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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 29 octobre 1992, n° 90-5336

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Somutex (SARL)

Défendeur :

Jean Cacharel (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Serre

Conseillers :

Mme Garnier, M. Bouche

Avoués :

SCP Verdun Gastou, Me Meurisse

Avocats :

Mes Sec, Lapeyrere, Bettan.

T. com. Paris, 7e ch., du 26 sept. 1989

26 septembre 1989

La société à responsabilité limitée Somutex a interjeté appel d'un jugement rendu le 26 septembre 1989 par le Tribunal de commerce de Paris qui :

- a constaté que la résiliation du contrat de franchise la liant à la société anonyme Jean Cacharel était intervenue le 24 septembre 1988 à sa seule initiative,

- l'a déboutée de ses demandes en résiliation dudit contrat aux torts de la société Jean Cacharel, et en paiement de dommages-intérêts,

- l'a condamnée à verser à la société Jean Cacharel les sommes suivantes :

- 249 510,02 F diminuée de la provision de 192 079,32 F déjà versée en exécution de l'ordonnance de référé du 7 décembre 1988 et ce, avec intérêts légaux à compter du 29 novembre 1988,

- 20 000 F à titre de dommages-intérêts,

- 7 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Le 5 juin 1986, la société Cacharel a conclu avec la société Somutex un contrat de franchise pour une durée de 6 saisons de ventes entières, consécutives, renouvelable tacitement par période de 2 saisons sauf dénonciation par lettre recommandée avec accusé de réception, 6 mois avant l'expiration de chaque période.

Aux termes de cette convention, elle concédait à la société Somutex, pour la ville de Mulhouse et sa région, la franchise des articles vestimentaires et de prêt-à-porter de la marque qu'elle exploite, pour la ligne femme.

Elle s'engageait :

- à lui fournir une assistance technique et commerciale pour l'installation, l'aménagement et l'exploitation de la boutique,

- à lui accorder le droit d'utiliser la marque Cacharel à titre d'enseigne,

- à participer à la publicité de lancement du magasin, ainsi qu'à assurer et coordonner l'action publicitaire au niveau national,

- à reprendre les stocks à 50 % du prix hors taxes sans limitation de volume.

En contrepartie, la société Somutex s'engageait :

- à aménager la boutique selon le cahier des charges de la société Cacharel et à passer directement les contrats avec le maître d'œuvre et les entrepreneurs,

- à consacrer à la publicité locale et régionale, un budget minimum de 1,5 % de son chiffre d'affaires,

- à passer des commandes initiales minima de 1 200 pièces par saison,

- à respecter les conditions de paiement fixées par le franchiseur,

- à verser à titre de redevance initiale forfaitaire, une somme de 80 000 F hors taxes ;

Par avenant du 6 juin 1986, la société Cacharel s'est engagée :

- à ce que le montant net des travaux n'excède pas 470 000 F hors taxes,

- à reprendre les stocks :

- d'hiver 86 après solde à 100 % de leur valeur, hors réassort,

- printemps-été 87 et automne-hiver 1987-1988, après solde à 100 % de leur valeur jusqu'à concurrence de 20 % de la commande initiale,

et a accepté un règlement en deux échéances du droit d'entrée.

Des difficultés ont rapidement opposé les deux parties.

Par lettre du 25 octobre 1986, la société Somutex a reproché à la société Cacharel les défauts de conception, le manque de finition des aménagements de la boutique, ainsi que l'absence de supervision des travaux par l'un de ses employés, puis a critiqué la nouvelle collection, élaborée à son insu par Christophe Lebourg, jugée trop jeune et précisé avoir adhéré à la franchise " pour la commercialisation d'un produit original " qui avait " fait ses preuves depuis une vingtaine d'années " et qui était " incarné par le style Corinne Sarrut ".

Dans ses correspondances ultérieures, la société Somutex a régulièrement fait référence au changement de styliste.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 décembre 1986, elle a reproché à la société Cacharel le non respect de ses obligations concernant l'aménagement de la boutique et la supervision des travaux, la publicité, l'assistance technique et commerciale, la formation et la concertation.

A partir de fin 1987, la société Somutex n'a pas réglé à leurs échéances les sommes par elle dues ce qui a conduit la société Cacharel à bloquer temporairement la livraison de la collection printemps-été 1988.

