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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 30 mars 1992, n° 91-20998

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Parfumerie Le Lys (SA), Vinceneux (ès qual.)

Défendeur :

Cartier (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mlle Aubert (conseiller faisant fonction)

Conseillers :

MM. Guerin, Bargue

Avoués :

SCP Bernabé Ricard, Me Pamart

Avocats :

Mes Lévy, Monteboup, Guilloteau, Friede.

T. com. Paris, 1re ch., du 17 déc. 1990

17 décembre 1990

LA COUR statue sur l'appel interjeté par la SA Parfumerie Le Lys du jugement rendu le 17 décembre 1990 par le Tribunal de commerce de Paris (1re chambre) qui l'a déboutée de ses demande, qui lui a, sous astreinte, interdit la vente des produits Cartier dont elle a ordonné la saisie et la remise à la société Cartier, qui a débouté la société Cartier de sa demande de dommages-intérêts et condamné la société Le Lys à payer à la société Cartier la somme de 6 000 F sur le fondement de l'article 700 NCPC.

Éléments du litige

La société anonyme Parfumerie Le Lys était lié à la société anonyme Cartier par un contrat de distribution sélective qui prévoyait à son article 8 " Toute opération de promotion par voie de discount ainsi que toute pratique de prix d'appel seront considérés comme une atteinte portée au prestige et à la renommée de la marque ".

Au mois d'avril 1990, après un changement dans l'actionnariat, M. Zahed était nommé Président du conseil d'administration de la société Parfumerie Le Lys.

La société Cartier ayant appris que son distributeur faisait une publicité dans la presse concernant la remise systématique de 35 % sur toute la parfumerie en vente dans sa boutique, lui notifiait le 27 avril 1990 une lettre de rupture des relations commerciales lui reprochant une politique de vente assimilable à une vente à perte et estimant qu'elle n'était pas contrainte d'accepter que sa marque soit associée à une politique de discount aussi outrancière.

La société Parfumerie Le Lys assignait le 12 octobre 1990 la société Cartier aux fins d'obliger cette dernière à respecter le contrat, de la voir condamner à payer la somme de 42 000 F à titre de dommages-intérêts pour l'inexécution de ses obligations contractuelles et la somme de 2 000 000 F pour réparer l'atteinte à sa réputation.

A titre reconventionnel, la société Cartier demandait au tribunal de constater les atteintes au contrat de distribution, d'interdire la vente des produits de marque Cartier et d'en ordonner la saisie.

Le tribunal dans la décision frappée d'appel rejetait la demande de la société Parfumerie Le Lys au motif qu'elle n'avait pas respecté ses obligations contractuelles et qu'elle avait dévalorisé le produit de la marque Cartier par une publicité outrancière. Il accueillait la demande reconventionnelle de la société Cartier.

Le Tribunal de commerce de Toulouse ouvrait le 2 avril 1991 une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Parfumerie Le Lys puis prononçait sa liquidation judiciaire le 7 mai 1991.

Me Liliane Vinceneux nommée liquidateur était assignée en intervention forcée dans le cadre de la présente instance.

Moyens des parties en appel

La société Parfumerie Le Lys représentée par son liquidateur, appelante, expose qu'elle a mis à la disposition de sa clientèle un local et des services conformes aux besoins d'un commerce de produits de luxe.

Elle soutient que le discount qui, en l'espèce, se limite à un rabais sur les prix n'est pas un motif valable de refuser la vente et que la clause contractuelle litigieuse qui est contraire à l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, ne peut pas servir à empêcher un détaillant de choisir librement sa politique de rabais sur le niveau des prix. Elle fait valoir qu'elle n'a jamais cité la marque Cartier dans sa campagne publicitaire de rabais sur les prix et que d'autres distributeurs de produits de la marque Cartier font des remises de 30 % sur ces produits. Elle demande que soit ordonnée l'exécution du contrat de distribution exclusive sous astreinte de 5 000 F par jour.

Elle sollicite à titre de dommages-intérêts la somme de 7 000 F par mois écoulé sans possibilité de revente des produits Cartier, 2 millions de francs pour atteinte à la réputation de son enseigne.

Elle prie la Cour de condamner la société Cartier à lui verser la somme de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

La société Cartier intimée prétend que la publicité concernant une remise systématique de 35 % sur tous les articles en vente dans la parfumerie est contraire aux stipulations du contrat, entraîne en outre soit une revente à perte, soit une pratique de prix d'appel, soit une fraude à la TVA.

Elle précise que l'article 8 du contrat ne prohibe pas les remises de prix mais la publicité organisée à propos de pratiques de discount. Elle conclut à titre principal, à la confirmation du jugement et à titre subsidiaire, elle sollicite la désignation d'un expert-comptable afin de déterminer les modalités de fixation des prix de vente au détail.

