Livv
Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 29 mai 1992, n° 88-15266

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Entre Computer Centers France (Sté), Entre Computer Centers International (Inc)

Défendeur :

Horel (ès qual.), Infosud (Sté), Carrive, de Loth (ès qual.), Infotech (Sté), Pontois

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Serre

Conseillers :

Mme Garnier, M. Bouche

Avoués :

SCP Valdelièvre Garnier, SCP Garrabos Alizard, Me Kieffer Joly

Avocats :

Mes Dolfi, Leloup.

T. com. paris, 2e ch., du 31 mai 1988

31 mai 1988

LA COUR statue sur les appels formés à titre principal par les sociétés Entre Computer Centers International, de droit américain (ECCI) et Entre Computer Centers France (ECCF) et à titre incident par Maître de Loth ès qualités de liquidateur de la société Infotech et par Maître Pontois à l'encontre du jugement prononcé de 31 mai 1988 par le Tribunal de commerce de Paris ;

Elle se réfère pour l'exposé des faits et des prétentions des parties aux énonciations du jugement qui en contient une relation très complète et se borne à rappeler :

- que ECCI, qui a développé aux USA un réseau de franchisés dans le domaine de la micro informatique adapté aux PMI s'est intéressée à partir de 1984 au marché européen ; qu'à la suite d'articles de presse parus en France, elle est entrée en rapports avec plusieurs candidats, notamment M. Jean-Marie Egea qui le 31 mai 1985 a signé, sans mention de qualité, un contrat de franchise pour la création et l'exploitation d'un centre de location et de vente de ce type de matériel à Toulouse ; que ce centre a été ouvert en mai 1986 par la société Infotech créée à cet effet, avec MM. Pontois et Egea respectivement comme président et directeur général ; que ECCF a retourné le contrat signé par la société américaine le 6 août 1986 seulement, mais dès le 9 février 1987 d'autres franchisés déçus par la médiocrité de leurs résultats ont assigné ces deux dernières sociétés en nullité de leur contrat respectif pour dol et défaut de cause ; que peu après Maître de Loth, ès qualités de liquidateur de Infotech (qui avait fait l'objet d'une procédure collective de redressement judiciaire le 23 juin 1987, puis de liquidation judiciaire le 20 novembre 1987) et M. Pontois ont fait de même ; qu'entre temps le 9 mars 1987 ECCI a pris la décision de résilier le contrat pour défaut de paiement des redevances ;

Par le jugement entrepris, le tribunal par les dispositions critiquées, a prononcé la nullité pour dol du contrat des 31 mai 1985 et 6 août 1986, estimant par ailleurs que l'absence de cause n'était pas démontrée, a condamné solidairement les défenderesses à payer à Maître de Loth, ès qualités et à M. Pontois respectivement la somme de 15 000 F et de 2 500 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, et a commis M. Fleury en qualité d'expert pour lui fournir les éléments d'appréciation du préjudice allégués par les demandeurs, mettant les dépens de cette partie de l'instance à la charge des sociétés Entre, à l'exception de ceux afférents à la mesure d'instruction qui étaient réservés ;

Les sociétés Entre qui avaient également fait appel des dispositions du jugement en cause, relatives à un autre franchisé, la société Infosud (représentée à l'instance par son liquidateur judiciaire Maître Horel) et M. François Carrive déclarent se désister de leur recours concernant ces deux parties ;

Sur les autres dispositions du jugement relatives à de Loth, ès qualités et à Pontois, elles contestent les motifs du jugement par lesquelles les premiers juges ont estimé qu'elles avaient agi de mauvaise foi, avaient utilisé des arguments de propagande et de publicité trompeurs et avaient induit en erreur les demandeurs qui, sans ces manœuvres, n'auraient pas contracté ; elles font valoir que les griefs retenus par le tribunal ne sont nullement établis, que les obligations d'Infotech trouvaient leur contrepartie dans leur savoir-faire et leur assistance et que l'échec de leur implantation en France tient au fait que, contrairement à leurs études préalables et à leurs prévisions, le marché français n'était pas aussi porteur qu'elles l'avait escompté ;

Concluant à l'infirmation du jugement, elles prient la cour de débouter de Loth ès qualités et Pontois de leur demande, de dire qu'il n'y a pas lieu à expertise et de condamner ces deux derniers solidairement à leur payer 50 000 F pour procédure abusive et 30 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Maître de Loth, ès qualités, souligne que, bien qu'ayant exigé un investissement considérable, un droit d'entrée important et une redevance de 8 % plus 1 % pour les frais de publicité, les sociétés Entre n'ont fourni aucune contrepartie réelle, n'ayant concédé aucune exclusivité territoriale, n'ayant souscrit aucune obligation de fourniture ni de publicité et n'ayant apporté aucun savoir-faire, compte tenu de " l'inadaptation de leur système au marché français " selon les termes du tribunal ;

