant :

- Sommes dues au titre de premier contrat : 406 273,37 F

- Sommes dues au titre du second contrat : +179 205,49 F

- Location d'un véhicule par Marcoulet à la Cogest : - 76 214,00 F

- Amendes de circulation : - 2 798,00 F

- Salaires indûment perçus par Marcoulet : - 1 500,00 F

Solde dû par la Cogest : 491 466,86 F

Attendu qu'ayant relevé appel de cette décision le 3 mai 1989, la Société Cogest, représentée par son liquidateur amiable, a conclu au débouté des demandes de Marcoulet et à sa condamnation au paiement de la somme de 100 388 F au titre notamment des factures de location de véhicule, outre les loyers mensuels de 2 876 F depuis le 1er janvier 1988 jusqu'à la restitution du véhicule, ainsi que de celle de 20 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, en faisant valoir :

- que les conventions invoquées doivent être annulées en raison du dol ayant vicié le consentement de la société Cogest, ou résolues pour inexécution consécutive au contrat de travail consenti à Marcoulet, aux motifs :

* Que les prestations faisant l'objet du contrat de franchisage du 20 février 1979 étaient inexistantes, le réseau de la marque Crédipool étant " squelettique et de mauvaise réputation ", sans que Marcoulet ait jamais justifié d'une publicité sur le plan national.

* Que ce contrat lui a été " apporté " par Montes mais qu'elle ne l'a pas signé.

* Que le contrat de gestion de concession des licences Crédipool lui a été consenti par Marcoulet pour se soustraire aux poursuites fiscales et aux saisies pratiquées sur son compte.

* Que le prétendu savoir-faire diffusé par Marcoulet a abouti à des poursuites à son encontre pour infraction à la loi n° 84-86 du 24 janvier 1984, qui ont entraîné en 1988 l'arrêt de son exploitation.

- Que subsidiairement, une expertise devrait être ordonnée pour déterminer la consistance de la marque et du réseau de franchisage " Crédipool ".

- Que Marcoulet n'est pas fondé à réclamer des dommages-intérêts pour concurrence déloyale, dès lors que les rapports des parties étaient régis par des contrats et qu'ayant été investi de la signature sociale en qualité de Directeur Commercial il n'a pas tenté de faire appliquer les deux conventions litigieuses.

Attendu que Montes a conclu à la confirmation de sa mise hors de cause et à la condamnation de Marcoulet au paiement de la somme de 6 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Attendu que Marcoulet a conclu à la confirmation partielle du jugement entrepris, au débouté de la Société Cogest et de Montes ainsi qu'à leur condamnation à lui payer une indemnité de 30 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et solidairement la somme de 4 447 204 F se décomposant comme suit :

- Contrat du 20 février 1979 : 518 552 F

- Contrat du 3 juillet 1979 : + 179 205 F

- Dommages-intérêts pour concurrence déloyale : + 3 843 459 F

- Déductions diverses (location de véhicule, procès-verbaux, salaires etc.. ):- 94 012 F

Solde dû : 4 447 204 F

Que Marcoulet a fait valoir au soutient de ses prétentions :

- Qu'il a bien transféré son savoir-faire aux bénéficiaires du contrat du 20 février 1979 et que Montes a reconnu par lettre du 22 juin 1987 avoir eu connaissance d'une volumineuse documentation de 400 pages relative au courtage financier, dont il est l'auteur.

- Que le contrat du 20 février 1979 prévoyait la fondation par le concessionnaire d'un établissement financier conforme à l'article 13 de la loi n° 25-33 du 14 juin 1941 et qu'il n'avait plus de relations d'affaires avec la Cogest lorsqu'elle s'est trouvée en infraction par sa faute avec la loi nouvelle n° 84-86 du 24 juin 1984.

