Livv
Décisions

CA Rouen, 2e ch. civ., 14 mai 1992, n° 926-91

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Aguera (ès qual.), Quick Roof (Sté)

Défendeur :

Société Nouvelle de Restauration Française "NRF" (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Magendie

Conseillers :

MM. Grégoire, Masselin

Avoués :

SCP Galliere, Lejeune, Me Reybel

Avocats :

Mes Douet, Laporte.

T. com. Rouen, du 26 nov. 1990

26 novembre 1990

Le 2 janvier 1985 un protocole d'accord est intervenu entre la société NRF, professionnelle de la restauration, et M. Hue qui se proposait d'être franchisé dans le cadre d'une nouvelle formule de restauration, étant précisé que la création faisant l'objet de l'accord serait la première unité de la chaîne.

Le 12 mars 1985 la société NRF a déposé auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle la marque " Scoop - Le Restaurant Événement ".

Le 3 juin 1985 a été créée la SARL Quick Roof entre MM. Hue et Plessis, associés majoritaires, la société NRF, ainsi que deux de ses collaborateurs, eux-mêmes porteurs de parts.

Le 6 juin 1985 est intervenu le contrat de franchise entre la société NRF et la société Quick Roof, portant une " exclusivité " pour la réalisation et l'exploitation de restaurants " type scoop " ; le franchisé s'est vu ainsi reconnaître le droit d'utiliser la marque Scoop et de bénéficier de tous les avantages de l'organisation de la chaîne Scoop, moyennant un droit d'entrée de 100 000 F HT et une redevance mensuelle de 3 % du chiffre d'affaires.

L'exploitation du restaurant, commencée, le 15 septembre 1985, s'est révélée déficitaire et la situation s'est aggravée l'année suivante puisque, malgré la mise en place d'une nouvelle carte de plats et un certain nombre de mesures relatives à l'amélioration de la gestion, le compte de résultat pour la période du 1er janvier au 30 juin 1986 fait ressortir une perte de 424 620 F pour un chiffre d'affaires de 548 014 F.

C'est dans ces conditions que la société Quick Roof s'est trouvée dans l'obligation de déposer un bilan le 2 décembre 1986.

Par un premier jugement du 16 février 1988, le Tribunal de Commerce de Rouen, saisi par la société Quick Roof d'une demande tendant à voir condamner la société NRF à payer 1 000 000 F à titre de dommages-intérêts sur le fondement de la responsabilité contractuelle et à combler en sa qualité de gérant de fait, a commis un expert pour l'éclaircir sur la nature exacte du contrat liant les parties et sur le rôle joué par chacune d'elles.

Au vu des conclusions de l'expert, M. Asse, Me Aguera, ès qualités de liquidateur de la société Quick Roof, a modifié sa demande initiale demandant au Tribunal ;

- d'annuler le contrat pour défaut d'élément essentiel caractérisant la franchise, à savoir la transmission du savoir-faire, et donc défaut d'objet,

- de condamner en conséquence la société NRF à rembourser la somme de 50 000 F correspondant au droit d'entrée,

- de constater que la société NRF a géré en fait la société Quick Roof,

- de constater les fautes commises par la société NRF à l'occasion de cette gestion et de la condamner en conséquence à payer la somme de 1 200 000 F au titre du comblement de passif,

- de condamner enfin la défenderesse au paiement de la somme de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Le Tribunal, par jugement du 26 novembre 1990, a débouté la société Quick Roof de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société NRF la somme de 30 000 F au titre des frais irrépétibles et ce non compris les frais d'expertise.

Pour statuer comme il l'a fait, le tribunal a retenu qu'au moment de la signature du contrat la société NRF justifiait d'un réel savoir-faire en matière de restauration, que M. Hue, son cocontractant, a accepté en toute connaissance de cause d'investir dans une expérience pilote visant à tester une nouvelle formule de restauration ; qu'il n'y a eu ni dol, ni tromperie et que la nullité du contrat ne peut donc être prononcée pour vice du consentement.

Le Tribunal a estimé d'autre part que les prestations de services prévues au contrat étaient fournies à titre de conseil et qu'en conséquence elles ne pouvaient être considérées comme une immixtion dans la gestion de la société Quick Roof, pouvant être assimilée à une gestion de fait.

Les premiers juges ont enfin considéré que la volonté des parties en contractant avait été de prendre un risque en commun, que l'échec de l'expérience était dû à la déficience de la direction de la société et à la difficulté de traduire en termes de produit un concept nouveau de restaurant ; qu'en conséquence l'échec était imputable aux deux contractants et non à la seule NRF, qui avait elle-même subi des pertes importantes tant en capital qu'en investissements humains et financiers.

