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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 14 mai 1992, n° 935-90

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Marchal

Défendeur :

France Alfa (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bensoussan (faisant fonctions)

Conseillers :

MM. Lebreuil, Zavaro

Avoués :

SCP Sorel-Dessart, SCP Boyer-Lescat

Avocats :

Mes Catala, de Richemont.

T. com. Albi, du 9 mars 1990

9 mars 1990

M. Jean-Louis Marchal agent commercial a interjeté appel du jugement rendu le 9 mars 1990 par le Tribunal de commerce d'Albi qui, statuant sur le litige consécutif à la résiliation, le 10 novembre 1987 du contrat d'exclusivité le liant à la SA France Alfa (société Alfa), fabricant de carrelages, résiliation dont son mandant avait pris l'initiative, a dit que les conditions de la rupture n'ouvrent pas droit pour lui à perception de l'indemnité compensatoire de clientèle, qu'en l'absence de faute grave caractérisée et matérialisée, le préavis de trois mois prévu au contrat devait être respecté et en conséquence a condamné la société Alfa à lui payer à ce titre la somme de 390 000 F ainsi que la somme de 4 940,18 F à titre de dommages-intérêts, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

Aux termes du contrat litigieux signé entre les parties le 31 décembre 1984 et expressément conclu dans le cadre des dispositions du décret du 23 décembre 1958 portant statut des agents commerciaux il était notamment stipulé que :

- M. Marchal assurait la commercialisation exclusive des produits de marque France-Alfa sur le territoire de 19 départements du sud de la France, moyennant une commission de 7 % et se portait " ducroire " dans la limite des 15 % des sommes dues par la clientèle.

- Le contrat conclu pour une durée indéterminée est résiliable à tout moment par l'une ou l'autre des parties sous réserve d'un préavis de trois mois, et, au cas de rupture à l'initiative du mandant, sans qu'il puisse être reproché à M. Marchal de n'avoir pas respecté les clauses de son contrat, il est dû à celui-ci une indemnité compensatoire.

La société Alfa reproche à M. Marchal une faute lourde tenant à la communication à des tiers d'informations confidentielles aux fins de création d'une activité concurrente et en veut pour preuve d'une part le procès verbal de constat dressé le 9 novembre 1987 par Maître Deloz, huissier, dans les locaux de la Banque de Gestion Privée (BGP), partenaire financier avec lequel M. Jeandet, alors PDG de la société Alfa et M. Marchal, agent commercial exclusif de cette société, étaient en relation en vue de la création d'une société concurrente, d'autre part, la lettre adressée le 10 septembre 1987 par la BGP audit M. Jeandet, enfin, un projet "Hexagrès Business Plan" de création d'entreprise.

La faute lourde, ainsi caractérisée selon elle, motive la résiliation contractuelle et prive M. Marchal de son droit à préavis et de son droit à indemnité compensatrice de clientèle.

M. Marchal, appelant principal, évoque d'abord deux initiatives prises courant 1987 par son mandant et qui auraient été à l'origine de la dégradation des rapports contractuels : la concession à une société Sumaca début 1987 du droit de vendre des carreaux fabriqués par la société Alfa sur le secteur jusque là réservé à M. Marchal, et la concession de la fabrication de carrelages à la société Carreaux France, rachetée par la société Alfa, carrelages vendus à la société Sumaca.

Analysant les documents produits par la société Alfa en de simples projets, M. Marchal soutient qu'il n'a commis aucune faute contractuelle et, concluant à la réformation partielle du jugement attaqué, réclame l'allocation d'une somme de 2 827 670 F, représentant les 2/3 des commissions perçues au cours des trois dernières années d'activité, ainsi qu'une somme de 1 000 000 F en réparation de ses divers préjudices et notamment de son préjudice moral ainsi que la somme de 10 000 F au titre des frais irrépétibles.

Appelant incident, la société Alfa soutient que la faute lourde reprochée à M. Marchal prive celui-ci de tout droit à indemnité, à titre de préavis, à titre compensatoire et à quelconque titre, et, en concluant en ce sens à la réformation partielle du jugement, demande que M. Marchal soit débouté de toutes ses demandes et condamné à restituer la somme allouée par le premier juge à titre d'indemnité de préavis ainsi que celle allouée à titre de solde de commissions, tout en reprochant au premier juge de n'avoir pas répondu à la demande qu'elle avait formée au titre de la clause "ducroire" : elle réclame à cet effet la somme de 221 778,97 F représentant 15 % des factures impayées, ainsi que la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 35 000 F au titre des frais irrépétibles.

En réponse aux griefs invoqués par M. Marchal, elle fait valoir que le contrat d'exclusivité la liant à celui-ci ne portait que sur la marque "France Alfa", et non sur les marques "Grès de France" et "Carolux", qu'elle était donc libre de commercialiser sans obligation de passer par l'intermédiaire de M. Marchal.

