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Décisions

CA Versailles, 13e ch., 29 octobre 1992, n° 4978-91

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Hédiard (SA)

Défendeur :

Delouvée (Epoux), Epica (SARL), Ouizille (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Monteils

Conseillers :

MM. Doze, Monin-Hersant

Avoués :

SCP Gas, SCP Jullien-Lecharny

Avocats :

Mes Bacrie, Berger-Perrin.

T. com. Nanterre, du 16 avr. 1991

16 avril 1991

Les époux Delouvée, à la suite d'une annonce passée par la société Hédiard sont entrés en relation avec cette société pour l'ouverture éventuelle d'un magasin de la marque dans le cadre d'un contrat de franchise.

Le 18 janvier 1989, M. Patrick Delouvée et Hédiard ont signé un protocole d'étude de faisabilité par lequel Hédiard confirme à M. Delouvée qu'il a été sélectionné comme candidat à l'acquisition de la franchise Hédiard, lui réserve une zone d'exclusivité : Sèvres, Chaville, Ville d'Avray, Viroflay, Medon, Bellevue, Marnes la Coquette, décrit l'étude de faisabilité ; oblige M. Delouvée à effectuer un stage d'initiation chez Hédiard ; et par lequel M. Delouvée verse une somme de 20 000 F affectée à l'évaluation de la valeur commerciale du local que M. Delouvée propose, à la garantie de la réservation du territoire d'exclusivité et aux frais de dossier.

Un contrat de franchise type a alors été remis à M. Delouvée, ainsi qu'un compte d'exploitation prévisionnel pour une ville x.

Le 14 février 1989, M. Delouvée représentant la SARL Epica en formation a signé un bail commercial pour un immeuble sis Grande Rue à Sèvres pour un loyer annuel de 124 800 F payable par trimestre. Il a versé un dépôt de garantie de 31 200 F.

Par la suite Hédiard a remis à M. Delouvée un rapport sur le projet d'implantation d'un magasin franchisé à Sèvres.

Ce rapport fait état d'un chiffre d'affaires de 4 000 000 F la première année.

Le contrat de franchise a été signé le 17 février 1989 par les époux Delouvée et la SARL Epica. Ceux-ci ont versé 200 000 F à titre de droit d'entrée et se sont engagés à verser une redevance proportionnelle à 10 % du chiffre d'affaires HT, au minimum 250 000 F la première année.

Le magasin a été ouvert le 16 mai 1989, et dès le 13 juin 1989, M. Delouvée s'est plaint auprès du franchiseur de difficultés relatives surtout à la livraison de produits frais.

Le 21 juin 1989, Hédiard a répondu longuement à M. Delouvée en admettant l'ensemble des anomalies, qu'il a qualifiées d'erreurs administratives.

C'est le 20 octobre 1989 qu'a été remise à M. Delouvée une " bible du franchisé " à laquelle celui-ci a aussitôt reproché de ne pas comporter de manuel concernant l'activité traiteur.

Le 16 novembre 1989, les époux Delouvée et la SARL Epica ont assigné la société Hédiard aux fins de nullité du contrat de franchise, restitution des sommes versées et dommages-intérêts de 1 500 000 F. Ils ont invoqué la nullité du contrat pour dol, absence de cause, indétermination du prix.

La société Hédiard a en un premier temps soulevé l'incompétence du Tribunal de commerce de Nanterre, puis a fait contredit au jugement par lequel ce tribunal retenait sa compétence. Ce contredit a été jugé irrecevable (arrêt du 25 octobre 1990).

Par un jugement du 16 avril 1991, le Tribunal de commerce de Nanterre a prononcé, du fait de la société Hédiard, la nullité du contrat de franchise signé le 17 février 1989 entre les parties,

- a ordonné la restitution des redevances versées à la société Hédiard en exécution du contrat nul, soit :

- 200 000 F au titre de droit d'entrée ;

- 41 000 F au titre des redevances à parfaire,

- a condamné la société Hédiard à verser aux demandeurs sans délai à titre de provision sur dommages-intérêts la somme de 400 000 F et a sursis à statuer sur le montant effectif des dommages-intérêts et d'indemnité au titre de l'article 700 du NCPC, que la société Hédiard devra verser aux demandeurs,

- a dit sans objet les demandes formulées en concurrence déloyale sur le contrat nul,

- a désigné un expert, avec pour mission de donner au tribunal tous éléments d'évaluation du préjudice effectif des demandeurs résultant de la nullité du contrat de franchise en tenant compte en particulier des montants qu'ils ont investis de la valeur résiduelle des investissements et des sommes pouvant en être retirées, des pertes ou profits de l'exploitation ; dans ce but entendre tout sachant et se faire remettre tout document qu'il estimera nécessaire à l'accomplissement de sa mission.

Les premiers juges ont retenu que les franchisés n'auraient pas contracté s'ils avaient eu connaissance du mauvais choix d'implantation du magasin, choix fait par Hédiard, du manque de savoir-faire du service traiteur d'Hédiard du fait qu'aucun franchisé d'Hédiard ne consacrait plus de 20 % à l'activité traiteur, de l'inexactitude du compte d'exploitation prévisionnel. Ils ont prononcé la nullité pour dol du fait du franchiseur.

La société Hédiard fait appel et demande de réformer le jugement, de dire que la résiliation du contrat de franchise est imputable aux seuls torts de la société Epica et des consorts Delouvée, en conséquence de condamner conjointement et solidairement Epica et les consorts Delouvée à lui payer 1 000 000 F de dommages-intérêts et 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Elle indique que la société Epica a fait l'objet d'un jugement de liquidation judiciaire du 17 mai 1991.