Il conclut à l'infirmation du jugement, sauf en ce qui concerne le défaut de cause qu'il prie la cour de constater, et à la condamnation des appelantes à lui payer 20 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

M. Pontois qui reprend l'argumentation de de Loth, souligne en particulier que dès le mois de mai 1985, lorsqu'il a signé le contrat de franchise les société Entre n'ignoraient pas le caractère irréaliste de leur projet et se trouvaient dans une fuite en avant, ce qu'elles reconnaîtront d'ailleurs dans un document du 8 octobre 1986 " un nouveau départ pour Entre en France " ; qu'après leur vaine tentative de pénétration du marché français, elles se sont retirées en l'espace de 3 ans, ne laissant derrière elles que dépôts de bilan et faillites personnelles ;

Il soutient qu'en l'absence d'une franchise effective, ses engagements étaient dépourvus de cause et que, de ce chef, également le contrat encourt la nullité, ce qu'il prie la cour de dire ;

Il fait valoir d'autre part qu'afin de bénéficier des prétendus effets de la franchise, il a dû se porter caution à titre personnel des engagements d'Infotech à l'égard du CEPME qui lui réclame 1 372 744,29 F en principal et à l'égard du Crédit Lyonnais à hauteur de 880 000 F en principal au 30 juillet 1987 ;

Il prie en conséquence la cour de condamner les appelantes d'une part à lui payer les sommes de 450 000 F à titre de dommages intérêts et de 50 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, et d'autre part l'une à défaut de l'autre, à le garantir pour toutes les condamnations qu'il pourrait encourir en sa qualité de caution personnelle d'Infotech ;

Considérant qu'il convient de donner acte aux sociétés Entre de leur désistement à l'égard de la société Infosud, représentée par Maître Horel et de Maître Carrige,

Que ces derniers n'ayant pas constitué avoué, ce désistement est parfait ;

Considérant que le contrat soumis à l'appréciation de la cour est celui signé par Egea le 31 mai 1985 concernant le centre qui a été ouvert à Toulouse ; que le contrat signé le 20 juin 1985 par Pontois, visant la création d'un centre à Pau, a été résilié à sa demande d'un commun accord le 21 mai 1986 ; que ces dernières conventions sont étrangères aux débats ;

Qu'il convient par suite de rechercher quelles sont les manœuvres dolosives ayant déterminé Egea à souscrire les engagements qui ont été par la suite repris par Infotech créée dans ce but ;

Que dans leurs conclusions en cause d'appel, les intimées à titre principal ne font état d'aucun acte déterminé des sociétés Entre antérieur au 31 mai 1985 et se bornent à invoquer des publicités tapageuses et des perspectives fallacieuses ;

Que sur le plan du dol, le tribunal a, à bon droit écarté les dossiers marketing qui sont tous postérieurs à mai 1986 ;

Que d'autre part si, selon le tribunal les classeurs " création du centre ", les bulletins " Entre focus ", les dossiers consacrés aux actions de formation, le manuel opérationnel confidentiel ne caractérisent pas, de façon générale, la transmission des connaissances spécifiques propres au marché français, ne décèlent aucun enseignement que l'on ne puisse se procurer sans difficulté dans les manuels d'usage courant et ne constitueraient qu'une compilation avouée ou inavouée d'ouvrages américains, il doit être relevé que ni de Loth ni Pontois ne précisent en quoi ces documents contiendraient des informations mensongères même si elles sont inadaptées au marché français ;

Que ce n'est pas parce que les sociétés Entre qui n'ont souscrit aucune obligation de résultat ont pu avoir en 1984 et 1985 une idée fausse des potentialités de développement de leurs méthodes en France qu'elles peuvent être taxées de mauvaise foi ;

Que le paragraphe extrait d'un de ces documents reproduits par le tribunal précise que " le franchiseur n'assurera aucune responsabilité du fait de tout agrément, conseil ou service fourni au franchisé " ; que cet avertissement n'était pas de nature à tromper les candidats à la franchise sur les obligations souscrites par Entre ;

Que comme l'a relevé le tribunal, les prévisions optimistes dont Egea a pu avoir connaissance avant juin 1985 n'ont pu, en raison de leurs " distorsions " importantes faire illusion face à des techniciens du marketing et de la finance du niveau d'Egea et de Pontois dont le " curriculum vitae " est versé aux débats ;

Qu'Egea diplômé de l'école Supérieure de Commerce de Toulouse, a été pendant 15 ans le directeur administratif et financier de la filiale espagnole de la société Technip ;

