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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 3 juillet 1992, n° 90-24372

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Coiffure Sylvie (SARL)

Défendeur :

Parfums Nina Ricci (SA), Clarins (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Serre

Conseillers :

Mme Garnier, M. Bouche

Avoués :

SCP Bernabé, SCP Faure Arnaudy

Avocats :

Mes Couvrat, Anahory.

T. com. Paris, 1re ch., du 8 oct. 1990

8 octobre 1990

La société à responsabilité limitée Coiffure Sylvie a interjeté appel d'un jugement rendu le 8 octobre 1990 par le Tribunal de commerce de Paris qui :

- l'a déboutée quant à présent des demandes fondées sur les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986, par elle formées à l'encontre de la société anonyme Nina Ricci et l'a condamnée à payer à celle-ci la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

- a pris acte de ce qu'elle-même et la société anonyme Clarins se désistaient mutuellement de leurs demandes.

Le 29 décembre 1988 la société Ricci a conclu avec Mme Courdier qui exploitait à Champagnole (39) un fonds de commerce de coiffure pour dames et de vente au détail de parfumerie, un contrat de distributeur agréé pour une durée d'un an.

Les conditions générales de vente annexées audit contrat stipulaient :

- à l'article 3-3-2 : que le point de vente devait être distributeur agréé d'au moins 4 des 12 marques citées dans la cause,

- à l'article 4-8 que le chiffre d'affaires annuel était de 35 000 F hors taxes,

- à l'article 8-2 : " Au cas où le distributeur agréé cesserait la direction effective et constante de son fonds de commerce notamment par suite de cession...le présent contrat serait résilié de plein droit...sauf accord spécial conclu entre les parties ".

Par acte notarié du 4 avril 1989 M. et Mme Courdier ont vendu le fonds de commerce " exploité par la société à responsabilité limitée Courdier ", à la société Coiffure Sylvie.

Le 9 mai 1989, la société Nina Ricci, après examen du dossier,

- a refusé de reconnaître le contrat la liant " à Mme Courdier et qui était intuitu personae ".

- a demandé à la société Coiffure Sylvie de lui retourner le stock de ses produits.

La société Nina Ricci n'a pas honoré les commandes passées par la société Coiffure Sylvie.

Par acte du 22 décembre 1989 la société Coiffure Sylvie l'a assignée ainsi que la société Clarins ; elle demandait au tribunal :

- de dire injustifiées au regard des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les refus de vente opposés par les deux sociétés,

- de dire que celles-ci seraient tenues de livrer les commandes passées, sous astreinte.

La société Nina Ricci a fait valoir :

- que les réseaux de distribution sélective étaient licites au regard du traité de Rome et de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

- que la société Coiffure Sylvie n'avait pas satisfait aux conditions prévues à l'article 3-3-2 des conditions générales de vente,

- qu'elle ne lui avait pas restitué les stocks et les avait vendus sans autorisation, ce qui la rendait demandeur de mauvaise foi.

Le 2 juillet 1990, les sociétés Coiffure Sylvie et Clarins ont déclaré se désister mutuellement de leurs demandes.

Le tribunal, après avoir notamment constaté que l'obligation pour un candidat au contrat, d'être distributeur d'au moins 4 des 12 marques stipulées dans les conditions générales de vente, constituait un critère objectif, condition de la licéité de la convention, a rendu le jugement déféré à la Cour.

La société Coiffure Sylvie fait valoir au soutien de son appel :

- que le choix d'un distributeur agréé doit être fondé sur des critères objectifs,

- qu'en sa qualité de cessionnaire d'un point de vente répondant aux critères objectifs préalablement définis par le fabricant elle remplit les conditions nécessaires à l'agrément qui ne saurait revêtir un caractère intuitu personae,

- qu'elle respecte le statut des distributeurs agréés de parfums élaborés par la Fédération Française de l'Industrie des Produits de la Parfumerie, suite à l'avis rendu par la Commission de la concurrence,

- qu'on ne peut lui reprocher le non respect par son prédécesseur du chiffre d'affaires minimum fixé au contrat,

- qu'elle a obtenu la confiance de plusieurs parfumeurs, d'une réputation égale à celle des 12 fabricants arbitrairement cités par la société Nina Ricci qui, au surplus ne démontre pas que le cédant distribuait 4 des 12 marques par elle considérées comme essentielles,

- que la clause 8-2 du contrat de distribution qui stipule la résiliation en cas de cession est abusive et viole les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et celles du traité de Rome,

- que le refus de vente opposé par la société Nina Ricci porte atteinte aux principes de la liberté du commerce et de l'industrie,

- que ses demandes de fourniture ne peuvent être considérées comme faites de mauvaise foi, sous prétexte qu'elle s'est approvisionnée sur le marché parallèle dès lors que cet approvisionnement n'est pas antérieur aux commandes passées auprès du concédant.