Courant 1988, la société Cacharel a rappelé à plusieurs reprises à la société Somutex le montant de son solde débiteur et l'a avisé qu'aucune livraison ne serait effectuée avant règlement de l'arriéré ;

Le 8 septembre 1988, Cacharel a informé Somutex de l'échéance prochaine du contrat et lui a proposé de reconduire et d'actualiser celui-ci en fonction de sa politique actuelle de développement soit :

- établissement d'un contrat de concession exclusive,

- suppression de la reprise à 50 % des retours,

- priorité des concessionnaires sur l'implantation de la ligne " chemiserie " précisant en outre " le contrat actuel sera donc résilié à son échéance, soit le 5 juin 1989 et nous vous adressons sous ce pli notre nouveau contrat...(à) retourner signé...avant le 30 septembre 1988 ".

La société Somutex bien que reconnaissant devoir certaines sommes à la société Cacharel s'est abstenue d'en régler le montant, ce qui a conduit celle-ci à cesser toute livraison.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 septembre 1988, la société Somutex après avoir rappelé ses précédents griefs :

- changement de structure de la société Cacharel,

- changement de styliste ayant eu pour conséquence la perte de spécificité de style et de la notoriété du franchiseur,

- absence de savoir-faire, avec pour conséquence une perte considérable du chiffre d'affaires,

a conclu que " les structures de la franchise telles que...définies par le contrat n'existant plus, force (était) de constater " que le dernier devait être résilié aux torts exclusifs de la société Cacharel avec toutes ses conséquences de droit.

Par ordonnance de référé rendue le 7 décembre 1988, le président du Tribunal de commerce de Paris, a condamné la société Somutex à payer à la société Cacharel la somme de 192 079,32 F à titre de provision.

Par acte du 6 décembre 1988, la société Somutex a assigné la société Cacharel à l'effet de voir constater que le contrat de franchise avait été résilié le 24 septembre 1988 aux torts du franchiseur, et d'obtenir le paiement d'une somme de 2 093 913,65 F à titre de dommages intérêts.

C'est dans ces circonstances qu'a été rendu le jugement déféré à la Cour.

Concluant à l'infirmation de la décision, la société Somutex, appelante, demande à la Cour :

- de prononcer la nullité du contrat de franchise en application des dispositions de l'article 1129 du Code Civil,

- subsidiairement, de dire que celui-ci est résilié aux torts et griefs exclusifs de la société Cacharel,

- de condamner celle-ci :

- à lui rembourser le montant du droit d'entrée et divers frais,

- à lui verser la somme de 698 244 F et celle de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- subsidiairement, d'ordonner une expertise.

La société Cacharel, intimée, prie la Cour :

- de confirmer le jugement entrepris,

- de condamner la société Somutex à lui payer la somme de 50 000 F à titre de dommages intérêts et celle de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Considérant qu'après le prononcé de l'ordonnance de clôture en date du 25 septembre 1992, la société Somutex a communiqué à la société Cacharel, suivant bordereau du 1er octobre 1992 les pièces numérotées 26 bis et 40 bis,

Qu'il y a lieu en conséquence, d'ordonner d'office, le rejet des débats de ces deux documents ;

I- SUR LA DEMANDE DE LA SOCIETE SOMUTEX :

A- Sur l'application de l'article 1129 du Code Civil :

Considérant que la société Somutex fait valoir que l'objet du contrat n'était ni déterminable, ni déterminé, les produits comme les prix étant laissés à l'arbitraire du franchiseur,

Considérant que la société Cacharel a concédé à la société Somutex la franchise des articles vestimentaires et de prêt-à-porter de la marque Cacharel pour la ligne femme,

Que la société Somutex a accepté de passer auprès du franchiseur des commandes initiales représentant au minimum pour chaque saison 1 200 pièces, et de respecter les conditions de paiement fixées dans les conditions générales de vente annexées à la convention ;

Considérant que la société Cacharel s'est engagée :

- à apporter au franchisé son concours en vue de l'aménagement et de la décoration de la boutique,

- à lui accorder le droit d'utiliser la marque Cacharel, comme enseigne,

- à participer au budget de lancement de la boutique,

- à assurer l'action publicitaire et promotionnelle au niveau national,

- à lui apporter une assistance technique et commerciale avant l'ouverture du magasin et pendant la durée du contrat,

- à organiser des réunions de travail et de concertation, ainsi qu'à favoriser autant que possible la formation et l'information du franchisé et de son personnel ;

Considérant qu'en contrepartie, la société Somutex s'est engagée :

- à faire aménager la boutique, agréée par le franchiseur, selon les plans et cahiers des charges de celui-ci et ce, à ses frais (dans la limite de 470 000 F hors taxes) et sous sa seule responsabilité,

- à réaliser ses étalages en vitrine selon les normes de qualité et de renouvellement prescrites par le franchiseur,

