CA Douai, 2e ch. civ., 6 octobre 1992, n° 508-91
DOUAI
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Martinez-Nadaud (Époux)
Défendeur :
Pingouin (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vandewyhaeghe
Conseillers :
MM. Bouly, Théry
Avoués :
SCP Cochemé-Kraut, Me Gautier
Avocats :
Mes Espinosa, Larrue.
Attendu que par jugement du 12 décembre 1990, le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing statuant sur la demande de la Lainière de Roubaix a :
- débouté Monsieur Martinez de son exception d'incompétence ;
- constaté la résiliation de leurs conventions aux torts réciproques de la Lainière de Roubaix et Madame Martinez, et ce à la date du 31 août 1988,
- condamné les époux Martinez à payer à la Lainière de Roubaix la somme de 340 488,53 F avec intérêts de droit ;
Attendu que le 21 janvier 1991 José Martinez et Nicole Nadaud son épouse ont interjeté appel de ce jugement ;
Qu'aux termes de conclusions déposées le 15 mai 1991, ils demandaient à la cour :
I°) En ce qui concerne la dame Martinez :
De dire que la société Lainière de Roubaix est entièrement responsable de sa situation financière catastrophique sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du code civil, de la débouter de toutes ses demandes et de la condamner à payer la somme de 150 000 F à titre de dommages et intérêts, du fait de l'endettement important qu'elle lui a causé, la somme de 50 000 F à titre de procédure abusive et celle de 20 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
II°) En ce qui concerne le sieur Martinez :
- de dire le tribunal de grande instance de Bordeaux seul compétent ;
- de prononcer la nullité du cautionnement qu'il a souscrit ;
- de débouter la société Lainière de Roubaix de ses demandes ;
- de la condamner au paiement d'une somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts et de celle de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile :
Qu'ils exposent à l'appui de leur recours quant aux faits :
- que la dame Martinez exploitait en vertu d'un contrat de franchise du 11 décembre 1985 rue nationale à Saint André de Cubzac (Gironde) un magasin à l'enseigne " Pingouin " dans des conditions bénéficiaires et sans recours à aucun crédit ;
- que courant 1985, un centre commercial fut créé sur la zone industrielle de Saint André de Cubzac dans lequel la société Lainière de Roubaix souhaita établir son magasin de vente ;
- qu'elle exigea de la dame Martinez de fermer son magasin Rue Nationale à Saint André de Cubzac pour le transférer dans la galerie du centre commercial et que pour emporter son adhésion elle lui a remis une étude avec la perspective de résultats particulièrement promettants ;
- qu'elle exigea de la dame Martinez pour l'acquisition d'un droit au bail dans le centre commercial des investissements importants qui ne purent être réalisés qu'avec la mise en place d'un prêt de 300 000 F de la Société Générale ; qu'elle exigea encore de la dame Martinez qu'elle s'approvisionne exclusivement auprès de la Lainière de Roubaix et à ne pas distribuer de marques concurrentes ;
- que le centre commercial fut un échec et dû être fermé ; qu'elle se trouva confrontée à des difficultés de trésorerie importantes et que le 23 juillet 1988 elle informa la société Lainière de Roubaix de son intention de vendre ;
- que le 30 août 1988 la Société Lainière de Roubaix l'a mise en demeure de payer la somme de 340 988,33 F ;
Que la dame Martinez fait valoir en ce qui la concerne :
- que la société Lainière de Roubaix l'a obligée à se déplacer sur le centre commercial de Saint André de Cubzac et à y effectuer des investissements importants sans avoir effectué au préalable une étude de marché véritablement sérieuse ;
- que la société Lainière de Roubaix a manqué à son obligation de moyen en ne fournissant pas l'aide permettant de faire face aux investissements importants qu'on exigeait d'elle ; que sa responsabilité se trouve engagée sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du code civil et que la résiliation des rapports contractuels doit intervenir aux torts de la société Lainière de Roubaix qui doit être déboutée de toutes ses demandes en remboursement tant en ce qui concerne le prêt de la Société Générale pour lequel elle bénéficie d'une subrogation qu'en ce qui concerne l'ouverture de crédit d'avances sur marchandises ;
- que dans l'hypothèse où la cour l'obligerait au paiement des sommes dues en vertu des contrats, il y aurait lieu de condamner la société Lainière de Roubaix à lui payer des dommages et intérêts pour un montant équivalent pour le préjudice qu'elle lui a causé en faisant disparaître son commerce du centre de la ville de Saint André de Cubzac, en l'obligeant à se déplacer sur le centre commercial, et à contracter des dettes importantes pour la laisser sans ressources ;