Me Aguéra, ès qualités, fait tout d'abord observer que la demande de nullité du contrat n'a pas pour fondement l'existence d'un vice du consentement mais l'absence d'objet, voire l'absence de cause.

Il soutient à l'appui de son appel que le contrat conclu le 6 juin 1985 se présentant comme un contrat de franchise, la contrepartie de la redevance mise à la charge de la société Quick Roof était la transmission à la société franchisée d'un savoir-faire, alors que, s'agissant d'un produit nouveau " restauration événement " qui n'avait pas encore été testé par la société NRF, celle-ci était dans l'impossibilité absolue de transmettre ce savoir-faire et donc de garantir le résultat.

L'appelant en conclut à la fois que le franchiseur n'a pas rempli l'objet de son obligation et que le contrat signé par les parties, dénué de toute cause, se trouve privé d'effets par application de l'article 1131 du Code Civil.

Me Aguera soutient, d'autre part, que la gestion de fait de la société NRF résulte de nombreux éléments tous justifiés par les pièces du dossier :

- en janvier 1986, la NRF, décidant de changer de produit, a demandé à l'un de ses collaborateurs, M. Sebillet, d'assurer l'assistance technique pour la mise en place de la nouvelle carte du restaurant Scoop,

- un compte rendu de réunion établi le 3 juillet 1986 par la société NRF révèle que " M. Sebillet prend les rênes de Scoop dès janvier et effectue un travail de fond et de forme. Il a entre autres missions de former un manager ",

- le personnel de la société Quick Roof a été embauché par MM. d'Horrer et Sebillet,

- la société NRF a pris la décision de changer de produit et de réaliser une coûteuse campagne publicitaire. C'est elle qui procède à la fixation des prix des produits à vendre.

Me Aguera fait valoir que ces éléments de fait établissent suffisamment la participation de la société NRF à une gestion désastreuse, directement à l'origine du dépôt de bilan.

Il demande donc à la Cour de :

- prononcer l'annulation pure et simple du contrat de franchise signé le 6 juin 1985,

- en conséquence, condamner la société NRF à restituer la somme de 50 000 F payée par la société Quick Roof au titre du droit d'entrée, et ce avec intérêts de droit de l'assignation introductive d'instance,

- dire et juger que la somme NRF s'est immiscée directement dans la gestion de la société Quick Roof,

- la condamner en conséquence à lui payer, ès qualités, la somme de 1 200 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi et 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC pour les frais irrépétibles engagés tant devant le Tribunal que devant la Cour.

La société NRF, intimée, réplique qu'elle a respecté l'obligation, pesant sur elle aux termes du contrat, consistant à apporter son savoir-faire en matière de restauration afin d'expérimenter, en plein accord avec son cocontractant, un nouveau concept.

L'inexpérimentation de ce concept ne pouvait tout au plus qu'entraîner une disqualification du contrat mais certainement pas une annulation.

Pour répondre à la seconde argumentation de l'appelant, la société NRF fait observer que les actes accomplis par elle au profit de la société Quick Roof sont tous rattachés aux obligations du franchiseur et ne sauraient constituer une immixtion dans la gestion.

Elle a toujours agi dans le cadre de son obligation de conseil et n'a jamais voulu ni même tenté de forcer la société Quick Roof à appliquer ses conseils. Dans la faible mesure où l'intervention aurait dépassé les obligations contractuelles, il s'agissait de pallier à la déficience de la direction de la société et de prendre les mesures nécessaires pour faire face au risque pris en commun en vue de l'expérimentation du nouveau concept.

La société NRF conclut au débouté de la société Quick Roof et forme une demande en paiement de la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Sur ce, LA COUR,

I. Sur la demande en nullité du contrat pour absence de cause :

Attendu que les parties qui ont, en toute connaissance de cause, qualifié le contrat litigieux de " contrat de franchise " ont caractérisé avec précision les obligations pesant sur chacune d'elles ;

Attendu que la société NRF, dont il n'est pas contesté qu'elle possédait au moment de la conclusion du contrat un réel savoir-faire en matière de restauration, devait fournir un certain nombre de services énumérés à l'article 5 de la convention, en contrepartie d'un droit d'entrée et du versement de redevances mensuelles ;

Attendu que force est de constater que l'obligation de la société Quick Roof n'était pas dépourvue de cause même si son cocontractant ne bénéficiait d'aucun savoir-faire en ce qui concerne le concept " Scoop ", en voie d'expérimentation, objet du contrat;