- Que Montes a contrevenu à ses engagements contractuels en apportant sans son accord écrit la marque Crédipool à la Cogest qui a exercé de façon notoire une activité de courtier financier sous cette marque depuis mars 1979, avant même la signature du contrat du 3 juillet 1979 qui ne lui concédait d'ailleurs par l'usage.

- Que Montes a différé le règlement des comptes entre les parties au titre de l'application des deux contrats, dont l'objet ne se confond pas, en promettant de lui céder la moitié des parts de la Cogest ainsi qu'en l'engageant le 1er janvier 1981 en qualité de Directeur Commercial, avec procuration sur les comptes et ouverture d'un compte associé.

- Que le contrat du 20 février 1979 s'est trouvé résilié de plein droit pour défaut de paiement des redevances le 2 décembre 1983, mais que la Cogest a continué à utiliser la marque Crédipool après cette date jusqu'au 27 septembre 1988, date de sa dissolution amiable.

- Que ces agissements sont constitutifs d'actes de concurrence déloyale, le fait qu'il ait été salarié de la Cogest ne lui interdisant pas de les dénoncer.

- Que Montes est solidairement redevable avec la Cogest des sommes dues en vertu du contrat du 20 février 1979 dès lors qu'il l'a signé et utilisé personnellement, puis par l'intermédiaire de la Cogest, en fraude de ses droits.

II - MOTIFS DE LA DECISION

A) Sur la convention du 20 février 1979 :

Attendu que ce contrat avait pour objet de conférer à Montes, agissant en son nom personnel, le droit d'utiliser en qualité de commerçant le savoir-faire, la marque déposée " Crédipool " et l'assistance de Marcoulet, en contrepartie notamment du paiement de redevances et de l'engagement de respecter les techniques commerciales élaborées par le titulaire de la marque " dans le domaine du crédit et de la vente " ; que de telles obligations caractérisent une convention de franchisage.

Mais attendu que Marcoulet ne justifie pas de la réalité de la communication d'un savoir-faire spécifique, qui constitue l'un des éléments essentiels du franchisage ; qu'il se borne à faire état de la remise au franchisé d'un ouvrage de 400 pages, dont la table des matières et les extraits versés aux débats établissent qu'il s'agit d'un manuel comprenant d'une part des " recettes commerciales " (Existe-t'il un secret pour se procurer les bons dossiers ? page IX-1 ; est-il dans les habitudes de glisser une " enveloppe " aux banquiers qui vous rendent services ou vous apportent des dossiers ? page III-11 : quelle influence peuvent avoir les couleurs sur le comportement de vos clients ? page VIII-10), d'autre part un rappel de règles comptables et juridiques élémentaires, des modèles de correspondance sans particularité notable ainsi que la reproduction de textes applicables en matière de réglementation du crédit et de démarchage financier.

Qu'un tel document ne présente pas un caractère d'originalité suffisant pour considérer qu'il a pu permettre à Marcoulet de transmettre au franchisé un savoir-faire constitutif d'un avantage commercial évident, et qu'il n'est pas davantage justifié de l'organisation de stages ou d'une assistance destinés à la transmission de ce savoir-faire, la collaboration ultérieure de Marcoulet à la Société Cogest relevant de l'exécution de son contrat de travail.

Que Marcoulet ne rapporte pas non plus la preuve de l'existence antérieure à la convention d'un véritable réseau commercial organisé sous la marque Crédipool, aucun document n'établissant qu'un groupe structuré d'établissements de courtage financier exerçait ses activités selon des normes techniques et commerciales communes sous la marque Crédipool, ni de la notoriété de cette organisation ou de sa promotion publicitaire.

Attendu qu'en l'état des pièces communiquées la constitution d'un groupe commercial sous la marque Crédipool apparaît avoir été essentiellement réalisée sous l'égide de la Société Cogest postérieurement au contrat de franchisage litigieux, qui se trouve donc entaché de nullité pour défaut de cause en l'absence de contrepartie sérieuse apportée lors de sa formation par le franchiseurMarcoulet au franchisé Montes ; que la ratification de cet acte nul ne saurait résulter de l'exploitation de la marque Crédipool par la Société Cogest, substituée à Montes, dès lors que les conditions d'application de l'article 1338 du Code Civil ne sont pas réunies, en l'état du caractère équivoque des agissements de la Société Cogest qui exerçait son activité sous la direction commerciale de Marcoulet.