Que Pontois, diplômé de l'Ecole Centrale de Paris a été ingénieur de 1978 à 1985 au service de la société ELF Aquitaine dans les recherches pétrolières et a fait état de connaissances de l'informatique et des services informatiques ;

Que celui-ci après avoir en mai 1986 abandonné son projet à Pau, s'est associé à Egea pour celui de Toulouse dans lequel il a reporté ses investissements ;

Que sur le plan du dol, aucun engagement ne peut être tiré du fait qu'Entre n'a signé le contrat que le 6 août 1986, alors qu'à cette date, Egea avait donné son consentement depuis 14 mois ;

Qu'il n'est pas démontré que le franchiseur ait eu connaissance en mai 1985 que la partie allait être perdue, que l'expérience réussie aux USA et en Australie n'était pas, à cette époque, transposable en France et qu'il ait ainsi délibérément trompé Egea en lui extorquant son consentement ;

Qu'à tort le tribunal a annulé ledit contrat pour dol ;

Considérant sur l'absence de cause qu'il n'est pas contesté que ECCI avait mis au point un " Know How " qui avait donné à l'étranger les preuves de son efficacité ; que si son application en France n'a pas donné les résultats escomptés, la raison principale tient non pas à l'inanité intrinsèque de son savoir-faire et de sa méthode, mais à l'état du marché qui, en 1985 et 1986, après une expansion remarquable s'est révélé particulièrement défavorable à la micro informatique;

Que les résultats brillants réalisés selon Pontois par la société " Random ", qui serait un concurrent direct, ne saurait apporter la démonstration contraire ; que dans un article non daté, sous la rubrique " Tempêtes " de la revue Actual, il est annoncé que si Entre a enregistré une perte de 3,4 millions de dollars, Random a elle aussi accusé, pour une période plus brève, des pertes de 20 millions de dollars, ce qui dément les prétentions de Pontois (qui n'en est pas à une erreur d'orthographe) ;

Que dans son rapport de novembre 1983 ECCI ne dissimulait pas que son projet d'implantation en France ne nécessitait que des " relativery modest cash requirement " et que l'essentiel du financement provenait " comes from the franchisés " ; qu'elle n'en a pas moins en 1986 et 1987 selon ses indications, viré en France 4 135 millions de dollars et investi 12,8 millions de F ;

Que malgré certains aspects faibles, la documentation fournie à Infotech, qui débutait dans ce domaine d'activité, était de nature à lui permettre, sans effectuer de recherche ni disposer d'expérience personnelle, d'acquérir immédiatement des connaissances utiles dans la gestion commerciale technique et financière du secteur de la micro informatique;

Que sur ce point, le tribunal qui, par des motifs pertinents, a relevé que le système comportait en outre le droit d'usage et une marque déposée, a, à bon droit débouté les demandeurs de leur action en nullité pour défaut de cause ;

Considérant que la mesure d'expertise prescrite par le tribunal devient sans fondement ;

Considérant qu'en l'absence d'abus dans l'exercice de leurs droits d'ester en justice de la part des intimés, les sociétés Entre doivent être déboutées de leur demande de dommages intérêts ;

Que Pontois qui succombe dans ses prétentions ne peut qu'être débouté de ses demandes de dommages intérêts pour préjudice personnel et de garantie à l'égard des appelantes ;

Que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile pour aucun des deux degrés de juridiction ;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges : Donne acte aux sociétés Entre Computer Centers France et Entre Computers Centers International Inc de leur désistement d'appel à l'encontre de la société Infosud et de M. Carrive et dit qu'elles supporteront les dépens consécutifs à leur recours ; Et statuant sur les autres dispositions critiquées, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Maître de Loth ès qualités et M. Pontois de leur action en nullité du contrat des 3 mai 1985 et 6 août 1986 pour défaut de cause ; Réformant pour le surplus, Déboute les mêmes de leur action en nullité des mêmes conventions pour dol ; Les déboute également de leur action respective d'indemnisation ; Déclare sans objet l'expertise ordonnée par le tribunal et confiée à Maître Fleury ; Déboute les sociétés Entre Computer Centers France et Entre Computer Centers International Inc de leur demande d'indemnisation pour procédure abusive ; Déboute M. Pontois de sa demande de garantie, Déboute les parties de leur demande respective au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile pour les deux degrés de juridiction ; Condamne Maître de Loth, ès qualités et M. Pontois aux dépens de première instance et d'appel à l'exception des dépens concernant pour les deux instances la société Infosud et M. Carrive qui resteront à la charge des sociétés Entre Computer Centers France et Entre Computer Centers International Inc ; Admet la société civile professionnelle Valdelièvre Garnier au bénéfice de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.