Attendu en effet qu'il résulte des termes du protocole d'accord de janvier 1985 que M. Hue, qui est à l'origine du projet et a créé à cet effet la société Quick Roof, était parfaitement informé qu'il s'agissait d'un nouveau concept de restauration qu'il allait expérimenter et dont l'enseigne n'était pas encore déterminée; qu'il ne peut dès lors faire grief à la société NRF de ne pas avoir fourni des prestations qui n'étaient pas prévues au contrat ;

Attendu qu'il importe peu de s'interroger sur le point de savoir si l'inexpérimentation du nouveau produit et le défaut de notoriété de la marque, connus de la société Quick Roof, permettaient aux parties de qualifier le contrat de " franchise ", ou s'il convient de le requalifier, dès lors que, quelle que soit sa qualification, l'obligation de la société Quick Roof trouve incontestablement sa cause dans celle de la société NRF ;

Attendu que cet argument de l'appelant fait donc défaut ;

II. Sur la gestion de fait :

Attendu que les prestations de services mises à la charge de la société NRF sont énumérées à l'article 5 du contrat ; que bien qu'étant nombreuses et diversifiées, elles ne s'écartent pas pour autant des prestations habituellement retenues dans les contrats de franchise et se rattachent toutes à l'obligation de conseil ;

Or attendu que force est de constater qu'en raison de la mauvaise qualité du produit et de l'inexpérience de la gérante et des principaux associés de la société Quick Roof, la société NRF a été amenée à s'immiscer dans la gestion de la société concessionnaire dès le début de l'opération et à exercer en son sein des pouvoirs de direction ;

Attendu que le document du 3 juillet 1986 intitulé " compte-rendu des différentes visites de Philippe Lalonde en juin " est à cet égard révélateur ;

Attendu que dans cette note la société NRF, reconnaissant que le risque pris par M. Hue d'être le franchisé était " courageux ", mentionne les difficultés rencontrées : " façade nulle, manager déficient, produit ne répondant pas à l'attente du client " et fait état de la décision prise de confier le redressement de la situation à un seul responsable qui sera M. Jean-Michel Sebillet, choisi par elle ;

Attendu que pour lever toute ambiguïté il est expressément précisé que ce dernier a pris " les rênes de Scoop dès janvier 1986 ", ce qui signifie que la gestion de la société Quick Roof n'était plus assurée en fait depuis cette date par la gérante mais par M. Sebillet et, à la suite de son départ, par M. Philippe Lalonde (conseil chez NRF) ;

Attendu que, s'il n'est pas précisé qui a recruté Mme Catherine Gendre en mai 1986, il est mentionné que cette dernière en référait à M. Lalonde en cas de difficultés, pour lui offrir sa démission ou au contraire lui confirmer qu'elle restait ;

Attendu que la société NRF proposait des interventions d'audit (Maryse Ortolan), suggérait des mesures destinées à améliorer la trésorerie, négociait le départ des salariés ;

Attendu que le compte rendu du 22 juillet 1986 fait apparaître que c'est la société NRF qui modifiait les cartes et fixait les prix tout en affirmant son intention " de ne jouer ni le rôle de chef d'entreprise, ni celui de manager " ;

Attendu qu'il suffit de se reporter à l'article 5 du contrat concernant la description des prestations mises à la charge de la société NRF pour constater que le rôle de celle-ci a largement dépassé celui qui était assigné ;

Attendu certes que la déficience de la direction de la société a été l'une des causes de cette immixtion, parmi lesquelles il convient également de citer la préparation insuffisante de l'opération, l'ouverture prématurée du restaurant, la mauvaise qualité de certaines prestations (publicité tapageuse, produit mal déterminé et mal conçu) ;

Attendu qu'il est ainsi établi par les pièces versées aux débats que la société NRF, non seulement s'est comportée en gérant de fait de la société Quick Roof, mais a également commis des fautes de gestion ; qu'il convient en conséquence de le condamner à supporter la moitié de l'insuffisance d'actif, soit 600 000 F;

Attendu qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais engagés par elles à l'occasion de la présente procédure d'appel :

Par ces motifs, Statuant à nouveau : Déboute Me Aguera, ès qualités, de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du contrat du 6 juin 1985 ; Dit et juge que la société NRF s'est immiscée directement dans la gestion de la société Quick Roof ; La condamne en conséquence à payer à Me Aguera, ès qualités, la somme de six cent mille francs (600 000 F) à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi ; Dit que cette somme portera intérêts à compter de ce jour ; Déboute les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du NCPC ; Condamne la société Nouvelle Restauration Française en tous les dépens qui seront recouvrés par les Avoués de la cause selon l'article 699 du NCPC.