Attendu qu'il échet en conséquence d'annuler la convention du 20 février 1979 et de rejeter les prétentions de Marcoulet qui procèdent de ses dispositions.

B) Sur la convention du 3 juillet 1979 :

Attendu qu'en vertu de ce contrat Marcoulet confiait à la Société Cogest la gestion financière " des concessions et licences de Crédipool " ; que cette convention s'analyse en un mandat de gestion, sans que la preuve soit rapportée de son caractère fictif, en l'absence de justifications suffisantes des allégations de Montes et de la Société Cogest selon lesquelles Marcoulet, qui faisait alors l'objet d'un redressement fiscal et de saisies-arrêts, entendait ainsi organiser son insolvabilité.

Attendu que la Société Cogest ne peut opposer à Marcoulet le défaut d'objet de ce contrat résultant de l'annulation de la convention de franchisage conclue avec Montes, fondée notamment sur l'insuffisance lors de sa formation du réseau commercial d'exploitation de la marque, cette insuffisance initiale n'étant pas assimilable à une inexistence et ce réseau s'étant ultérieurement développé à l'initiative de la Société Cogest à compter de juillet 1979, ainsi qu'il résulte des investigations de l'expert et des pièces produites, établissant notamment l'organisation par ses soins de stages et de campagnes de publicité.

Attendu que l'emploi de Marcoulet par la Société Cogest en qualité de Directeur Commercial à compter de janvier 1981 n'étant pas incompatible avec les stipulations du contrat du 3 juillet 1979, la preuve n'est pas rapportée d'une renonciation expresse ou tacite des parties à son exécution.

Attendu qu'il résulte des décomptes de l'expert que la Société Cogest a encaissé en vertu de ce contrat un chiffre d'affaires de 362 752,83 F dont il convient de déduire ses frais et le montant de sa rémunération conventionnelle, soit un solde de 179 205,49 F restant dû à Marcoulet au titre du mandat de gestion.

C) Sur la concurrence déloyale :

Attendu que Marcoulet ne peut faire grief à Montes d'avoir utilisé la marque Crédipool en fraude de ses droits, l'annulation de la convention de franchisage du 20 février 1979 le privant du titre de concession de la marque mais la preuve n'étant rapportée d'aucune exploitation personnelle exercée par Montes, seule la Société Cogest ayant déclaré une activité de courtier financier le 6 avril 1979 et proposé des financements sous la marque Crédipool.

Attendu que l'exploitation de la marque Crédipool par la Société Cogest ne peut-être considérée comme fautive jusqu'au 30 avril 1983, date du licenciement de Marcoulet, la participation active de celui-ci à la gestion de cette société en qualité de Directeur Commercial salarié, disposant de la signature sur les comptes bancaires, impliquant l'acceptation tacite de cette concession en contrepartie d'une rémunération sensiblement égale à celle du gérant.

Que Marcoulet ne rapporte pas la preuve de manœuvres dolosives déterminantes de son consentement à l'utilisation de la marque par la Société Cogest, l'exercice d'un emploi de direction rémunérée au sein de cette société excluant que les projets d'association élaborés avec Montes aient été la cause impulsive de son acceptation.