- à consacrer à la publicité régionale et locale, un budget minimum de 1,5 % de son chiffre d'affaires,

- à utiliser exclusivement le matériel ainsi que les documents publicitaires et promotionnels du réseau,

- à faire figurer sur ses papiers commerciaux, documents publicitaires et éléments d'emballage, la marque Cacharel,

- à se conformer pour le recrutement du personnel de vente aux critères définis par le franchiseur,

- à fournir à ce dernier des états statistiques et comptables ;

Considérant que les obligations prévues au contrat ont pour but :

- de préserver la notoriété de la marque, ainsi que l'identité et la réputation du réseau,

- d'apporter au franchisé une assistance lui permettant de mettre en œuvre des méthodes élaborées depuis plusieurs années,

- de permettre à la clientèle de trouver dans les locaux aménagés et décorés de manière similaire des produits de qualité répondant à son goût et à ses exigences,

Que le savoir-faire de la société Cacharel, fondé sur le choix d'un styliste, la création et la promotion de collections biannuelles est le fruit d'une expérience de plus de 20 ans ;

Qu'il n'est pas, compte tenu de la notoriété de la marque, des exigences de la clientèle, de la concurrence intermarque et des méthodes de vente spécifiques au produit, directement accessible même à un professionnel du prêt-à-porter ;

Considérant qu'un tel contrat qui a pour objet la distribution de prêt-à-porter de la ligne femme, comporte un jeu complexe d'obligations de faire et de ne pas faire synallagmatiques, non soumises à la condition de détermination du prix,

Qu'il s'ensuit que le moyen n'est pas fondé ;

B- Sur les autres griefs :

Considérant que la société Somutex fait valoir que le chiffre d'affaires par elle réalisé a été inférieur de 12,6 % la première année et de 39,29 % la deuxième année au chiffre d'affaires prévu dans l'étude de marché réalisé à la demande de la société Cacharel,

Considérant que la société Cacharel a transmis aux époux Weill, le 12 juin 1984 une étude sur les meilleurs emplacements de Mulhouse, le 25 janvier 1986, une étude Proscop fixant comme objectif un chiffre d'affaires de 2 592 000 F pour les deux premières années puis le 4 mars 1986, une étude financière prévisionnelle retenant les montants de deux millions et de 2,3 millions de francs ;

Considérant qu'il appartenait aux dirigeants de la société Somutex qui, aux termes d'une lettre adressée le 12 mai 1986 au CEPME, déclaraient avoir exploité une entreprise de vente de spécialités prénatales de 1970 à 1985, dans divers points de vente dont l'un fixé à Mulhouse, et donc à ce titre au fait des contingences commerciales et des aléas inhérents à ce type d'activités, d'apprécier la valeur et le réalisme de ces estimations;

Considérant que la société Somutex fait valoir :

- que la société Cacharel a exigé la mise en place d'un nouveau concept nécessitant de lourds travaux d'aménagement de la boutique,

- qu'elle a pris la responsabilité de la maîtrise d'œuvre,

- que le coût de l'aménagement a été nettement supérieur à celui initialement prévu ;

Mais considérant, comme le relève à juste titre le tribunal :

- que le montant total des aménagements provient d'une part " du coût du concept Cacharel " s'élevant à 534 962,70 F dont seulement 470 000 sont restés à la charge de Somutex, d'autre part du prix d'acquisition par la société Somutex du fonds de commerce inscrit dans l'étude pour 390 000 F et chiffré en réalité à 750 000 F dans le décompte des investissements réalisés,

- que la responsabilité de la société Cacharel ne saurait être retenue en l'espèce, dès lors que la société Somutex avait, conformément aux stipulations du contrat traité directement avec le maître d'œuvre et les entrepreneurs, Cacharel assurant seulement la supervision afférente au respect de son concept ;

Considérant que la société Somutex fait valoir qu'après la signature du contrat, la société Cacharel a modifié son style incarné pas Corinne Sarrut et s'est abstenue de l'informer du départ de la styliste, élément déterminant de son consentement ;

Mais considérant que la société Somutex ne saurait reprocher à la société Cacharel le changement des stylistes dès lors qu'aucune disposition du contrat ne fait référence à un styliste nommément désigné, et que la société Cacharel, maître de l'orientation qu'elle entend donner aux collections portant sa marque, était en droit de confier la création de celle-ci à toute personne de son choix ;

Qu'au surplus, la société Somutex ne rapporte pas la preuve de ce que ce changement a porté atteinte au " caractère spécifique et harmonieux " de l'image de la marque ainsi qu'à sa notoriété ;