Que José Martinez fait valoir en ce qui le concerne qu'il est agriculteur et que le cautionnement qu'il a consenti pour un contrat de prêt d'avances sur marchandises ne présente aucun caractère commercial ; qu'en outre, ce contrat est entaché d'irrégularités au regard des dispositions des articles 1326 et 2015 du Code Civil, le montant de l'engagement n'étant pas précisé ; qu'il a été également induit en erreur par la société Lainière de Roubaix ;
Attendu que les 22 mai et 9 décembre 1991 la société Pingouin, venant aux droits de la société Lainière de Roubaix a déposé des conclusions pour demander à la cour :
- de débouter José Martinez de son exception d'incompétence ;
- de constater la résiliation des conventions intervenues entre les parties aux torts et griefs de Madame Martinez et ce à effet du 30 août 1988 ;
- de condamner solidairement les époux Martinez à lui payer la somme de 340 988,53 F avec intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 11 août 1988 et ordonner la capitalisation des intérêts en vertu de l'article 1154 du code civil ;
- de les condamner sous la même solidarité à lui payer la somme de 10 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Qu'elle fait valoir :
I°) Sur l'exception d'incompétence et la validité de l'acte de caution :
- que José Martinez était partie au contrat passé entre son épouse, la société Lainière de Roubaix et la Société Générale, qui s'analyse en une ouverture de crédit bancaire de 300 000 F et en une ouverture de crédit en marchandises de 100 000 F ;
- que le cautionnement fourni par José Martinez n'était pas soumis aux obligations des dispositions de l'article 1326 du code civil ;
II°) Sur le montant de sa créance :
Que la dame Martinez n'a jamais contesté qu'elle s'élevait à 340 988,53 F ;
Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats quant aux faits et à la procédure :
- que le 11 décembre 1984, la dame Martinez a passé avec la société La Lainière de Roubaix un contrat de franchise pour l'exploitation sous l'enseigne " Pingouin " d'un fonds de commerce sis à Saint André de Cubzac, 2 place du général de Gaulle ;
- que le 1er juillet 1986, sans résiliation du contrat antérieur, la dame Martinez transférait son fonds de commerce dans une cellule qu'elle prenait en location au Centre Commercial récemment ouvert dans la ville ;
- qu'à cette occasion, le 12 juin 1988, une convention était signée entre la société La Lainière de Roubaix, les époux Martinez et la Société Générale aux termes de laquelle cette dernière ouvrait un crédit à long terme de 300 000 F pour l'aménagement de la cellule commerciale que les époux Martinez s'engageaient à rembourser en 10 ans ; qu'en outre la société La Lainière de Roubaix leur consentait un crédit marchandise à concurrence de 100 000 F ;
- qu'au cours des exercices 1986, 1987 et 1988, l'exploitation de ce fonds de commerce fut déficitaire et que le 23 juillet 1988, la dame Martinez avisait la société Lainière de Roubaix de son intention de le vendre ;
- que le 7 mars 1989, la société Lainière de Roubaix assignait les époux Martinez en paiement des sommes restant dues tant sur le crédit qu'elle avait consenti que sur celui accordé par la Société Générale pour lequel elle s'était portée caution :
- que par le jugement entrepris, le tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing a fait droit à ces demandes tout en prononçant au préalable la résiliation des contrats liant les parties à leurs torts réciproques ;
Attendu qu'aux termes du contrat de franchise passé le 11 décembre 1984, la société Lainière de Roubaix s'engageait à l'égard du franchisé à une obligation d'assistance et de conseil ; que plus précisément et préalablement à l'installation du point de vente, le franchiseur devait proposer au franchisé des éléments d'appréciation lui permettant de prendre sa décision d'implantation et l'assister dans ses recherches d'un pas de porte correspondant à l'investissement qu'il était disposé à réaliser ;
Attendu qu'il n'apparaît pas à cet égard que le choix de l'implantation en centre ville, 2 place du Général de Gaulle ne fût pas judicieux puisque les résultats des exercices 1984 et 1985 furent positifs, se traduisant par un chiffre d'affaires de 266 280 F en 1984 et de 33 664 F en 1985 et un bénéfice de 9 961 F en 1984 et de 33 664 F en 1985 ;
Qu'en revanche, les résultats de l'exploitation du même fonds de commerce transféré dans une cellule du centre commercial créé à Saint André de Cubzac furent sous la direction de la même personne largement déficitaires avec des pertes de :