1- Sur la responsabilité de la rupture contractuelle :

Contre M. Marchal qui était certes lié avec elle par un contrat d'exclusivité, la société Alfa n'allègue ni ne rapporte la preuve d'un quelconque fait constitutif d'un manquement à ses obligations contractuelles d'agent commercial, tel qu'un ralentissement suspect de ses activités au détriment de la société mandante, ou la conclusion de contrats de ventes au profit d'entreprises concurrentes, ou des actes de dénigrement commercial au détriment de son mandant.

Si les documents produits par la société Alfa établissent incontestablement que M. Marchal projetait avec M. Jeandet, alors PDG de cette société, de créer une entreprise concurrente et envisageait même de "reprendre" la société Alfa, ce projet en gestation n'avait pas encore vu le jour, n'avait donné lieu à aucun acte caractéristique d'un commencement d'exécution, ses promoteurs pouvant encore renoncer à ce qui n'était encore qu'une simple intention dépourvue de tout autre élément caractéristiques d'une faute contractuelle.

Faute de rapporter la preuve d'un effectif manquement au contrat d'exclusivité signé par M. Marchal, la société Alfa qui par ailleurs affirme, sans le démontrer, que ce dernier aurait livré à la concurrence des documents confidentiels en se gardant de spécifier la nature ou la teneur de tels documents et en s'appuyant notamment sur la lettre adressée le 10 septembre 1987 par la BGP, non à M. Marchal, mais à M. Jeandet alors PDG de cette société, et à ce titre principal promoteur du projet et interlocuteur privilégié de l'organisme financier avec lequel étaient en cours les discussions en vue de la préparation d'un montage financier dudit projet, ne peut se prévaloir de la moindre faute à l'encontre de son agent commercial.

2- Sur les effets de la rupture :

En conséquence la société Alfa doit assumer la responsabilité de la rupture anticipée des relations contractuelles en payant, conformément aux stipulations convenues, l'indemnité de préavis de trois mois, comme justement décidé par le premier juge, mais aussi l'indemnité compensatoire de clientèle équivalent selon l'usage en la matière au montant de deux années de commissions calculée sur la base des trois dernières années, soit la somme de 2 827 676 F, qu'elle n'a d'ailleurs pas spécialement contestée.

Responsable de cette rupture contractuelle, la société Alfa ne peut prétendre à aucune indemnité du chef de cette rupture : elle sera donc déboutée de sa demande à ce titre.

M. Marchal sera lui aussi débouté de sa demande de dommages-intérêts complémentaires, faute de spécification et partant de justification, d'un préjudice qui ne serait pas réparé par les sommes déjà allouées.

3- Sur le solde de commissions :

La société Alfa s'est bornée à demander la réformation de la disposition du jugement attaqué allouant à M. Marchal la somme de 4 949,18 F au titre de solde de commissions; mais de son côté, M. Marchal n'a pas renouvelé sa demande à ce titre ; il convient, eu égard à l'abandon par ce dernier de cette prétention, de réformer en ce sens cette disposition du jugement attaqué et, tenant compte du paiement déjà fait dans le cadre de l'exécution provisoire, de dire que cette somme sera restituée à la société Alfa, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date du paiement.

4- Sur la créance ducroire :

Dans les écritures de M. Marchal, n'est élevée aucune objection à la demande formée par la société Alfa au titre de la créance ducroire ; ne contestant ni le principe ni le montant de cette créance, il sera donc condamné à payer à la société Alfa la somme de 221 778,97 F représentant les 15 % des factures non payées par les clients de M. Marchal, conformément aux stipulations contractuelles, et ce avec intérêts au taux légal à compter de la demande de janvier 1990.

Il convient en définitive de réformer partiellement en ce sens le jugement attaqué et de condamner la société Alfa, qui succombe pour l'essentiel dans ses prétentions, aux dépens de première instance et d'appel et au paiement d'une somme de 10 000 F au titre des frais irrépétibles, qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de M. Marchal.

Par ces motifs : LA COUR, Reçoit les appels principal et incident jugés réguliers, Dit l'appel principal fondé pour l'essentiel et l'appel incident très partiellement fondé, Et confirmant la seule disposition du jugement attaqué condamnant la SA France Alfa à payer à M. Jean-Louis Marchal la somme de 390 000 F, Réforme pour le surplus la décision attaquée, En condamnant d'une part M. Marchal à payer à la SA France Alfa : - La somme de 4 940,18 F (quatre mille neuf cent quarante francs dix huit centimes), augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date à laquelle elle avait été versée à M. Marchal ; - La somme de 221 778,87 F (deux cent vingt et un mille sept cent soixante dix huit Francs vingt sept centimes) augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de la demande formée par conclusions déposées en janvier 1990 devant le premier juge, Et condamnant d'autre part la société France Alfa à payer à M. Marchal : - La somme de 2 827 676 F (deux millions huit cent vingt sept mille six cent soixante seize francs) au titre de l'indemnité compensatoire ; - La somme de 10 000 F (dix mille francs) au titre des frais irrépétibles, Dit n'y avoir lieu à dommages intérêts complémentaires et rejette comme non fondées toutes prétentions contraires ou plus amples des parties, Condamne la société France Alfa aux dépens de première instance et d'appel.