Attendu que postérieurement au licenciement de Marcoulet le 30 avril 1983, la Société Cogest ne pouvait plus se prévaloir d'une autorisation tacite d'utilisation de la marque, et qu'il résulte d'un constat dressé le 13 janvier 1984 que le 13 décembre 1983 des plaques portant l'inscription Crédipool étaient encore apposées au siège de la Société Cogest ; que la preuve n'est cependant rapportée d'aucune opération d'intermédiaire financier réalisée par la Société Cogest sous le couvert de la marque ou du groupe Crédipool en fraude des droits de Marcoulet entre le 30 avril 1983 et la date de publication de sa dissolution anticipée votée par l'assemblée générale extraordinaire du 30 juillet 1988 ; que l'indemnisation du seul préjudice de Marcoulet consécutif au maintien de plaques professionnelles " Crédipool " doit être limitée à la somme de 1F.

Attendu que Montes, dont la responsabilité personnelle n'est engagée à aucun titre, doit être mis hors de cause.

D) Sur les sommes dues par Marcoulet :

Attendu que Marcoulet se reconnaît débiteur à l'égard de la Société Cogest de la somme de 94 012 F, conformément au décompte arrêté par l'expert au 30 novembre 1987 , qu'outre diverses sommes non contestées à concurrence de 17 798 F, ce montant inclut pour 76 214 F les loyers mensuels de 1 438 F afférents à la location d'un véhicule que lui avait consentie la Société Cogest par contrat du 23 septembre 1982 pour une durée initiale d'un an.

Attendu que ce contrat a fait l'objet d'une prorogation tacite jusqu'au 30 janvier 1984, date de la signification à Marcoulet d'une sommation de restituer ; qu'à compter de cette date, sont devenues exigibles, à défaut de restitution, les indemnités d'utilisation prévues par l'article 13 des conditions générales du contrat de location au taux du loyer majoré de 50 %, soit 2 157 F par mois ; que le décompte des sommes dues par Marcoulet au 1er janvier 1988, date d'arrêté de compte retenue par la Société Cogest dans ses conclusions d'appel, s'établit donc comme suit :

- Loyers dus jusqu'au 30 janvier 1984 : 1 437 x 16 = 22 992 F

- Indemnités dues entre le 1er février 1984 et le 1er janvier 1988 : 2 157 x 47 = 101 379 F

- Total : 124 371 F

Que compte tenu de la fraction non contestée de sa dette s'élevant à 17 798 F, Marcoulet demeure donc redevable envers la Société Cogest au 1er janvier 1988 d'une somme de 142 169 F, outre les indemnités d'utilisation postérieures.

Attendu que cette somme doit être ramenée à 100 388 F dans la limite de la demande formulée dans les conclusions d'appel de la Société Cogest, Marcoulet demeurant également tenu des indemnités mensuelles d'utilisation de 2 157 F depuis le 1er janvier 1988 jusqu'à la restitution du véhicule.

Attendu qu'aucune considération d'équité ne justifie l'application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; que les dépens doivent être partagés par moitié en considération de la succombance partielle des parties en leurs prétentions respectives.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire, En la forme, reçoit les parties en leurs appels tant principal qu'incident ; Infirme la décision entreprise ; Prononce l'annulation de la convention du 20 février 1979 ; Condamne la Société Cogest à payer à Marcoulet les sommes suivantes : cent soixante dix neuf mille deux cent cinq francs quarante neuf centimes (179 205,49 F) en exécution de la convention du 3 juillet 1979 ; Un franc (1 F) à titre de dommages-intérêts ; Condamne Marcoulet à payer à la Société Cogest les sommes suivantes : cent mille trois cent quatre vingt huit francs (100 388 F), montant de sa dette arrêtée au 1er janvier 1988 ; Les indemnités d'utilisation du véhicule loué au taux mensuel de deux mille cent cinquante sept francs (2 157 F), à compter du 1er janvier 1988 jusqu'à restitution du véhicule ; Prononce la compensation entre les condamnations réciproques des parties ; Ordonne la mise hors de cause de Montes pris en son nom personnel ; Rejette toutes autres prétentions des parties ; Fait masse de dépens de première instance et d'appel qui seront partagés par moitié entre les parties, ceux d'appel distraits au profit des avoués de la cause, dans la mesure de leurs avances sans provision.