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Décisions

CA Grenoble, ch. d'accusation, 8 juillet 1992, n° 438-92

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Richard Nissan (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Farge

Conseillers :

M. Armingaud, Mme Brenot

Avocats :

Mes Clement-Cuzin, Caillat, Reynaud

TGI Grenoble, ch. corr., du 7 avr. 1992

7 avril 1992

Attendu que l'examen du dossier révèle ce qui suit :

Le 7 janvier 1991, Jean-Pierre Richard, président du conseil d'administration de la société anonyme Richard Nissan, titulaire d'un contrat exclusif d'importation sur le territoire français des véhicules automobiles de la marque japonaise Nissan, a porté plainte contre X avec constitution de partie civile, du chef de publicité mensongère et illicite, en visant l'activité d'une société I qui avait fait insérer dans le journal " Auto Plus " du 13 mars 1990 l'annonce suivante :

" Voitures neuves moins chères.

Exemples :

- 12% S/R 21 Turbo D,

- 14% S/Patrol 2,8 TD court, livraison possible dans toute la France, crédit-leasing

- I : 10, rue Duployé 38100 Grenoble tél / 76.43.19.02 "

L'appellation " Patrol " correspond à un modèle de la marque Nissan.

L'enquête a révélé que " I " était l'enseigne commerciale d'une entreprise exploitée en nom personnel par Danielle P.

Inculpée le 4 septembre 1991, celle-ci a justifié qu'elle intervenait en qualité de mandataire de ses clients désireux d'importer un véhicule acheté à l'étranger pour un prix moindre qu'en France.

L'ordonnance de non-lieu fait référence à l'arrêt du 16 janvier 1992 de la Cour de justice des Communautés européennes qui dit, en substance, que la directive 84-4550 CEE du conseil, du 10 septembre 1984, doit être interprétée en ce sens qu'elle ne fait pas obstacle à ce qu'une publicité, y compris celle d'un mandataire ni concessionnaire, ni même vendeur d'automobile, présente des véhicules comme étant neufs, moins chers et bénéficiant de la garantie constructeur, lorsque ces véhicules sont immatriculés pour les seuls besoins de l'importation qu'ils n'ont jamais circulé et qu'ils sont vendus dans un Etat membre à un prix inférieur à celui pratiqué par les concessionnaires établis dans ledit Etat membre.

Attendu que dans leur mémoire les avocats de la partie civile soutiennent que l'arrêt précité a simplement énoncé qu'un intermédiaire en automobile, comme l'inculpée, était en droit, pour vanter son activité, de faire de la publicité même à propos d'une marque déterminée ;

Que, néanmoins, un tel intermédiaire doit se garder de créer dans l'esprit du public une confusion donnant l'impression qu'il est un revendeur, cela ainsi que le recommande la circulaire de clarification de l'activité des intermédiaires en automobile publiée le 18 décembre 1991 au Journal Officiel des Communautés européennes ;

Que la publicité incriminée n'indique ni la qualité de mandataire d'I, ni la nature des services proposés, lesquels services sont radicalement différents de ceux fournis par un concessionnaire qui, à la différence d'un simple intermédiaire, supporte les risques afférents à la propriété, assure un service après-vente, dispose de véhicules en stock ;

Que, dès lors, faute d'avoir fait expressément ressortir qu'elle agissait comme intermédiaire prestataire de services et non comme revendeur, l'inculpée doit être renvoyée devant le tribunal correctionnel du chef du délit prévu par l'article 44 I de la loi du 27 décembre 1973 ;

Attendu que le procureur général requiert confirmation de l'ordonnance de non-lieu ;

Attendu que Danielle P sollicite confirmation de l'ordonnance de non-lieu en faisant valoir que :

- son activité d'intermédiaire en automobile est licite ;

- l'acheteur du magazine " Auto Plus " est parfaitement informé du procédé consistant à acheter moins cher des véhicules à l'étranger, procédé dont la grande presse elle-même s'est fait écho ;

- toutes les mentions de la publicité incriminée sont exactes ;

- le nom commercial " I " révèle l'activité d'intermédiaire mandaté pour l'importation d'automobiles ;

- ainsi, le consommateur moyen ne pouvait être trompé et, du reste, aucun client ne s'est jamais plaint ;

Attendu qu'un intermédiaire en automobile est en droit, pour vanter son activité, de faire de la publicité, même à propos d'une marque déterminée;

Que, néanmoins, un tel intermédiaire doit se garder de créer dans l'esprit du public une confusion donnant l'impression qu'il est un revendeur;

Attendu que, par son laconisme, la publicité faite par Danielle P dans le journal " Auto plus " est de nature à induire en erreur sur les conditions et procédés de vente, sur la portée des engagements pris par l'annonceur ainsi que sur ses qualités et aptitudes;

Qu'en effet, l'annonce litigieuse ne précise nullement qu'I intervient comme mandataire alors que toutes les énonciations incitent le lecteur à penser que l'annonceur offre des véhicules à la vente; que le nom commercial I, s'il évoque une activité d'importation, ne peut suffire à indiquer que cette activité se réduit à celle de mandataire ;

Que les services fournis par un mandataire sont différents de ceux fournis par un concessionnaire en automobile qui, à la différence d'un simple intermédiaire, supporte les risques afférents à la vente, assure un service après-vente et dispose de véhicules en stock ;

Attendu qu'il est indifférent que le lecteur habituel du magazine spécialisé " Auto Plus " soit au fait du procédé faisant l'objet de l'annonce ; que le délit de la publicité mensongère s'attache uniquement au contenu de la publicité adressée à un consommateur dépourvu de connaissances particulières, qu'il est tout aussi indifférent que le client puisse s'informer ultérieurement, à la lecture du contrat, de la nature exacte de l'opération et qu'il soit satisfait de la prestation fournie ;

Attendu, dès lors, qu'il existe contre Danielle P des charges constitutives du délit prévu par l'article 44 I de la loi du 27 décembre 1973 ;

Par ces motifs : LA COUR, Chambre d'accusation siégeant en chambre du conseil, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme l'ordonnance déférée ; Statuant à nouveau, dit qu'il existe contre Danielle P charges suffisantes d'avoir, sur le territoire national, courant mars 1990, fait paraître une publicité qui comportait des allégations, indications ou présentations de nature à induire en erreur portant sur les conditions de vente de biens ou services, qui faisaient l'objet de la publicité, procédés de la vente ou de la prestation de services, porté des engagements pris par l'annonceur, qualités ou aptitudes du prestataire ; délit prévu et puni par l'article 44 I de la loi du 27 décembre 1973 et l'article 1er de la loi du 1er août 1905 ; Ordonne le renvoi de Danielle P devant le tribunal correctionnel de Grenoble pour y être jugée du chef du délit ci-dessus spécifié.