Faisant état d'une déclaration de créance au passif de la société Parfumerie Le Lys pour le montant de 37 342,23 F représentant le montant de factures impayées, elle demande à la Cour de fixer cette créance. Elle sollicite la fixation de sa créance pour procédure abusive à 20 000 F et à 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Cela étant exposé, LA COUR,

Considérant que pour démontrer l'existence de ventes à perte, la société Cartier a versé trois factures d'achat des produits de sa marque à la Parfumerie Le Lys et a remis, au cours du délibéré, les produits correspondants ;

Que dans une note en délibéré, la société Parfumerie Le Lys soutient qu'il n'est nullement avéré que les produits remis proviennent de sa parfumerie ;

Considérant que la démonstration faite par la société Cartier à l'initiative de ses représentants n'offre pas de garanties suffisantes ; que les indications imprécises portées sur les factures relatives aux produits achetés rendent incertain tout rapprochement avec les objets remis ;

Qu'il y a lieu d'écarter des débats ces trois pièces ;

Considérant que le contrat de distribution sélective stipule qu'en cas de non-respect par l'une des parties de l'une de ses obligations, l'autre partie pourra résilier le présent contrat avec effet immédiat après l'expiration d'un délai de mise en demeure de huit jours ;

Que faisant application de cette stipulation, la société Cartier a, par lettre du 27 avril 1990, rompu ses relations commerciales avec la société Parfumerie Le Lys et expliquait cette rupture dans les termes suivants : " Je ne pense pas, compte tenu de vos marges, que les 35 % de remise que vous réalisez aujourd'hui vous laisse une marge bénéficiaire permettant de financer les différents éléments nécessaires au développement de votre affaire. De plus nous n'investissons pas de telles sommes en communication pour nous associer avec un distributeur qui utilise le discount comme élément déterminant de sa communication et de son enseigne " ;

Considérant qu'en avril 1990, la société Parfumerie Le Lys a fait une campagne publicitaire dont l'unique thème était la remise de 35 % sur le prix de vente de tous ses produits sans viser les marques des produits concernés ;

Qu'il n'en demeure pas moins que la parfumerie connue comme distributeur des articles de marque Cartier, qui a utilisé le rabais sur les prix comme seul élément de sa communication et de son enseigne a, en la circonstance, fait une opération de discount considérée selon les stipulations contractuelles comme portant atteinte au prestige et à la renommée de la marque;

Considérant que cette stipulation n'interdit pas au distributeur de pratiquer des rabais sur les prix des produits de marques Cartier mais d'en faire la promotion publicitaire auprès de sa clientèle;

Qu'elle n'a pas pour objet ou pour résultat même indirect de limiter la liberté du distributeur de fixer comme il l'entend le prix de vente de ses produits même s'il peut être moins enclin à faire des rabais lorsqu'il ne peut recourir à la publicité;

Considérant que l'absence de contrôle exercé par la société Cartier sur le prix des produits qu'elle distribue est démontrée par l'appelante elle-même qui a fait constater des remises de 30 % sur le prix des produits Cartier vendus dans des parfumeries parisiennes ;

Considérant qu'une politique systématique d'annonce de rabais par un distributeur de parfums qui sont des produits de luxe, nuit à l'image de ces produits que le fabricant veut donner à la clientèle;

Que s'agissant de produits de marque, elle va à l'encontre des efforts accomplis, notamment par la publicité, pour renforcer la notoriété des produits de marque;

Considérant en outre qu'elle met en péril le réseau constitué à partir de distributeurs agréés qui doivent respecter des critères qualitatifs et quantitatifs de commercialisation des produits de marque ;

Que la remise de 35 % sur les produits Cartier, auxquels les tarifs appliqués selon une attestation établie par le directeur commercial de la société Cartier laissent au distributeur une marge de 40 %, ne permet pas à terme à la parfumerie qui la pratique de continuer à vendre les articles dans des conditions compatibles avec leur nature de produits de luxe ;

Qu'il faut observer qu'un an après la campagne publicitaire dénoncée par la société Cartier, la société Parfumerie Le Lys a été mise en liquidation judiciaire, cette procédure révélant la constitution d'un passif très important à partir de la reprise de la société par les consorts Zahed en avril 1990 et des méthodes de gestion anormales ;

Considérant que la stipulation contractuelle incriminée ne porte pas atteinte à la liberté des prix et de la concurrence ; qu'elle devait être respectée par la société La Parfumerie Le Lys ;

Considérant que la rupture des relations commerciales est la conséquence de l'inexécution par la société distributrice de son obligation contractuelle et ne s'analyse pas en un refus de vente comme celle-ci le prétend ;

Considérant que la décision des premiers juges qui ont rejeté l'ensemble des demandes de la société Parfumerie Le Lys et accueilli la demande reconventionnelle de la société Cartier en vue de faire respecter les effets de la résiliation du contrat doit être confirmée ;

Considérant que la créance dont la société Cartier demande la fixation en appel sans que la société Parfumerie Le Lys s'y oppose, a été déclarée au passif de cette société et est justifiée par des factures et un chèque impayé de 37 342,23 F ; qu'elle doit être fixée à ce montant ;

Considérant que la société Parfumerie Le Lys qui succombe en ses prétentions doit être déboutée de sa demande d'application de l'article 700 du NCPC.

Considérant que la société Cartier ne justifie pas du bien fondé de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ; que cette demande doit être rejetée ;

Considérant que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du NCPC, à la demande de la société Cartier.

Par ces motifs, Ecarte des débats les trois pièces remises au cours du délibéré ; Confirme le jugement entrepris ; Y ajoutant : Fixe la créance de la société Cartier à l'encontre de la société Parfumerie Le Lys à la somme de 37 342,23 F ; Déboute la société Cartier et la société Parfumerie Le Lys de leur demande de dommages-intérêts et d'application de l'article 700 du NCPC. Condamne la société Parfumerie Le Lys représentée par Me Vinceneux aux dépens d'appel ; Admet Me Pamart au bénéfice de l'article 699 du NCPC.