La société Nina Ricci réplique :

- que le refus de vente fondé sur l'inobservation par la cédante des minima d'achats à effectuer et l'absence de produits concurrents librement choisis par le fabricant et visés dans le contrat est licite,

- que la convention a été régulièrement résiliée lors de la cession conformément aux conditions générales de vente,

- que l'article 85 du traité de Rome et les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne sauraient recevoir application en l'espèce, compte tenu du faible pourcentage du marché par elle détenue et du nombre d'opérateurs concurrents intervenant dans cette branche d'activité,

- que le constat dressé le 13 janvier 1991 a établi que la société Coiffure Sylvie vendait des produits Nina Ricci, malgré interdiction,

- que, compte tenu de l'importance des stocks lors de la cession, et de la gamme offerte par la société Sylvie plus d'un an après, il était évident que celle-ci s'était approvisionnée sur le marché parallèle,

- que dans ces conditions, sa demande de fournitures a été faite de mauvaise foi ;

Concluant à l'infirmation de la décision entreprise, la société Coiffure Sylvie demande à la Cour :

- de dire que le refus de vente de la société Nina Ricci est illégitime et contraire aux dispositions des articles 7 et suivants de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

- de condamner la société Nina Ricci à la livrer, sous astreinte de 2 000 F par jour, 8 jours après réception de la première commande,

- de condamner la société Nina Ricci à lui verser la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et celle de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- de débouter la société Nina Ricci de ses prétentions,

- de lui donner acte de ce qu'elle se désiste purement et simplement de l'appel interjeté à l'encontre de la société Clarins ;

Concluant à la confirmation du jugement déféré, la société Nina Ricci prie la Cour :

- de constater que la demande de livraison faite par la société Coiffure Sylvie est anormale au sens de l'article 36 alinéa 2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

- de dire que le refus de vente était justifié,

- de condamner la société Coiffure Sylvie à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 30 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- d'interdire à la société Coiffure Sylvie de vendre ses produits sous astreinte définitive de 1 000 F par infraction constatée, chaque infraction étant constituée par la détention, l'offre ou la vente d'un seul produit,

- d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans trois journaux ou revues de son choix, aux frais de l'appelante sans que le coût de ces publications excède la somme de 35 000 F hors taxes.

I- Sur le désistement d'appel interjeté à l'encontre de la société Clarins

Considérant que par conclusions du 10 janvier 1991 la société Coiffure Sylvie demande à la Cour de lui donner acte de ce qu'elle se désiste de l'appel interjeté à l'encontre de la société Clarins,

Considérant que la société Clarins n'a pas constitué avoué,

Considérant en conséquence qu'il convient de faire droit à ce chef de demande ;

II- Sur le refus de vente

Considérant que le contrat de distribution sélective est celui par lequel un fournisseur s'engage à approvisionner dans un secteur déterminé un ou plusieurs commerçants qu'il choisit en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif sans discrimination et sans limitation quantitative injustifiée et par lequel le distributeur est autorisé à vendre d'autres produits,

Qu'un tel contrat est licite dès lors qu'il tend essentiellement par les obligations qui s'imposent réciproquement les cocontractants à assurer dans divers domaines dont notamment le commerce d'articles de marque et de luxe, un meilleur service au consommateur ;

Considérant que la clause 8-2 des conditions générales de vente qui stipule la résiliation de plein droit du contrat en cas de cession du fonds de commerce, a pour objet de permettre au fournisseur de vérifier si le cessionnaire du fonds de commerce, personne juridique, distincte du cédant, remplit les critères objectifs par lui définis pour la distribution des produits de sa marque,

Qu'une telle clause, conforme aux dispositions de l'article 1165 du Code civil, n'est, nonobstant les allégations de la société Coiffure Sylvie prohibée ni par l'ordonnance du 1er décembre 1986, ni par le traité de Rome;

Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats que la société Nina Ricci a modifié à compter de l'année 1989, ses conditions générales de vente et imposé à ses cocontractants, l'obligation, d'une part de réaliser un chiffre d'affaires annuel hors taxes de 35 000 F, d'autre part, de distribuer ou d'être en " pourparlers avancés " leur permettant de distribuer dans les 6 mois, 4 des 12 marques par elle sélectionnées,

Considérant que c'est à juste titre que le tribunal a estimé que la société Nina Ricci ne pouvait reprocher à la société Coiffure Sylvie le non respect par le cédant du fonds du chiffre d'affaires minimum fixé au contrat ;

Mais considérant que l'obligation imposée à un distributeur de vendre un certain pourcentage de produits concurrents, considérés par le fabricant comme équivalents aux siens, ou de nature à mettre en valeur l'image et la notoriété de sa marque, constitue un critère objectif dès lors que cette obligation est imposée à l'ensemble du réseau;

Considérant que la société Coiffure Sylvie qui ne justifie pas, nonobstant les demandes à elles faites par la société Nina Ricci, avoir obtenu l'autorisation de distribuer au moins 4 des 12 marques considérées par celle-ci comme essentielles à la promotion de ses propres produits, n'est pas fondées à reprocher à l'intimée son refus d'agrément, et le refus de vente consécutif ;

Considérant que la société Coiffure Sylvie ne saurait pour les besoins de son argumentation, se prévaloir des dispositions des articles 7 et suivants de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ou celle de l'article 85 § 1 du traité de Rome, dès lors qu'elle ne produit aucun élément établissant la réalité de pratiques anticoncurrentielles fondées sur les ententes ou positions dominantes, ni celle de pratiques concertées de nature à affecter le commerce entre Etats membres de la Communauté, ayant pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence,

Qu'au surplus, il ressort des documents produits par la société Nina Ricci que celle-ci détient moins de 4 % du marché européen de produits de parfumerie de luxe, et n'exerce, compte tenu du nombre d'opérateurs intervenant dans cette branche d'activité, aucune influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle sur les courants d'échanges entre Etats membres ;

Considérant en conséquence qu'il convient de débouter la société Coiffure Sylvie de ses demandes fondées sur le refus de vente et l'allocation de dommages-intérêts ;

III- Sur la demande de la société Nina Ricci

Considérant que par lettre du 9 mai 1988, la société Nina Ricci a refusé son agrément à la société Coiffure Sylvie et lui a demandé de lui retourner le stock en sa possession ;

Considérant que par procès-verbal dressé le 13 février 1991, Maître Blanc, huissier de justice, a constaté que la société Coiffure Sylvie offrait à la vente les produits de la gamme Nina Ricci ;

Considérant qu'en commercialisant, 2 ans 1/2 après notification du refus d'agrément, les produits Nina Ricci, la société Coiffure Sylvie a sciemment porté atteinte au réseau de distribution sélective ;

Considérant en conséquence qu'il convient de faire droit à la demande de la société Nina Ricci, dans les termes fixés au dispositif du présent arrêt ;

IV- Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

Considérant que la société Coiffure Sylvie qui succombe n'est pas fondée à solliciter une somme au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Nina Ricci les frais irrépétibles qu'elle a engagés et que la Cour fixe, compte tenu des éléments de la procédure à 5 000 F toutes taxes comprises ;

Par ces motifs, Donne acte à la société Coiffure Sylvie de ce qu'elle se désiste de l'appel interjeté à l'encontre de la société Clarins, Confirme le jugement entrepris, Y ajoutant, Condamne la société Coiffure Sylvie à payer à la société Nina Ricci, la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts, Lui interdit de vendre les produits Nina Ricci, sous astreinte de 300 F pour infraction constatée celle-ci étant constituée par la vente d'un seul produit, Ordonne la publication du présent arrêt dans trois journaux ou revues choisis par la société Nina Ricci, aux frais de la société Coiffure Sylvie, Dit que le coût global de ces publications ne pourra excéder la somme de 25 000 F hors taxes, Condamne la société Coiffure Sylvie à payer à la société Nina Ricci la somme de 5 000 F toutes taxes comprises au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, La déboute de ses demandes, La condamne aux dépens d'appel, Admet la société civile professionnelle d'avoués Faure Arnaudy, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.