Considérant que la société Somutex reproche à la société Cacharel le non respect des obligations contractuelles concernant la transmission du savoir-faire, l'assistance technique et commerciale, la formation et l'information des franchisés, l'enseigne Cacharel ;

Mais considérant, qu'exception faite de la lettre du 9 décembre 1986, c'est seulement le 24 septembre 1988 lorsqu'elle a dénoncé le contrat, que la société Somutex a fait état de certains des griefs susvisés ;

Considérant que le savoir-faire, qui est fonction de la branche d'activité consistait en la création de collections biannuelles et en sa distribution dans des locaux aménagés conformément à certains critères de nature à préserver la notoriété de la marque par un personnel qualifié susceptible de conseiller la clientèle dans le choix des produits ;

Qu'il résulte des documents versés aux débats que des réunions ont eu lieu entre franchisés et que les dirigeants de la société Somutex ont à diverses reprises, rencontré à Paris et à Mulhouse les membres de la Direction de la société Cacharel ;

Considérant en conséquence que la société Somutex qui ne justifie pas, notamment par la production de mises en demeure, du non respect par la société Cacharel de ses obligations contractuelles, n'est pas fondée à solliciter la résiliation de la convention aux torts de celle-ci ;

Considérant que par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 septembre 1988, la société Somutex a informé la société Cacharel qu'elle ne pouvait, compte tenu des griefs invoqués, " que constater la résiliation du contrat de franchise de votre fait, et à vos torts exclusifs ",

Considérant que cette résiliation n'a pas été effectuée dans les délais prévus à l'article 5 (non renouvellement de la convention après préavis de 6 mois) et à l'article 6-2 (résiliation pour infraction à une obligation contractuelle après mise en demeure infructueuse d'avoir à y remédier dans un délai de 30 jours),

Qu'au surplus, il résulte des lettres adressées de la société Cacharel à la société Somutex notamment courant mars, avril, mai, juin et août 1988, que celle-ci ne réglait pas les commandes passées et livrées dans les délais convenus, malgré aménagements acceptés par le franchiseur ;

Considérant en conséquence que c'est par une exacte appréciation des faits et documents de la cause, que le tribunal a " exonéré...Cacharel de toute responsabilité dans la rupture du contrat " et " du fait de la seule volonté de Somutex " ;

Qu'il convient de confirmer la décision entreprise ;

C- Sur les autres demandes de la société Somutex :

Considérant que la société Somutex qui succombe en son appel n'est pas fondée à solliciter :

- la restitution du droit d'entrée,

- le règlement des frais d'agencement de la boutique contractuellement mis à sa charge,

- le remboursement du matériel informatique acquis le 15 octobre 1987, dont il n'est pas au surplus établi qu'il s'agisse d'un matériel spécifique relié par Minitel à l'aide d'un code d'accès confidentiel au poste central de Cacharel et inutilisable depuis la rupture des relations comme le prétend Somutex,

- le remboursement à 100 % des marchandises retournées dès lors que les conditions prévues à l'article 7 du contrat ne sont pas réunies en l'absence de toute faute du franchiseur dans la rupture des relations ;

- les pertes par elle subies dans l'exploitation d'un commerce exercé " en son nom pour son propre compte et sous sa seule responsabilité ",

- une somme au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Qu'elle ne saurait solliciter pour les mêmes motifs la désignation d'un expert ;

II- SUR LES DEMANDES DE LA SOCIETE CACHAREL :

Considérant que c'est par une exacte appréciation des faits et documents de la cause, que le tribunal a chiffré à 249 510,02 F le montant restant dû à la société Cacharel et a condamné la société Somutex au paiement de cette somme en principal sous déduction de la provision de 192 079,32 F déjà versée ;

Qu'il convient de confirmer la décision entreprise ;

Considérant que la société Cacharel qui ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui réparé par l'allocation des intérêts moratoires, n'est pas fondée à solliciter de la Cour, l'allocation de dommages intérêts ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Cacharel les frais irrépétibles qu'elle a engagés et que la procédure fixe, compte tenu des éléments de la procédure à 8 000 F hors taxes ;

Par ces motifs : Rejette des débats les pièces numéro 26 bis et 40 bis, objets du bordereau de communication en date du 1er octobre 1992 ; Confirme le jugement entrepris ; Y ajoutant, condamne la société Somutex à payer à la société Jean Cacharel la somme de 8 000 F hors taxes au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Déboute la société Somutex de ses demandes, et la société Jean Cacharel du surplus de ses demandes ; Condamne la société Somutex aux dépens d'appel ; Admet Me Meurisse, avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.