- 6 061 F pour un chiffre d'affaires de 481 843 F en 1986 ;
- 70 753 F pour un chiffre d'affaires de 577 529 F en 1985 ;
- 137 020 F pour un chiffre d'affaires de 463 183 F en 1986 ;
Qu'il ressort que le transfert du fonds de commerce fut une initiative des plus malheureuses ; que la société Lainière de Roubaix a contribué à sa réalisation et s'y est même intéressée, car elle a négocié auprès de la Société Générale le prêt nécessaire au financement de l'aménagement de la cellule commerciale - délivré à sa " demande expresse ", apporté sa garantie, ouvert elle-même un crédit marchandise, et au préalable fourni des prévisions de chiffres d'affaires prévoyant 1 100 000 F en 1986, 1 250 000 F en 1987 et 1 400 000 F en 1988 ;
Attendu que ces renseignements se sont révélés totalement inexacts, car au bout de trois ans les chiffres d'affaires réalisés atteignaient à peine le tiers de ce qui avait été prévu ; que ces indications auraient dû être d'autant plus prudentes et modérées que le centre commercial de Saint André de Cubzac s'ouvrait ; qu'en tout cas l'ampleur de l'erreur traduit la légèreté des études de marché préalables à l'établissement des données soumises au franchisé pour qu'il puisse effectuer son choix ; qu'il s'en suit que la Société La Lainière de Roubaix, qui ne saurait prétendre ne donner de prévisions qu'à titre indicatif, a manqué à son obligation de conseil et de fourniture de renseignements sérieux; que cette obligation s'impose à elle avec d'autant plus de rigueur qu'à la différence du simple vendeur détaillant dont elle s'adjoint le concours, elle dispose d'une expérience et d'une compétence à l'échelle de son large rayonnement sur le territoire national ;
Attendu qu'il n'est pas démontré, ni même allégué par la société La Lainière de Roubaix à l'encontre de la dame Martinez une quelconque faute, négligence ou incompétence dans l'exploitation de son fonds de commerce dont les résultats sur l'emplacement antérieur étaient en constante progression et procuraient au franchisé un bénéfice de 9,80 % ;
Que l'étude comparative des documents comptables soumis à la lecture de la cour révèle qu'en contrepartie d'une augmentation du chiffre d'affaires au regard de ce qui était réalisé en ville (47%), il y a des charges financières annuelles de plus de 40 000 F alors qu'antérieurement il n'y avait aucun recours au crédit ; que depuis le loyer triplait de sorte que la dame Marinez s'est révélée incapable de le payer, ce qui a conduit à la résiliation du bail et à un impayé de 84 847 F au 1er décembre 1988 ;
Que ces données confirment à nouveau l'imprévoyance et le peu de réalisme avec lesquels il fut procédé au transfert du fonds de commerce et assurée à cette occasion l'assistance au franchisé dans la recherche d'un pas de porte prévue au contrat ;
Attendu qu'il s'en suit que la société la Lainière de Roubaix doit être déclarée entièrement responsable de la situation née d'un choix d'implantation qu'elle a conseillée, favorisée et organisée comme point de vente pour le franchisé ; qu'il y a lieu de la débouter de toutes ses demandes dirigées contre les époux Martinez à raison de la garantie qu'elle a apportée au prêt versé par la Société Générale à sa " demande expresse " ;
Qu'il y a lieu également de la condamner à payer aux époux Martinez une somme de 90 000 F à titre de dommages et intérêts et une somme de 5 000 F à titre d'indemnité pour frais irrépétibles sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Qu'il incombera cependant à la dame Nicole Nadaud et José Martinez es qualités de caution, partie au contrat commercial, de rembourser à la société La Lainière de Roubaix la somme de 78 529,77 F, montant des marchandises qu'elle leur a livrées et qui sont restées impayées ;
Par ces motifs : Donne acte à la SCP Cochemé-Kraut, avoués associés, de ce qu'elle reprend l'instance aux lieu et place de Maître Cochemé, avoué précédemment constitué ; Reçoit les époux Martinez-Nadaud en leur appel ; Le dit partiellement fondé ; Infirme le jugement entrepris, et statuant à nouveau, Condamne les époux Martinez Nadaud à payer à la société La Lainière de Roubaix la somme de 78 529,77 F avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 11 août 1988 ; Condamne la société La Lainière de Roubaix à payer aux époux Martinez Nadaud la somme de 90 000 F avec intérêts au taux légal à compter du 15 mai 1991 date de la demande ainsi que la somme de 5 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; La déboute du surplus de ses demandes ; La condamne aux dépens de première instance et d'appel ; Autorise Maître Gautier, avoué à la Cour, à recouvrer les dépens d'appel en application de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.