M. et Mme Delouvée et Maître Ouizille liquidateur de la SARL Epica demandent de confirmer le jugement et d'évoquer l'affaire par l'application de l'article 568 du NCPC, de prononcer du fait de la société Hédiard la nullité du contrat de franchise signé le 17 février 1989,

- de condamner la société Hédiard à payer aux époux Delouvée les sommes suivantes :

Capital : 50 000 F ;

Avances en compte courant : 929 518,74 F ;

Rémunération perdue : 705 000 F ;

Dommages-intérêts : 1 500 000 F ;

TOTAL : 3 184 518,74 F

Avec intérêts légaux à compter du 23 novembre 1989, date de l'exploit introductif d'instance et 100 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC,

- de condamner la société Hédiard à payer à Maître Ouizille ès qualités les sommes suivantes :

Crédit UFB Locabail : 1 852 412 F ;

Droit d'entrée : 200 000 F ;

Redevances : 257 022,10 F ;

Le tout avec intérêts légaux à compter du 23 novembre 1989 ;

- 229 269 F = dettes fournisseurs et autres ;

- 100 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Discussion :

Considérant que la société Hédiard critique les premiers juges d'avoir retenu que c'était elle qui avait choisi l'emplacement du magasin, que le nombre de places de stationnement alentour et le savoir-faire traiteur étaient insuffisants, qu'elle soutient que les griefs retenus ne peuvent pas caractériser un vice du consentement, car il s'agit seulement de difficultés passagères d'exécution et non de vices existant au moment de la conclusion du contrat ; qu'elle reproche aux franchisés d'avoir tenté de remettre en cause le contrat dès le début sous des prétextes futiles, et avec une certaine mauvaise foi ;

Considérant qu'il ressort de correspondances échangées avant la passation du contrat de franchise que c'est bien Hédiard qui a proposé à M. Delouvée le 6 janvier 1989, un magasin : " Nous disposons actuellement d'un magasin en région parisienne ", qu'il est tout à fait contraire à la réalité des faits de prétendre que le magasin de Sèvres a été choisi conjointement ; que M. et Mme Delouvée n'ont fait qu'accepter le projet d'Hédiard, tel qu'il leur était proposé ;

Considérant qu'il apparaît que l'étude de faisabilité fait miroiter des éléments inexacts, tel que le nombre de places de stationnement (200 places environ au lieu des 60 prévues), l'existence de commerces de luxe à proximité, alors qu'il s'agit d'une boucherie et d'une boulangerie, et de deux commerces de prêt-à-porter et de chemiserie qui ne sont qualifiés de luxueux que par Hédiard ; qu'il apparaît en outre que le savoir-faire traiteur d'Hédiard, qui était un des principaux éléments de la franchise, puisqu'Hédiard entendait faire exploiter ce magasin à 70 % pour les produits traiteur, n'était nullement au point à la date du contrat de franchise ; qu'à cette date aucun des franchisés Hédiard n'exploitait l'activité traiteur au-dessus de 20 % du total du chiffre d'affaires ; qu'il s'agissait d'une nouveauté expérimentale et non de la transmission d'un véritable savoir-faire bénéficiant d'une expérience réelle;

Considérant que les comptes d'exploitation prévisionnels, pour lesquels le futur franchisé avait versé une somme de 20 000 F ne sont qu'un document standard, qui n'a pas été établi spécialement pour le magasin de Sèvres et ne tient pas compte de l'implantation à Sèvres (ville x) de l'exploitation traiteur à 70 %, et des chiffres d'affaires réalisés par d'autres magasins Hédiard ; que les chiffres fournis ont été manifestement surévalués, ne serait-ce que pour la surface du magasin qui n'était en fait que de 70 m² alors qu'Hédiard a fait son étude pour une surface de 100 m²,

Considérant par contre que l'incompétence prétendue du franchisé M. Delouvée comme cause de la faillite du projet n'est nullement établie, qu'il importe de rappeler que M. Delouvée a suivi un stage d'initiation préliminaire rendu obligatoire par le protocole de faisabilité pour que le candidat à la franchise soit confirmé, et que sa compétence a été nécessairement reconnue puisque le contrat de franchise a été conclu ;

Considérant qu'il est établi que l'étude de faisabilité contient de nombreuses et importantes inexactitudes, des chiffres prévisionnels invérifiables fantaisistes, et même mensongers, que c'est sur la foi de cette étude et des assurances qu'Hédiard avait une activité de traiteur ancienne et fiable que les époux Delouvée ont adhéré au contrat de franchise ; que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu une attitude dolosive déterminante du franchiseur pour annuler le contrat;

Considérant qu'il est ainsi superflu d'examiner les autres moyens d'annulation proposés par les époux Delouvée et la SARL Epica ;

Considérant que les intimés demandent à la Cour d'évoquer le litige à la suite du dépôt du rapport de l'expert, que la société Hédiard n'a pas conclu au fond sur cette demande bien qu'elle ait eu tout le temps pour le faire, que bien qu'il soit regrettable de retarder encore, par le fait d'Hédiard la solution définitive du litige, la Cour estime ne pas devoir évoquer ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser aux époux Delouvée et à Maître Ouizille ès qualités la charge entière des frais qu'ils ont pu exposer.

Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement du 16 avril 1991 ; Condamne la société Hédiard à verser à M. et Mme Delouvée une somme de six mille francs (6 000 F) et à Maître Ouizille ès qualités une somme de six mille francs (6 000 F) par application de l'article 700 du NCPC ; Rejette en l'état la demande d'évocation et les demandes de la société Hédiard ; Condamne la société Hédiard aux dépens et accorde à la SCP Jullien Lecharny, avoués, le droit de recouvrement conforme aux dispositions de l'article 699 du NCPC.